Equal Idiots
De petit groupe émergent écumant les petites scènes, Equal Idiots est parvenu à se faire une place sur la scène indie rock flamande. Si les deux premiers albums portaient encore les stigmates de la jeunesse avec un swing punk vraiment bien foutu quoiqu’un peu inoffensif, c’est dans un format garage punk plus rugueux que revient le duo formé par Thibault Christiaensen (guitare – voix) et Pieter Bruurs (batterie – voix) pour un troisième album survitaminé. Un disque sobrement intitulé Equal Idiots qui pourrait bien marquer d’une pierre blanche la carrière de ce groupe qu'on pourrait comparer à un Royal Blood période 2014-2016. C’est à l’occasion de leur passage à l’Ancienne Belgique que l’occasion nous a été donnée de bavarder avec ces deux camarades de longue date histoire d’en savoir un peu plus sur ce dernier album mais également de discuter de la scène du nord du pays ou encore du rôle d’une certaine radio nommée Studio Brussel sur laquelle officie le chanteur-guitariste en tant qu’animateur de la matinale.
Votre dernier album Equal Idiots est sorti le 27 septembre. Quelles en ont été les premières réactions?
Thibault : Elles ont été très positives. Je pense aussi que cet album a permis à beaucoup de gens de découvrir une autre facette d’Equal Idiots, un EI 2.0 si on veut. C’était notre objectif. On a travaillé dur pour sonner autrement et composer des morceaux différents. On a reçu beaucoup de réactions de personnes qui disaient qu’elles ne savaient pas qu’on pouvait d’un côté faire des choses aussi hard et d’un autre des titres aussi doux.
Pieter : C’était notre intention. On voulait parvenir à ça d’une manière ou d’une autre. Il faut dire aussi que c’est un album qu’on a davantage écrit pour nous et qui s’inspire de la musique qui nous plaît. Mais même si on l’a plus fait pour nous-mêmes, c’est super que l’album soit accueilli de cette manière.
Votre bio indique que cet album est le meilleur que vous ayez fait. Mais généralement, tous les groupes disent ça.
Thibault : Tout le monde le dit mais ici j’en suis vraiment convaincu. Ce n’est pas un petit mensonge avancé pour faire vendre, vraiment pas.
Pieter : On a vraiment travaillé dur aussi pour ça. On tous les deux appris à redécouvrir nos instruments. À nos débuts il y a quelques années, tout a été assez vite et on n’a pas pris le temps de prendre le recul nécessaire pour avoir plus d’expérience en studio ou de regarder nos compositions avec un autre œil ou une autre perspective.
Cette même bio mentionne aussi qu’il s’agit là de votre album le plus varié.
Thibault : Je pense que c’est parce que nos deux premiers albums étaient principalement inspirés par du garage rock comme Ty Segall ou FIDLAR et que tout était un peu « youpi youpi hé ». Trois accords, du rock simple, ce qui est toujours très chouette évidemment, mais là je pense qu’on a incorporé beaucoup d’autres influences, ce qui donne des compositions différentes. Les gens y entendent différents styles. Certains disent qu’ils entendent des passages shoegaze, d’autres hardcore, punk ou hard pop comme dans le titre « Strawberry ». « Time is the reason » sonne aussi post-punk… Ça part dans plusieurs directions et tu peux l’entendre sur l’album. Il y a un fil rouge dans tous les morceaux bien sûr mais tout le monde peut entendre quelque chose de différent. C’était le plan. Montrer une autre facette de nous et pas seulement celle de swing punk qu’on a pu avoir auparavant. On propose d’un côté des titres rageurs et agressifs et d’autres plus doux comme « This place is home but I don’t know it anymore » qui est une balade à une guitare et une voix. On navigue dans les contraires.
L’album est effectivement très brut dans l’ensemble, du punk garage avec de la grosse distorsion. Il y a cette balade dont tu parles mais qui est aussi dans un format « punk » puisqu’elle dure 1 minute 35. Qu’est-ce qu’elle représente pour vous ?
Thibault : C’est vrai que le fil conducteur de la plupart des morceaux est une certaine idée de décadence, de changement, d’effondrement et de retour à la vie autrement. Cette chanson parle en particulier de nos racines, de l’endroit où nous avons grandi, Hoogstraten, un village proche des Pays-Bas. On n’y vit plus mais cet endroit on y reste évidemment attaché. L’idée de ce morceau est un voyage dans le passé où on constate que par rapport à maintenant, beaucoup de choses ont changé. Sur l’artwork de l’album, il y a une petite image en plein milieu du nom. Elle provient d’une photo d’archive de l’église de Hoogstraten qui a par la suite été bombardée durant la Seconde Guerre Mondiale et a été reconstruite plus tard. Elle illustre bien ce qu’on voulait transmettre, l’idée que les choses s’effondrent, ne sont plus les mêmes mais finissent toujours par être reconstruites d’une manière ou d’une autre. Ça paraît très psychologique. Généralement je ne donne pas d’explication aussi longue (rires).
Ce troisième album s’intitule sobrement Equal Idiots.
Thibault : Oui, parce que c’est notre identité désormais. Je pense que lorsqu’un groupe sort un album éponyme c’est souvent parce que celui-ci reflète ce qu’est ce groupe. Il arrive que certains sortent un album éponyme comme premier disque mais je trouve ça toujours rafraichissant quand ils le font plus tard histoire de dire qu’ils ont évolué. C’est ce que je ressens pour nous ici. Je prends souvent l’exemple de Blink-182 qui n’a pas donné de titre à son cinquième album. C’était un disque qui sonnait complètement différemment car les gars avaient pris une autre direction. Je pense que c’est le même pour nous maintenant.
Pour cet album, vous avez travaillé avec Stijn Vanhoegaerden, guitariste de Brutus, et Thomas Valkiers. Comment s’est passée cette collaboration ?
Pieter : Thomas, qui est le guitariste de X!NK et de Crackups, avait déjà produit nos 2 disques précédents mais c’était la première fois que nous travaillions avec Stijn. On avait le sentiment que ça allait bien fonctionner et effectivement, tout au long du processus, la collaboration était totale et tout le monde se sentait bien les uns avec les autres. On s’est très bien entendu aussi bien musicalement qu’en studio.
Thibault : On a toujours travaillé avec Thomas, on le connait par cœur et on sait de quoi il est capable. Il a son propre studio, c’est un très bon producteur et ingé son. Mais on voulait collaborer avec quelqu’un d’autre en plus de lui pour cet album. On a pensé à Stijn et je l’ai appelé. Il a écouté nos morceaux en disant que ça sonnait comme ce qu’on avait déjà fait avant. C’est lui qui nous a demandé si on voulait faire la même chose ou prendre une autre direction. On a donc repris tous nos morceaux à zéro pour les retravailler.
Pieter : Les démos qu’on avait déjà faites avec Thomas ont toutes valsé à la poubelle.
Thibault : Stijn a vraiment une très bonne influence. C’est lui qui nous a suggéré d’utiliser certains accords mineurs.
Des accords plus mélancoliques ?
Thibault : Oui, il nous a conseillé d’en jouer un de temps en temps. Et au niveau du son, il a transmis son intérêt pour la reverb alors qu’on n’avait quasiment jamais utilisé d’effets sur la guitare. Tous ces petits ingrédients ont donc contribué à créer un type de son différent.
Vous êtes un duo guitare/voix – batterie. Quels sont les avantages et les inconvénients de cette formule à deux ?
Pieter : L'avantage, c'est qu’on est meilleurs amis. On se connait parfaitement et on peut vraiment compter l’un sur l’autre. Le désavantage est lié à cet aspect : on veut parfois être trop prudents l'un envers l'autre dans notre communication. Mais au final, il n’y a que des avantages.
Thibault : Je pense que musicalement, il y a aussi des limites mais ça devient paradoxalement notre avantage. On travaille avec ces limites. Il n’y a pas de basse, pas de clavier, juste la guitare et la batterie. En studio, on n'y pense pas, on ajoute des pistes de basse et des overdubs. Mais ce qui est vraiment intéressant, c'est de voir qu’on peut recréer ce son en live juste à deux. On ne peut pas reproduire chaque détail en live mais le truc c'est de voir comment on peut transmettre notre son juste avec la guitare et la batterie. C'est très challengeant et ça rend chaque performance excitante. Je pense que c'est ce que je préfère dans le fait de jouer à deux. On donne tout, en visant toujours à donner l'énergie qu’il faut au public. Et je pense que nous y parvenons. Chaque soir, c'est notre ambition de tout donner, de faire en sorte qu'on ne paraisse pas juste à deux, mais bien plus nombreux.
D’un point de vue technique, quel type de configuration utilisez-vous pour avoir ce son justement ?
Thibault : Je couple deux amplis guitare et un ampli basse. Tout ça se regroupe dans un pedal board où la magie opère. Ces trois amplis, avec une seule guitare, créent un son très large. Et parfois, en ajoutant ou en retirant la basse, ça donne du punch.
Vos deux premiers albums sont sortis sur le label Noisesome Recordings et celui-ci marque le début de la collaboration avec PIAS. Qu’est-ce que ça change pour vous ?
Pieter : Noisesome est en fait notre structure de management mais aussi notre label en quelques sortes, donc cet album sort encore via Noisesome qui travaille lui-même avec PIAS actuellement. Avant Noisesome travaillait avec Virgin.
Et collaborer avec une structure comme PIAS change quelque chose pour vous ?
Thibault : En terme de label, pas vraiment. Avec Virgin, l’entente était bonne mais c'est bien pour nous d'avoir un nouveau label quand nous avons un nouvel album et une nouvelle identité, le E.I. 2.0 dont on parlait au début. Et PIAS savait dans quelle direction on voulait aller.
Pieter : L'état d'esprit était à peu près le même en tout cas.
Thibault : En réalité, nous créons la musique, ils la distribuent et en font la promo. Nous sommes très contents comme ça avec PIAS. Mais le label lui-même n'a pas beaucoup d'influence sur qui nous sommes et ce qu’on fait. .
Vous venez de Flandres qui est un territoire qui semble souvent un peu à part artistiquement parlant. Il regorge de talents musicaux mais qui ne sont pas forcément toujours connus du reste du pays. Vu de l’extérieur, on a parfois cette impression que de nombreux projets artistiques peuvent naître et vivre uniquement dans le nord du pays. C’est le même constat pour Equal Idiots ?
Thibault : J’ai l’impression, oui.
Vous avez l’ambition de jouer ailleurs qu’en Flandres ?
Thibault : Oui bien sûr. Mais c’est vrai que c’est assez étrange qu’on ne joue pas plus en Wallonie ou en France. On aimerait jouer davantage en Wallonie parce qu’on a parfois l’impression qu’en Wallonie, on ne nous connait pas. On a déjà joué une fois au Roots & Roses et aussi à Louvain-La-Neuve, mais proportionnellement, nous avons très peu joué en Wallonie. On a aussi déjà joué aux Pays-Bas, où là-bas ils nous connaissent un peu plus. Mais il est vrai qu’on aimerait beaucoup jouer en dehors de notre territoire.
Pieter : PIAS a des ramifications en Allemagne ou en France, ça pourrait nous permettre de fouler des scènes dans ces pays.
Thibault, toi qui es animateur radio sur les ondes de Studio Brussel (il assure une des émissions matinales avec Fien Germijns – ndr), pourrais-tu nous dire quel est encore selon toi le rôle d’une radio pour un groupe dans une époque comme la nôtre ?
Thibault : On en est en fait le parfait exemple. On a participé à un concours de Studio Brussel qui s’appelle "De Nieuwe Lichting". Le principe est que les groupes envoient leurs morceaux et Studio Brussel en sélectionne un certain nombre qui bénéficient de nombreuses places dans la programmation. Quand vous sortez gagnants de ce type de concours, les festivals en Flandres y font particulièrement attention. Si une chanson passe beaucoup à la radio, ils veulent aussi que ce soit joué à leur festival. Je pense que si tu regardes ces dernières années, Studio Brussel a programmé pas mal de groupes qui ont réussi à aller très loin. Tamino ou The Haunted Youth, par exemple, jouent partout et ont été découverts comme ça. Il y a beaucoup de groupes qui, grâce à un petit concours en Flandre, parviennent à aller loin. Si les gens écoutent de moins en moins la radio, ce n’est pas le cas des organisateurs de festivals, des programmateurs, des managers et des bookers. Ils écoutent tous car ils voient de l'ambition dans ces groupes qui s'inscrivent. Avant on avait aussi beaucoup de maisons de jeunes qui organisaient des concerts, mais ces maisons de jeunes disparaissent aussi petit à petit. Il n'y a plus autant d'opportunités de jouer pour les jeunes groupes. Donc ces concours sont parfois le seul moyen d'avancer. C'est très triste mais par contre je pense que Studio Brussel offre encore une plateforme pour les jeunes musiciens débutants. Par exemple, ISE a été la gagnante de "De Nieuwe Lichting 2024". Elle a 18 ans et elle joue maintenant partout. Elle a même joué pour le roi Albert la semaine dernière, à Laeken.
Pieter : Elle fait la première partie de Gavin Degraw (elle a ouvert pour lui le 24 octobre au Cirque Royal – ndr)
Thibault : Elle devait aussi partir en tournée avec Guano Apes, mais ça a été annulé. Et c'est grâce à Studio Brussel tout ça. Donc la radio n'est pas morte.
On remarque d’ailleurs que cette radio fait encore aujourd’hui office de référence. Elle est présente partout et reste une plateforme de nombreuses découvertes de qualité. Quel est son secret selon toi ?
Thibault : Je sais qu’il existe d'autres stations de radio alternatives à travers le monde qui regardent Studio Brussel avec de grands yeux en se demandant comment on arrive à faire ce qu’on fait ? Elles se demandent comment une station de radio nationale diffuse autant de musique alternative et autant de genres musicaux différents (rock, dance…). Mais pour être franc, on ne le sait pas toujours nous-mêmes. On a une identité dans la musique alternative. Bien sûr beaucoup de gens disent que ce n'est plus aussi alternatif qu'il y a 20 ans mais je pense quand même qu’on diffuse encore beaucoup de styles différents et on garde toujours un œil attentif sur les jeunes talents belges, par exemple grâce à "De Nieuwe Lichting". C'est ce qui permet à Studio Brussel de rester pertinent. Garder les yeux ouverts et investir dans des concours, c'est vraiment investir dans les jeunes talents. Tout le monde peut s'y inscrire, donc il ne faut pas hésiter. On l’a fait aussi, et regarde-nous maintenant, on joue aujourd’hui à l'AB et je travaille pour Studio Brussel.
Et pour terminer, que pourrait-on vous souhaiter pour le futur ?
Thibault : Des concerts en Wallonie.