Joakim
Cette année, Tigersushi souffle ses bougies avec une excellente compilation anniversaire (Tigersushi presents More G.D.M.X) et s'offre une tournée européenne collective, histoire de marquer le coup. En même temps, il fallait bien que ça se fête: l'air de rien, cela fait maintenant 10 ans que le vénérable et ambitieux label français nous fait découvrir pépites obscures et talents certains. Défricheur exemplaire, le label a su allier rigueur et décomplexion, conviant à sa table le post punk électronique de Poni Hoax, l'électro warpienne de Principles of Geometry ou encore la pop psyché de Guillaume Teyssier. Rien que ça me diriez-vous… et pourtant, il y en a encore beaucoup d'autres ! Tigersushi, c'est un label qui s'est s'imposé dans le paysage français comme l'un des plus éclectiques et des plus intéressants. L'occasion pour Goûte Mes Disques de poser quelques questions à l'artiste, dj et boss du label, Joakim. Un entretien court, avec des réponses brèves et concises tant l'artiste est sous le feu des projecteurs en cette année anniversaire. Ça ne risque pas de changer dans les jours qui viennent puisqu'il est en tournée européenne avec toute sa clique de Bruxelles à Berlin, en passant par Calvi. Avis aux amateurs.
GMD: Toutes nos félicitations pour les 10 années de Tigersushi. En tant que fondateur et patron du label, peux-tu nous expliquer comment l'histoire a vraiment commencé, quels ont été les enjeux et motivations?
Joakim: Tout a commencé par du désœuvrement et du hasard. On ne savait pas trop quoi faire de nos vies alors on a monté un site internet qui répondrait à toutes nos attentes de fans de musique déçus de la presse en général. Et puis, on a fait un disque pour promouvoir ce site, sauf que le premier disque en a appelé un deuxième, un troisième et que, finalement, le temps consacré au label a fini par largement empiéter sur le temps disponible pour le site. Alors, on est devenu un vrai label.
GMD: Après 10 années aux commandes du label, quel bilan peux-tu en tirer ? Quels ont été les pires galères? Et les plus beaux moments ?
Joakim: La musique est plus présente que jamais dans nos vies, alors qu'il est de plus en plus compliqué de la produire et de faire connaître des artistes. L'idée selon laquelle on peut composer un disque chez soi sur son laptop et devenir une star grâce à internet est un grand mensonge auquel tout le monde voudrait croire. Mais d'un autre côté, il y a énormément d'opportunités et de nouvelles manières de faire et de distribuer sa musique qui sont incroyablement excitantes. Bref, la crise du disque ne bouleverse pas uniquement l'industrie de la musique, mais aussi sa création. On est qu'au tout début de cette révolution.
GMD: Parlons un peu de tes influences musicales et donc par conséquent de celles du label. Quelles ont été tes premières claques musicales? Tes premiers albums cultes? Les labels qui t'ont influencé ?
Joakim: Premières claques musicales, dans le désordre : les Stooges, Pavement, Robert Johnson, les Talking Heads, Aphex Twin & Autechre, DJ Shadow, John Coltrane, Motorbass, Larry Heard,... Mon premier disque culte est un live de Jimi Hendrix sur cassette que j'écoutais en boucle, à la fin du collège.
GMD: Assez paradoxalement, tu ne sors pas tes disques sur ton propre label, ce serait pourtant une bonne manière de donner encore un peu plus de visibilité à Tigersushi. Peux-tu nous expliquer ta démarche? L'artiste Joakim et le patron de label sont deux personnes totalement différentes ?
Joakim: Oui, je pense que la logique qui m'a poussé, au départ, à faire ce choix est aujourd'hui remise en cause. Avant, je voulais confier ma musique à d'autres pour ne pas à avoir à m'occuper de sa promotion ou de sa distribution moi-même. Mais aujourd'hui, tous les artistes sont devenus les principaux artisans de leur propre promo à cause d'internet et des réseaux sociaux, du coup cette logique apparaît un peu obsolète.
GMD: Tigersushi héberge Poni Hoax, un des meilleurs groupes français en activité, peux-tu nous expliquer ta rencontre avec eux, tes motivations à les signer et l'impact qu'ils ont sur la structure Tigersushi?
Joakim: C'est une signature qui s'est tout simplement faite sur base d'une démo qu'on a reçue par erreur, et qui m'a intriguée. Même si tout n'était pas super abouti, on sentait un vrai potentiel d'écriture et de performance. Ça a eu un gros impact car c'est un des premiers groupes avec qui j'ai appris à bosser en tant que producteur, dans le sens anglais du terme, c'est-à-dire un mec qui va en studio et enregistre un groupe. Avant, je ne savais pas spécialement comment on enregistrait une batterie, par exemple. Et ça a aussi été le premier groupe qui a le plus marché, commercialement parlant, sur Tigersushi, même si ça reste très en dessous de ce qui est nécessaire pour vraiment retomber sur ces pieds. Mais aujourd'hui, Poni Hoax n'est plus sur Tigersushi et les petits poneys volent de leurs propres ailes... ou sabots!
GMD: Peux-tu nous parler de leur troisième album (à venir) que tu as produit ? Une date de sortie prévue ?
Joakim: Effectivement, on a enregistré des morceaux, mais, entre temps, on s'est séparés. Donc, je ne sais pas trop ce qui va se passer car ils sont en train de rechercher un label.
GMD: Pour fêter les 10 ans de Tigersushi, vous éditez une compilation, More G.D.M.X. Nous sommes ici bien loin de la compilation best of. Quelle a été la démarche? Comment avez vous choisi les tracks ?
Joakim: Oui, ce n'est pas vraiment un best of car il y a très peu de morceaux déjà sortis. On ne voulait surtout pas rentrer dans le côté trop "grande rétrospective" car ce qui nous intéresse, c'est l'avenir du label et des artistes, donc on a inclu beaucoup de morceaux complètement inédits et des versions pas encore sorties ou de rares morceaux plus connus (comme "Antibodies").
GMD: Comme sur la compilation, verrais-tu le label Tigersushi comme une structure à deux facettes, expérimentale d'un coté et plus pop de l'autre?
Joakim: C'est une distinction un peu artificielle qu'on a faite pour structurer la compilation qui ne rentrait pas sur un seul CD. Dans les faits, on ne fait pas tellement la différence, certains artistes sont autant expérimentaux que pop.
GMD: Peux-tu nous parler de l'artiste sud-coréenne Nakion, nouvelle signature du label, à la fois dj et plasticienne ?
Joakim: Elle nous a contactés sur internet. Elle m'envoyait des morceaux depuis un moment. Il y avait pas mal de choses très étonnantes et incroyablement abouties, alors je lui ai demandé si elle voulait sortir un disque chez nous, et elle a continué de m'envoyer des nouveaux morceaux à chaque fois plus passionnants ! C'est assez fou, on dirait du disco asiatique influencé par les années 80 et programmé par Aphex Twin. Elle va venir en France en septembre, pour la sortie de son album début octobre.
GMD: Nous sommes dans une période ou la commercialisation de la musique est en train de muter. Le marché du disque est en crise et internet a chamboulé notre façon d'écouter et de se procurer de la musique. En tant que patron de label comment vois-tu les choses ? Que penses-tu de la loi Hadopi?
Joakim: A mon avis, on n’entendra plus parler de Hadopi dans 3 mois, si ce n'est pas déjà fait. C'est un projet qui n'est pas adapté à la réalité des comportements des internautes. Je trouve qu'il est louable d'essayer de trouver des solutions, mais je pense qu'il faut chercher des solutions plutôt constructives et positives que coercitives, mais c'est assez facile de dire ça. Plus difficile à faire.
GMD: Avec Tigersushi Furs, tu as créé, en marge du label, une marque de vêtements et tu t'apprêtes à partir en tournée européenne pour les 10 ans du label sous la bannière Tigersushi. C'est une façon de renforcer l'image de la structure et de trouver d'autres façons de vendre de la musique dans une époque ou la vente de disques devient confidentielle ?
Joakim: Disons que son image est la première force de Tigersushi, même après dix ans d'activités car on a toujours évité les compromis artistiques. Du coup, on peut se permettre d'utiliser cette image pour d'autres choses, comme les vêtements ou les tournées. Ce qui compte, c'est de créer et de lancer des projets qui nous motivent.
GMD: Tigersushi partage avec les dj's Optimo une certaine vision de l'éclectisme musical et du mélange des genres. Leurs soirées hebdomadaires du dimanche soir au Sub Club de Glasgow se sont terminées il y a quelques jours et je pense que tu y as joué, à plusieurs reprises. Quelle ambiance y régnait ? As-tu quelques souvenirs à nous raconter ?
Joakim: Une ambiance de grande communion musicale, sous influences éthylique et narcotique, avec la plus grande ouverture d'esprit que j'ai pu voir dans un club. Les Ecossais savent faire la fête, tout en restant des amoureux de la Musique, au contraire de l'ambiance de fête foraine qu'on pourrait voir dans pas mal d'autres endroits. C'est assez unique, mais c'est aussi le fruit de douze ans de service de Keith et Jonnie qui ont réellement "éduqué" leur public, même si je n'aime pas trop ce terme.
GMD: Comment vois-tu l'avenir de Tigersushi? Toujours là dans 10 ans ?
Joakim: C'est bien possible. J'aimerais que Tigersushi devienne une sorte de laboratoire de création, une Factory moderne en quelque sorte, où des artistes de tous genres et toutes disciplines organiseraient de vastes orgies.
GMD: Pour terminer, peux-tu nous donner ta playlist du moment en une quinzaine de tracks tous styles confondus ?
Joakim: Ah non, désolé, je ne réponds jamais à plus de 13 questions car je suis très superstitieux.