Dear Reader
Débarqué au plus froid de l’hiver, le premier album de Dear Reader, Replace Why With Funny, est sans doute l’une des plus belles surprises du premier semestre 2009. Gorgé de mélodies chaudes et entêtantes, porté par une voix cristalline, le disque a surtout permis de révéler une personnalité forte et intrigante, celle de la sud-africaine Cherilyn MacNeil.
Au détour d’un passage par Reims en compagnie de Get Well Soon, nous avons pris contact avec la jeune femme qui a accepté de répondre à quelques questions pour Goûte Mes Disques. L’occasion d’en savoir plus sur la genèse de ce groupe et de ce premier album qui n’en est finalement pas un !
Goûte Mes Disques : Comment s’est passée cette tournée européenne ?
Cherilyn MacNeil : Ça a été vraiment super ! Nous avons tourné en tête d’affiche en Allemagne et l’accueil du public a été bien au-delà de nos espérances. Quant à la tournée avec Get Well Soon, ce n’est que du plaisir, ces gars sont vraiment adorables, d’ailleurs deux de leurs musiciens nous accompagnent sur scène. Je pense que ça va nous paraître très calme quand on va rentrer à la maison, on va sans doute être un peu perdus pendant quelques temps…
GMD : L’album est sorti depuis quelques mois maintenant (février en Allemagne, avril en France) et il a été extrêmement bien accueilli par la presse un peu partout. Est-ce que ça vous a surpris ?
C.M. : Oui et non. Bien sûr, nous n’avions aucune idée de la manière dont ça se passerait en Europe, surtout que certaines personnes nous disaient que le disque était trop doux, trop sincère – alors on avait des doutes. Mais en même temps, nous sommes entourés d’une équipe formidable qui avait tellement foi en cet album que quand les premières critiques sont arrivées, on n’a presque pas été surpris. Ce qui ne nous a pas empêchés d’être ravis !
GMD : Peux-tu nous raconter l’histoire de Dear Reader ? Quand et comment le groupe s’est-il formé ?
C.M. : Il y a environ cinq ans, Darryl (NDLR : Torr, producteur, guitariste et musicien à tout faire du groupe) m’a découverte en train de chanter timidement mes chansons lors d’une soirée acoustique à Johannesburg. Il m’a alors prise sous son aile et m’a emmenée dans le petit studio où il travaillait comme producteur et ingénieur du son. Ensemble, nous avons enregistré un premier album en 2006 sous le nom de Harris Tweed. Mais alors que nous étions en train d’enregistrer Replace Why With Funny, nous avons reçu une lettre des avocats de la fameuse maison écossaise de vêtements Harris Tweed Authority nous demandant d’arrêter d’utiliser ce nom. Et voilà comment nous sommes nés une seconde fois sous le nom de Dear Reader.
GMD : Ça faisait déjà longtemps que tu écrivais à ce moment ?
C.M. : J’ai commencé à écrire quand j’avais 14 ans environ. C’est quelque chose que j’ai toujours fait d’abord pour moi, quelque chose de très personnel et de quasiment cathartique, une manière d’extérioriser ce que j’ai sur le cœur et dans la tête. Mais la plupart des chansons présentes sur Replace Why With Funny sont récentes, elles ont été enregistrées entre 2007 et 2008, peu de temps après une séparation – je pense que c’est assez évident si tu écoutes les textes. L’album est donc un instantané d’une période assez courte de ma vie.
GMD : Quelle musique écoutez-vous ? Et qu’est-ce qui vous inspire ?
C.M. : Musicalement, l’influence principale du disque est Brent Knopf et Menomena, on peut trouver sa patte et son style un peu partout (NDLR : notamment au niveau de l’utilisation des chœurs). Le reste est plus subliminal : j’écoute beaucoup de choses mais cela ne se ressent pas spécialement sur notre son. Mais je citerais quand même Laura Veirs, Arcade Fire, Regina Spektor…
GMD : Pour la plupart des européens, il est difficile d’imaginer ce qu’est la vie au quotidien en Afrique du Sud. Quelle relation entretiens-tu avec ton pays et avec la ville de Johannesburg ?
C.M. : Comme je le dis souvent, Johannesburg est une ville que j’aime et que je déteste en même temps. J’y aime l’amicalité et la passion des gens, leur esprit si fort. J’aime aussi les orages en été qui sont à la fois terrifiants et excitants. Mais je déteste le sentiment de peur et de méfiance avec lequel nous sommes obligés de vivre au quotidien. Le danger est présent à chaque coin de rue, tout comme cette pauvreté et cette souffrance dont nous sommes les témoins impuissants…
GMD : Quand on parle de musique, l’Afrique du Sud n’est pas vraiment le pays auquel les gens pensent instinctivement. Former un groupe, se faire signer et sortir un album ne doit pas vraiment être la chose la plus facile à faire ?
C.M. : Il y a pourtant une industrie musicale en Afrique du Sud ! Elle juste extrêmement petite – comme une version miniature de l’industrie que vous avez en Europe et aux Etats-Unis. C’est donc à la fois plus difficile et plus simple à vivre. C’est plus simple parce que même si vous êtes seulement moyens, les opportunités ne manquent pas pour les groupes et la concurrence n’est pas très forte. Nous n’avons par exemple eu aucun problème à trouver un label pour distribuer notre premier album une fois que nous l’avions enregistré. Mais par contre, les possibilités d’évoluer sont très limitées. En matière de musique alternative, il n’y a aucun précédent, aucun exemple à suivre, il n’y a d’ailleurs pas vraiment de « scène » sud-africaine à proprement parler. Alors vivre de sa musique uniquement dans le pays, inutile d’y penser !
GMD : Vous commencez à avoir un vrai public de fans en Europe. C’est également le cas dans votre pays ?
C.M. : Oui, on a un fan-club tout petit mais très fidèle en Afrique du Sud. Comme pour le reste, c’est à l’échelle du pays : si nous jouons à Durban nous aurons 150 personnes, 200 à Cape Town, et peut-être jusqu’à 300 spectateurs à Johannesburg. Il nous reste sans doute encore une petite marge de manœuvre mais soyons réalistes, pour le style de musique que nous jouons, le public sud-africain est sans doute trop « dur ». Ou plutôt est-ce notre musique qui est notre douce.
GMD : Replace Why With Funny ? Remplacer “pourquoi” par “drôle” ? Que veut dire ce titre ?
C.M. : C’est une “private joke”, une blague très personnelle que je suis sans doute la seule à pouvoir comprendre. Comme tu l’auras remarqué, j’ai tendance à tout prendre trop au sérieux, à commencer par moi-même. Je me suis donc lancé un défi, celui de prendre les choses un peu plus à la légère, et d’apprendre à rire de ce qui me déprime d’habitude. Or, si le disque parle de choses très douloureuses, il a aussi un côté un peu léger, un peu comme si la musique se moquait des paroles, et me disait « hey, tu vois, c’est pas si grave ». Il y a un peu de tout ça dans ce titre.
GMD : Peux-tu nous en dire plus sur le concept de la couverture de l’album et de ces étranges créatures qu’on y voit ?
C.M. : Le design de la pochette a été réalisé par Nicole Dersley, ma meilleure amie. Nous nous connaissons depuis le lycée et nous avons beaucoup discuté ensemble de l’idée de créer des animaux, des sortes d’hybrides entre plusieurs espèces qui représenteraient les différentes émotions qui transpirent de la musique. Si tu regardes bien, l’environnement dans lequel évoluent ces créatures est également très travaillé : il y a une zone polaire, une zone africaine, un bord de mer et une sorte de zone de combat. Elle m’a dit avoir cherché à représenter le voyage émotionnel que la musique lui a fait faire…
GMD : Tu parles d’une zone polaire : à Reims, tu as dit que les ours polaires étaient la meilleure cachette au monde. Est-ce que tu peux nous expliquer de quoi parle la chanson "Great White Bear" ? Qui cherche à se cacher et surtout de quoi ?
C.M. : “Great White Bear” est l’une des premières chansons narratives que j’ai écrites, l’une des premières à ne pas être purement personnelle. C’est l’histoire assez basique d’un amour impossible, un garçon et une fille qui n’ont pas le droit d’être ensemble et qui cherchent à s’enfuir. Ils sont pris en chasse par le père de la fille qui, en essayant d’abattre le garçon, manque son tir et tue sa fille. Le garçon finit par se cacher dans un ours polaire et réalise alors ce qui vient de se passer… Mais derrière cette histoire, j’ai surtout voulu faire passer le sentiment très fort que j’éprouve parfois, une envie de me cacher du monde, de me couper de tout et de tout le monde. Un sentiment très fort de perte de repères, de lassitude, de fatigue...
GMD : Vous jouez souvent sur scène un nouveau morceau intitulé “Heavy”. Vous pensez déjà au prochain album ?
C.M. : En fait, je présente "Heavy" comme une nouvelle chanson mais c’est un morceau que j’ai écrit fin 2008 et que nous avons enregistré en une journée pour iTunes. Après cette tournée européenne, nous allons prendre quelques semaines pour nous reposer et j’espère en profiter pour écrire de nouveaux morceaux. Mais je ne pense pas que nous rentrerons en studio avec un nouvel album à enregistrer avant 2010…
Un grand merci à Cherilyn pour sa disponibilité, et à Tim Pagel chez City Slang pour sa réactivité.