Didaï
Didaï n'est pas une sous-marque de produits high tech de mauvaise facture, encore moins un pseudo d'hardeuse asiatique, mais bel et bien le nom d'un des beatmakers les plus en vogue en ce moment dans le rap français. Il multiplie les collaborations comme les sorties, et semble prêt à marquer de son empreinte les productions actuelles. Discret mais terriblement actif, Didaï sévit dans le rap sans relâche depuis des années, que ce soit au micro ou derrière les machines. Et c'est justement dans ce dernier exercice qu'il est particulièrement reconnu. Beatmaker, emcee, producteur, voici l'interview d'un artiste aux multiples casquettes, et qui ne quitte jamais la sienne. Snapback de préférence.
Goûte Mes Disques : Personnellement j'ai écouté le morceau « Rétro Hip Hop », mais pour ceux qui ne l'aurait pas fait, retrace nous ton parcours en quelques mots ?
Didaï : En quelques mots c'est difficile! Tu risques d'avoir un roman pour cette première question (rires). Ma première relation avec le hip hop remonte à 1994 quand le morceau "Regulate" de Warren G et feu Nate Dogg était sorti. Ce fut une gifle auditive. C'était la première fois que j'entendais un titre de rap avec un groove de fou, une vrai ligne de basse et des couplets mélodieux. Puis la curiosité m' a poussé à écouter ce qui se passait du coté de NY et j'ai découvert le premier groupe qui m'a donné envie de rapper : le Wu-Tang! C'était dingue, les gars avaient des flows de malade. 96/97, je rencontre Rimcash, notre passion pour le rap nous lie d'amitié. C'était la période dite de "l'age d'or du rap français" et on a commencé à écrire et poser nos premiers freestyles "fait maison" pour le délire chez notre pote Kyfran sur des faces B. En 1999, je pars vivre an an à Cergy et je rencontre au Lycée Vernon aka Skredy Lox avec qui j'ai formé le duo La Substance. Frustré de ne pas avoir mes propres instrumentaux, je commence à m'essayer à la prod grâce à "Music 2000" sur Playstation et j'enregistre mon premier morceau en studio pour La Substance. Le track finira sur la compilation Total Rap. Puis je décide enfin de passer au niveau supérieur en bossant avec un vrai logiciel sur ordinateur. J'abandonne petit à petit le mic pour me concentrer sur la composition. Je croise de temps en temps Rimcash qui continue à kicker de son coté. En 2009, je rencontre LD Kick avec qui nous avions réalisé un EP conceptuel entièrement produit par moi-même. Pour l'occasion, je pose sur un titre et m' étonne à reprendre plaisir au microphone. Ensuite, J'écris et produit le morceau "Peep Show" et "Dans ma galaxie" qui ne sortira pas. A ce stade, je m'étais rendu compte que je n'avais jamais fait de projet concret avec Rimcash. On commence à en parler, on enregistre 1, 2 puis 3 morceaux et la suite s'enchaîne vite. C'est le début de Rimcash & Didaï et de la "MothaFuckaMoock vol.01". A partir d'ici, vous connaissez la suite...
Goûte Mes Disques : On te retrouve plus souvent à la prod qu'au micro, pour quelles raisons ?
Didaï : Je me considère plutôt comme un beatmaker. Même si j'ai commencé par l'écriture, je me sens plus à l'aise derrière les machines. Pour moi le rap, c'est un bonus, j'ai rien à défendre et mine de rien, c'est assez sport de composer, écrire, poser, mixer son morceau. Quand je suis au micro, c'est vraiment pour kiffer, j'ai pas l'ambition de dépasser ou d'être plus fort qu'un autre mc. Mon pote MaM m'avait bien défini en tant que rappeur : T'es ce genre de gosse qui fait sa connerie devant les autres puis se barre insouciant en laissant une impression.
Goûte Mes Disques : A ce sujet, comment travailles-tu ? Avec quel matériel, quel logiciel?
Didaï : Je suis passé par toutes sortes de matériel mais ma configuration actuelle est un ASR-10 (pour les samples), un synthé Korg Triton et la Bass Station (synthé analogique). Je séquence sur Nuendo et j'utilise aussi quelques VST. A l'époque j'étais un vrai geek de matos, je passais mes journées à squatter les forums pour savoir quel beatmaker utilisait tel synthé ou boite à rythme, comment avoir le son d'untel, les compresseurs, l'acoustique etc...mais je me suis rendu compte qu'au final j'étais moins productif et que je connaissais plus les caractéristiques d'une machine je ne possédais pas, que mon ASR-10 (rires). Moralité, les forums et réseaux sociaux peuvent être des pièges à créativité.
Goûte Mes Disques : La série Didaï à la prod a connu un certain succès, va-t-elle continuer à la rentrée ?
Didaï : Oui et cela me surprend. Je peux même te dire que certains suivaient les Didaï à la prod mais ne connaissaient ni Rimcash & Didaï, ni DjunZ . Pour l’anecdote, les Didaï à la prod se sont crées sur l'instant. C'était en janvier 2011, nous avions invité Nekfeu et Alpha Wann pour le morceau "Peu me suffirait". A la fin de la session, les deux bougs m'ont demandé d'écouter des prods et pendant que je faisais tourner les sons, ils ont tout naturellement freestylé dessus. J'ai filmé direct (c'est pour ça aussi que la qualité de la vidéo est shlag) et à ce moment Rimcash me sort le concept des Sessions. Donc je tiens à dire que sans l'idée de Rimcash, il n'y aurait peut être pas eu les sessions Didaï à la prod. Pour cette saison, cela s'est arrêté en août mais j'ai repris courant septembre.
Goûte Mes Disques : En plus de cette série, tu viens de sortir avec Djunz ton premier EP, puis le deuxième volume de la Mothafuckmook mixtape dans la foulée. C'est une période faste pour toi j'ai l'impression non ?
Didaï : Oui, ajoute à cela, mes compos perso, les collaborations etc...On est un peu la génération infatigable ! On envoie, à la différence qu' à coté de nous il y a d'autres talents qui font de même, du coup, il y a un leitmotiv qui s'installe.Et puis comparé à il y a quelques années, tout est à portée de main, que ce soit pour enregistrer, composer ou faire des clips... tout se fait très vite. Internet à facilité les démarches de promotion grâce à des sites comme Facebook ou Twitter, les contacts se font aussi plus aisément. Je pense que sans le net, je n'aurai jamais rencontré des types comme Grems ou Triptik.
Goûte Mes Disques : D'ailleurs comment le groupe Djunz est né ? Qu'apporte Greg Frite dans ton duo avec Rimcash ?
Didaï : Tout a commencé par une simple collaboration Rimcash x Greg Frite pour le morceau "On connait la chanson" en avril 2010. Le résultat était fou ! Dans notre enthousiasme, on a enchaîné sur "C'est ça que veulent les jeunes" avec Dabaaz. Les affinités se sont faites très vite, on avait l'impression qu'on se connaissait depuis toujours. Puis quelques jours après Rimcash m'appelle et me dit :"Didaï, balances des prods, je suis avec Le Greg Frite, on part sur un projet tous les trois". Greg me parle du concept, me donne le nom du groupe et la machine était lancée. Il est en quelque sorte le maillon complémentaire de Rimcash & Didaï. D'un côté tu as l’exubérance de Rimcash, de l'autre mon coté plus posé et au milieu Greg Frite qui apporte l'équilibre entre nos deux tempéraments, en plus de son énergie et sa maturité.
Goûte Mes Disques : Tu as beaucoup d'influences West Coast dans tes prods, pourquoi ? Qu'est-ce qui te plaît dans cette musique ?
Didaï : Si mes influences sont marquées par la West Coast, c'est tout simplement parce que j'ai eu le déclic avec Warren G et Snoop comme j'y ai répondu au sujet de mon parcours. Certains de mes potes étaient déjà calés en la matière et je les entendais parler de "NTM", "IAM", "Moda & Dan" ou "LL Cool J", "Public Enemy" et "Slick Rick" pour les cainris. J'avais du mal au départ car musicalement c'était trop binaires pour moi. Une rythmique et un sample qui tournent en boucle, je n'étais pas prêt (rires). Du coup quand le G-Funk est arrivé, j'ai eu une approche différente, car les morceaux étaient structurés comme des titres pop, avec des refrains, des mélodies plus festives, des instruments live. La Californie a clairement contribué à l’évolution du rap à mes yeux.
Goûte Mes Disques : De manière générale, quelles sont tes autres principales influences ?
Didaï : J'ai beaucoup trop d'influences, je ne pourrai pas tous te les citer. En hip-hop je n'ai aucune limite: ça va du gros son du Queens Bridge aux ambiances de Detroit en passant par la dirty d'Atlanta. Le hip-hop est tellement varié, il y en a pour tout les goûts et je trouve ça vraiment cool ! J'ai eu aussi une bonne période, electro, rock et british pop. Je suis un gros fan de Radiohead et de Gorillaz. J'ai une grande admiration pour les Daft Punk. J'essaie de faire passer toutes mes influences à travers mes prods. De tout façon, tu l'auras remarqué, je ne suis pas enfermé dans un style de son et mes Didaï à la prod en sont la preuve. Je m'inspire aussi de toute les musiques qui ont bercé mon enfance comme celles du top 50, les génériques de dessins animés, les pubs, les b.o. de films etc...Je compare beaucoup la musique à la nourriture. On dit qu'il faut manger varié pour etre en bonne santé. Dans le son c'est pareil ! J'adore le boom bap par exemple mais je ne pourrai pas n'écouter que ça, au bout d'un moment je sature.
Goûte Mes Disques : Quels sont les beatmakers qui te plaisent, en France et à l'étranger ?
Didaï : En France, j'ai beaucoup aimé le travail de Doctor L sur le premier EP solo de Stomy Bugsy sortie en 96 si je ne dis pas de conneries. D'ailleurs c'est le seul truc de rap français que j'ai en vinyle dans ma collection. Il y a Drixxxé qui fait partie des meilleurs producteurs de rap en France. Ma culture musicale fait tache à coté de la sienne, mais son ouverture musicale m'inspire beaucoup, notamment son side project Mc Luvin avec Gystere. Ce dernier aussi est très fort.Sa prod "Gonzesse" entre autres est une perle.En fait il y a de très bon beatmakers français connus et inconnus que j’apprécie, j'ai l'impression que ça se développe dans le bon sens pour nous.
Outre-Atlantique, la liste est longue mais mes trois réfèrences sont Daz, The Neptunes et Timbaland. Je soupçonne meme Daz d'etre le vrai producteur derrière Doggystyle. Pour moi, il fait partie de ceux qui ont contribué à l'identité du rap californien. The Neptunes c'est la gifle venue de nulle part ! Pharrell et Chad sont des génies de la musique. Ils nous ont servi la même caisse claire, sur plus de la moitié de leurs oeuvres et ça fonctionnait à chaque fois. Leurs drums étaient fat ! D'ailleurs Chad Hugo avait produit entièrement l'album son pote Kenna, une boucherie pop rock alternative que j'écoute encore ! Timbaland, un autre extra terrestre, m'a retourné le cerveau avec ses beats saccadés, je l'ai toujours trouvé en constante evolution. Il arrivait à se démarquer des autres producteurs. Quand les gens commençaient à l'imiter, il a su réagir et arriver avec un autre son en samplant des ambiances orientales puis est parti plus tard sur des sons plus old school et minimalistes. J'avoue que j'ai un peu lâché depuis ses projets Shock Value, auxquels je n'ai pas accroché. Mais qu'on l'aime ou pas, il fait partie de l'histoire du hip-hop.
Goûte Mes Disques : Djunz fait partie d'une nouvelle vague de rap en France, dont la plupart étaient présents au Can I Kick It. Que penses-tu de cette nouvelle vague ?
Didaï : Ca fait énormément plaisir de voir un engouement qui se recrée dans le rap français. On fait de la musique pour le kif avant tout, et tu peux le sentir.Après tu auras toujours les haters qui te mettrons des bâtons dans les roues en pensant avoir inventé le hip-hop mais cette nouvelle vague débarque, à mon avis, dans le but premier de faire de la musique. Ce qui me rend encore plus enthousiaste c'est que chacun arrive avec son univers, du coup il y en a vraiment pour tous les goûts. Set&Match ne ressemble pas à 1995, A2H ne fait pas du Ockney ou bien Wilow Amsgood ne rappe pas comme Meksa 'Peal.Que se soit en termes d'écriture, de flow ou d'univers sonores le hip-hop est aussi varié que les modèles de Air Jordan (rires).
Goûte Mes Disques : Pour finir, quels sont tes projets à venir ?
A la rentrée il y aura un clip de DjunZ et début octobre, la sortie du second EP de DjunZ avec une ambiance différente du premier. Ca sera la saison 2 des Didaï à la prod Session et il y aura surement quelques inédits et surprises faitês sur l'instant ! Restez cablés les DjunZ !