Interview

Chloé

par Émile, le 18 septembre 2017

Pendant notre séjour à Uzès pour les Electros, Chloé a accepté de passer un moment avec nous avant son concert pour parler, entre autres choses, de son nouvel album, Endless Revisions qui sortira ce 27/10 sur sa structure Lumière Noire. 

GMD : Ça fait six ans que tu n'as pas sorti d'album : Endless Revisions, c'est un projet de longue date ou bien est-ce que tu as arrêté de penser en terme d'album pour passer sur d'autres modes de production ?

Chloé : En fait, après mon album, j'ai eu des projets qui se sont enchaînés, par forcément que perso. Il y a eu de la production musicale, pour d'autres gens, des spectacles de théâtre, des maxis plus "club", des formats plus courts, moins contraignants. Un album, c'est un projet plus long à mettre en place, et j'avais envie de prendre de l'air par rapport à ça. J'aime bien ne pas me sentir obligée de faire un disque, de rentrer dans les codes dans lesquels on t'attend. Heureusement, c'est un plaisir, mais j'avais vraiment envie de le faire sans contrainte.

GMD : Du coup, le fait de passer de Kill The Dj à ton propre label Lumière Noire, ça fait partie de ce renouvellement et de cette appropriation de ta musique ?

Chloé : Oui, tout à fait, Lumière Noire est une nouvelle entité que j'ai créée pour sortir notamment des maxis. Il y a une envie d'immédiateté que je voulais retrouver. Faut dire que le milieu de la musique électronique a beaucoup changé en quinze ans, donc en quelque sorte cela répond à mes attentes du moment. Je rencontre pas mal d'artistes, de producteurs, jeunes producteurs, qui m'envoient leurs morceaux. C'est des morceaux que j'ai envie d'avoir, mais pas simplement pour les jouer sur scène, aussi pour pouvoir les produire, créer un projet qui me ressemble et dans lequel je me retrouve.

GMD : Tu dis que la musique électronique a beaucoup changé en quinze ans, dans quel sens entends-tu cela ?

Chloé : En fait, c'est plus dans le sens où la musique électronique est devenue un business. J'ai commencé au moment où la musique électronique était underground, mais on se demandait pas si c'était underground ou overground, on le vivait très simplement. Aujourd'hui, c'est devenu un vrai marché, et au milieu de tout ça, Lumière Noire me permet de m'asseoir à ma façon, pour garder mon indépendance. Il y a des super labels qui font de super trucs, et c'est pas parce que j'ai créé Lumière Noire que je ne vais pas sortir des disques ailleurs. L'idée c'est vraiment de répondre à mes attentes du moment par rapport au milieu qu'est devenu la musique électronique. Gérer un label à ma façon, sans forcément rentrer dans les codes de ce qu'il faudrait faire ou ne pas faire. Les contraintes, ça m'oppresse un petit peu, t'avais compris... (rires).

GMD : Pour parler de ton nouvel album, on voulait discuter avec toi de ton single "The Dawn", dont on dit qu'il est né d'une participation avec l'Ircam (Institut de Recherche de de Coordination Acoustique/Musique) et qu'il a été enregistré avec une méthode très particulière. Est-ce que tu peux nous en parler ?

Chloé : C'est pas vraiment ça : en fait, pour ce morceau j'avais commencé à travailler sur des textures, sur un rythme obsessif de marimba, et pendant que je travaillais, j'ai rencontré l'équipe du son binaural de la Maison de la Radio. Le son binaural, c'est le son à 360° ; et Hervé Déjardin, l'ingénieur du son de la Maison de la Radio sur ce projet m'a proposé de mixer un de mes morceaux en son binaural pour me montrer ce que ça faisait. Il m'a dit de pousser le morceau au maximum, de vraiment l'imaginer comme un paysage sonore, et qu'il pourrait accentuer cela ensuite. Donc j'ai intégré cette idée à la composition du morceau, en insistant plus sur les textures, les ambiances, et on l'a mixé en son binaural. Par ailleurs, j'ai un autre projet avec l'IRCAM, qui s'appelle "Chloé X Ircam", mais qui interroge plus l'interaction du public avec les téléphones portables. Chaque personne dans le public a un téléphone portable, des écouteurs avec une piste séparée du morceau "The Dawn", et ils sont divisés en groupe par téléphone portable. Par exemple, moi j'aurais la basse, toi le kick ou le snare, quelqu'un d'autre arrivera et aura le marimba, et si on se rapproche je rentre dans ton cercle, et les pistes jouent ensemble. Si je m'enlève, j'ai ma piste indépendante, pareil pour toi. Les gens, du coup, peuvent jouer ensemble, et interagir sur le son en tournant ou bougeant le téléphone, ça fait des filtres et quelques effets.

GMD : C'est une expérience que vous avez déjà faite, avec l'Ircam ?

Chloé : Oui, on a déjà fait une expérience, mais sous un autre format, qu'on a appelé V1, dans les jardins du Palais Royal, où les gens intervenaient pendant le live, presque de sorte à ce que le public n'ait plus besoin de moi. Après cela on a décidé de faire évoluer le projet avec le morceau du nouvel album, ce sera la V2, avec l'idée de faire encore plus participer les gens. Mais avec l'Ircam on est tout le temps en mutation, c'est jamais figé, et on s'interroge sur des possibilités, on va poursuivre, peut-être ça deviendra la V3, je sais pas... (Rires)

GMD : Ce projet avec l'Ircam, il fait ressortir ce qu'il y a depuis longtemps chez toi, et qu'on retrouve sur ton nouvel album, cette capacité à s'éloigner de la techno pour aller vers de la musique expérimentale ou de la création contemporaine, par exemple avec le morceau "Pendulum" sur ton nouvel album, qui se rapproche plus de cet univers sonore, des créations comme celles Luc Ferrari ou de l'école spectrale. Est-ce que c'est le genre de projet vers lequel tu glisserais, à terme ?

Chloé : J'aurais pu créer un pseudonyme et partir dans un projet plutôt musique contemporaine ou musique concrète, mais au bout d'un moment, ça me saoule aussi, je me sentirais un peu étouffée à ne faire que ça. Je préfère aller chercher ce qui m'intéresse à l'Ircam ou dans l'école spectrale ; y a pleins de compositeurs qui restent très contemporains encore aujourd'hui, mais après je viens aussi de la techno, des soirées club, c'est un mélange de tout cela que je voudrais faire. J'aurais pu créer des catégories et dissocier des projets, mais il s'avère que quand je mixe et quand je produis, je dissocie, mais après tout se répond. Quand je mixe, ça me donne de l'énergie, et quand je produis, j'amène ce que j'ai vécu avec le public et cette énergie j'essaie de la transformer, comme de la récupération constante.

GMD : Avec un projet plus expérimental, comme il y a par moments sur ton set live, tu aurais peur de perdre un rapport privilégié avec le public ?

Chloé : J'ai fait un conservatoire d'arrondissement, d'électro-acoustique mixte, et c'était hyper passionnant, j'ai pris ce qu'il y avait à prendre, et puis je tournais un peu en rond, donc j'ai pas senti une envie particulière de me plonger corps et âme dans ce milieu là. J'aime vraiment toutes ces formes de musique électronique, j'aime quand c'est complexe, mais j'aime rendre cela simple et énergisant pour le public.

GMD : C'est pour ça aussi, que tu souhaites conserver de la pop dans tes albums ? Je pense notamment au morceau avec Alain Chamfort, dont tu avais déjà remixé un titre l'an passé.

Chloé : Oui c'est ça, c'est un peu parce que la musique électronique m'a permis de composer vraiment ce que je voulais. J'ai pas eu une éducation musicale classique, j'ai pas appris à lire la musique, mais en musique électronique, on a un truc génial qui s'appelle le MIDI (rires), et qui nous permet de contourner un peu tout ça. Malgré tout, avec les années et l'expérience, je me sers de ces outils là pour exprimer ma sensibilité propre. Je vois vraiment la musique électronique comme un pot-pourri, et chacun y met ce qu'il veut. Quand je dis que je suis dans la musique électronique, certains vont tout de suite penser techno, d'autres à des trucs barrés, c'est marrant comment chacun voit le truc. Pour moi, c'est surtout une méthode pour parvenir à faire pleins de choses.

GMD : Justement, pour parler techno, le single "The Dawn" est sorti avec un remix très techno de Dixon : comment ça s'est fait ?

Chloé : Oui, je lui ai vraiment proposé spontanément...

GMD : ...tu le connais personnellement ou seulement par sa musique ?

Chloé : On a joué quelques fois ensemble, je l'avais invité à une soirée au Rex, et on a tous les deux été résidents au Robert-Johnson à Francfort, donc on se connaît un peu. On a aussi participé à la collection Live at Robert Johnson. Le morceau me tenait vraiment à coeur, et la seule personne à qui j'avais envie de demander un remix, c'était Dixon. Donc je lui ai demandé, il m'a répondu oui directement, ça s'est fait très facilement.

GMD : T'es satisfaite du remix, c'est à ça que tu t'attendais ?

Chloé : Oui, il a tourné le morceau original dans un style beaucoup plus techno et club,  c'est son parti pris, je le respecte.

GMD : Il y a une dernière chose dont on voulait parler avec toi, après on te laissera faire ton set : cette année, le festival d'Uzès a une programmation paritaire, quatre Djs homme et quatre Djs femme. Est-ce que c'est une initiative qui te plaît ? On sait aussi que tu t'étais plainte d'être invitée à des soirées purement filles alors que le style musical collait pas du tout.

Chloé : Oui des fois c'est relou...

GMD : On a vu une interview de toi sur Brain en 2010 où tu parlais d'une horrible soirée au Macumba, où on t'avait demandé de partir après le premier morceau.

Chloé : (Rires) Ça dépend vraiment du promoteur ; c'est un problème qui se passe en amont, et c'est pour ça qu'on a des agents, pour éviter ça... Mais c'est très bien que dans un festival comme les Electros d'Uzès, on ait fait programmation paritaire, c'est important de montrer l'exemple. Ça montre à un moment donné qu'il faut imposer des choses pour donner une ligne exemplaire. Tous les artistes sont plutôt de qualité, et je suis super contente de jouer avec AZF, DVS1 ou Amelie Lens.

GMD : Du coup, qu'est-ce que tu vas jouer ce soir ? Le festival est quand même extrêmement techno...

Chloé : ...mais grave ! Alors tu crois que je vais être complètement à côté de la plaque ? (Rires)

GMD : Non pas du tout ! Je me demande si tu vas t'adapter où si tu vas faire quelque chose de plus varié. Parfois en live tu proposes des passages vraiment complexes, avec aucun kick pendant plusieurs minutes, je me demande comment ça passerait ici...

Chloé : Non je vais faire mon truc, mais en live c'est vraiment autre chose, et j'aurais certainement pas été invitée sur le live dans cette programmation. Le live est pas fait pour être joué dans ces conditions. En Dj set, je fais en fonction du mood, et comment je sens le truc. Je sais pas trop ce que je vais faire, je calcule pas vraiment. Alors c'est vrai que je me suis dit "Tiens, c'est quand même vachement techno", mais moi j'aime bien la techno, donc pourquoi pas, on verra bien !