Christian Lee Hutson
On aurait raison de qualifier la musique de Christian Lee Hutson de sous-cotée. Pourtant, ce singer-songwriter californien traîne sa carcasse de "sad kid" sur la scène indie-folk depuis 2010. Il incarne à la perfection l’archétype du genre : un style mi-cowboy mi-dandy, des textes nourris à la prose d’Elliott Smith et une production d’une efficacité redoutable.
Bien que son succès personnel reste relatif, Hutson s’est imposé comme une figure incontournable de l’industrie en collaborant sur certains des projets indie les plus en vogue de Los Angeles - on pense notamment à ses contributions aux albums de son amie Phoebe Bridgers ainsi qu’à ses compositions pour Maya Hawke, la népo-baby la plus attachante d’Hollywood, avec laquelle il partage sa vie.
De passage à Paris pour défendre son disque Paradise Pop 10, une sublime chronique d’un vol transaméricain marquant une transition vers des textes plus personnels, nous avons partagé une longue discussion sur son processus de création.
Goûte Mes Disques : Le voyage est un thème important dans Paradise Pop 10. En tant qu’artiste constamment en tournée, comment tu t’adaptes à ce mode de vie ?
Christian Lee Hutson : J’ai passé tellement d’années de ma vie en tournée que cela en devient une routine... monter dans le van, aller à l’événement, et ainsi de suite. J’adore voyager, mais ce qui rend cette tournée spéciale, c’est de pouvoir emmener mes amis avec moi. Habituellement, tourner en Europe était une expérience assez solitaire : juste moi, ma guitare et le tour manager. Sur celle-ci, j’ai pu emmener un groupe de musiciens que je considère comme des amis, et ça rend l’expérience beaucoup plus agréable. En vieillissant, ce que je recherche le plus en tournée, c’est surtout avoir suffisamment de sommeil et que tout le monde se sente assez bien pour ne pas regretter d’être là.
GMD : Ton nouvel album Paradise Pop 10 est aussi une nouvelle collaboration avec Phoebe Bridgers qui a produit l’intégralité de celui-ci. Cette collaboration vous a-t-elle fait évoluer artistiquement ?
CLH : Cela fait presque dix ans que nous faisons de la musique ensemble. Nous écrivons des chansons l’un pour l’autre. C’est la relation créative la plus stable de ma vie. Travailler avec elle est toujours très simple et inspirant. Nous partageons une certaine connexion, presque comme si nous avions un cerveau commun en matière de création.
GMD : Vous partagez également votre amour pour Elliott Smith. À ce propos, tu as enregistré cet album dans un studio nommé Figure 8. Est-ce une coïncidence heureuse ?
CLH : Oui, totalement. Le nom du studio n’a aucun lien avec Elliott Smith. Il appartient à mon ami Shahzad Ismaily (collaborateur d’Arooj Aftab, ndlr.), et dès que je l’ai découvert, j’ai su que je voulais y enregistrer un album. L’espace était accueillant, et comme je venais de m’installer à New York, l’idée de pouvoir me rendre au studio à pied m’a tout de suite séduit. C’est principalement ce qui a motivé mon choix.
GMD : La santé mentale compte beaucoup dans la composition ?
CLH : Oui, j’essaie toujours de me mettre dans les meilleures dispositions possibles pour prendre des décisions. Quand on est fatigué ou de mauvaise humeur, il devient difficile de voir les choses clairement.
GMD : Cela se ressent dans cet album, qui semble plus intime, notamment grâce Maya Hawke qui est créditée à l’écriture des titres. Ce processus a-t-il été différent ?
CLH : Oui, complètement. Cela fait quelques années qu’on écrit ensemble. On s’est rencontrés en 2021 et on est tout de suite devenus amis. Un peu comme avec Phoebe, on a commencé à écrire des chansons ensemble presque immédiatement. C’est une belle manière de créer une relation. On parle constamment de nos émotions quand on est ensemble, et cela se reflète naturellement dans l’écriture. Maya a une capacité incroyable à aller au fond des choses et à les comprendre, ce qui m’aide énormément à structurer mes idées. Pour cet album, notre dynamique était différente de celle de sa propre musique solo : on s’est beaucoup amusés, on a fait des bêtises, on a cherché à se faire rire et à se surprendre. C’est une très bonne dynamique.
GMD : Dans Candyland, il y a un vers magnifique : "A poem is a gateway drug" (Un poème est une drogue d’abandon). Écris tu pour échapper à quelque chose ?
CLH : Je ne sais pas si je le fais pour fuir. Je dirais plutôt que c’est une façon de donner du sens à ma vie et à mes émotions. Dans mes textes, tout devient plus tangible et moins confus. Peut-être que certains pourraient voir cela comme une forme d’évasion, mais pour moi, c’est tout l’inverse : cela m’aide à avancer.
GMD : Skeleton Crew est une chanson surprenante par sa simplicité lyrique. Est-ce une manière de te connecter au style de votre idole, John Prine ?
CLH : Peut-être. Cette chanson m’est venue très rapidement, avec une idée claire dès le départ, ce qui est assez rare pour moi. J’ai même hésité à l’inclure dans l’album, car elle détonne des autres, aussi bien dans le ton que dans l’approche musicale. Habituellement, mes chansons prennent forme de manière assez naturelle au fil de l’écriture, mais pour celle-ci, j’avais déjà une histoire bien précise en tête. Cela pourrait effectivement rappeler la méthode d’écriture de John Prine, que j’ai toujours imaginé comme quelqu’un qui visualisait tout avant même de poser les mots.
GMD : C’est ta chanson préférée sur cet album ?
CLH : C’est compliqué car cela change constamment quand je suis en tournée. En ce moment, j’adore jouer Fan Fiction. J’apprécie mes chansons à travers le travail des autres dessus, et celle-ci contient de nombreuses paroles écrites par Maya, ce qui me rend particulièrement fier. Mais la chanson pivot de cet album, pour moi, c’est After Hours. Son écriture a d’ailleurs commencé ici, à Paris, lors de mon dernier passage.
GMD : Quand tu étais jeune, tu voulais être romancier. Est-ce que tu abordes tes albums comme des livres ?
CLH : Oui, parfois, mais je les considère plutôt comme des recueils de nouvelles. Chaque chanson a son propre univers : je développe des personnages, une mission, un arc narratif. J’ai toujours aimé les nouvelles. Raymond Carver, John Cheever et Richard Yates font partie de mes auteurs préférés, et c’est ma manière de m’inscrire dans cette tradition littéraire.
GMD : Comment viennent tes chansons ? Est-ce que tu attends d’avoir l’idée d’un album complet pour les structurer ?
CLH : J’écris souvent, mais c’est assez compliqué en tournée parce qu’on n’a pas vraiment de temps pour soi. En général, j’attends les moments plus calmes pour écrire. J’ai besoin d’être dans un endroit calme, seul et posé pour trouver l’inspiration. Parfois, l’inspiration arrive en pleine tournée, ce qui est frustrant, car il est impossible de la canaliser à ce moment-là. Mais je ne vois pas cela comme des occasions manquées. Je me dis que ce qui doit arriver, arrivera.
GMD : Dans la chanson Rubberneckers, tu dis : "If you tell a lie for long enough, then it becomes the truth" (Un mensonge répété finit par devenir une vérité). Comment ces paroles résonnent-elles après la réélection de Trump ?
CLH : C’est drôle, je n’avais jamais fait le lien. Je pense que le succès de Trump n’est pas tant lié à ses mensonges, mais plutôt à sa capacité à donner aux gens l’impression d’être entendus, même si cela les pousse vers des extrêmes. Cela met en lumière un problème plus large de notre époque : l’incapacité des gens à communiquer et à écouter. C’est un thème que j’aborde souvent dans ma musique. J’essaie de dépeindre les personnes qui m’entourent telles qu’elles sont, de parler de notre époque, de l’isolement, et de la remise en question de la masculinité. Je ne serais pas surpris que certains de mes personnages soient trumpistes.