Interview

Black Strobe

par Simon, le 20 juillet 2007

Après un premier album controversé (Burn your Own Church), l'heure est au premier bilan pour Black Strobe. Un peu avant leur passage sous un chapiteau noyé de sueur, nous avons pris le temps d'interviewer leur leader, le charismatique Arnaud Rebotini au coeur d'un début de soirée étouffant sur la plaine de la Machine à Feu de Dour. Une interview sans concessions où le chanteur-rockeur ne mâche pas ses mots. On n’en attendait pas moins de la plus grande gueule de l'electro-rock français.

GMD : Comment passe-t-on d’un Remix Selection carrément orienté club à un Burn Your Own Church à ce point influencé par le rock ? Quel a pu être le cheminement, la maturation qui a amené à la réalisation d’un tel album ?

Arnaud Rebotini : Ce n’est pas une mutation, c'est-à-dire qu’en fait l’idée c’était de changer de dimension. Quand tu fais des remixes clubs pour faire danser les gens, tu te confrontes à un tas de règles à respecter, par contre quand tu fais un album que les gens écouteront chez eux et que t’as envie d’exprimer tes sentiments, il y a certaines règles que tu as envie d’oublier et de te laisser aller. L’histoire c’est ça. Sans cracher sur la musique club que j’adore, il y avait cette envie de pouvoir faire des ballades, de vraies chansons qui composent un album comme j’aime en acheter. Un disque à pouvoir écouter chez soi.

GMD : Quel est ce genre de disques que Arnaud Rebotini écoute chez lui ?

Arnaud Rebotini : J’écoute beaucoup Neil Young, Sonic Youth, Slayer aussi. Quand j’étais gamin, mon père écoutait beaucoup de soul ou de funk, et je pourrais te faire un set hip-hop old school que tu en tomberais le cul par terre, j’ai tous les disques (rires). D’ailleurs ça peut se ressentir dans l’album, le groove ça ne s’explique pas.

GMD : Le départ de Ivan Smagghe a fait grand bruit dans la presse, on imagine dès lors l’impact que cette nouvelle a pu avoir au sein d’une formation telle que la vôtre.

Arnaud Rebotini : Ca n’a pas eu autant d’impact qu’on a pu le dire car à la base dans Black Strobe, c’est moi qui compose la musique. Ivan c’est plutôt celui qui me conseillait de bien rester dans les règles club, il apportait son expérience de DJ. C’est quelqu’un que j’adore, j’ai adoré bosser avec lui, on échangeait plein de choses ensembles mais ça n’a pas été un séisme au sein du groupe, c’est juste parce qu’il est super reconnu en tant que DJ que son départ a fait grand bruit.

GMD : Quel pouvait être la nature de ce différend quand on sait que Black Strobe était en passe de devenir l’événement club de l’année 2007 ?

Arnaud Rebotini : Il est parti pour jouer sa carrière de DJ. Il habite à Londres et moi à Paris maintenant. C’est juste ça.

GMD : Quelle a été la meilleure manière de réagir à une telle annonce ? Burn Your Own Church, n’est-ce pas l’occasion rêvée de tourner définitivement le dos aux productions typées dancefloors dont Ivan Smagghe était, du moins pour la presse, le représentant attitré chez Blackstrobe ?

Arnaud Rebotini : Ce n’est pas vraiment une envie de tourner le dos à la scène electro, c’est un truc que j’aime bien. J’ai envie de faire les deux, un peu comme New Order qui pouvait passer d’un truc club à des titres plus sombres. Tu peux pas tout exprimer avec de la musique de club, comme tu ne saurais pas faire danser les gens avec du pur rock 'n' roll. Ce n’est pas une question de parité, j’aime la musique au sens large. Je n’aime pas la techno de « telle période à telle période », « de telle ville en particulier », ou l’inverse le « death-metal suédois de 1989 à 1992 ». Je m’en fous de ces trucs-là, je m’exprime en tant que musicien.

GMD : A propos de cette répartition des « tâches », pouvez-vous nous éclairer sur votre manière de procéder dans la production de titres et de remixes à l’époque d’Ivan Smagghe et, inversement, à l’époque de Burn Your Own Church ? Fonctionniez-vous de manière complémentaire ou par superposition ?

Arnaud Rebotini : La plupart du temps, soit pour les remixes ou les morceaux qu’on a faits, je faisais des démos avancées de mon côté et Ivan me disait ce qu’il aimait et ce qu’il aimait moins. Notre rencontre remonte à la fin des années 80, on est habitués à travailler ensemble de cette manière depuis le temps.

GMD : Avec cette toute nouvelle formation, quelle sera votre manière d’aborder le moment crucial du passage en live ? Le public doit-il s’attendre à une déferlante de rock en puissance ou les machines ont-elles encore bel et bien une place de choix au sein du groupe ?

Arnaud Rebotini : Il y a les deux. Il y a le côté club, on joue les vieux titres réinterprétés avec le son de maintenant.

GMD : Par rapport à ce virulent revirement de votre position musicale, ne craignez-vous pas de perdre des fans plus strictement habitués au son electro des Black Strobe ? Qu’avez-vous à dire, sans que vous ayez à vous justifier, aux fans qui n’ont pas compris cette rapide mutation ?

Arnaud Rebotini : C’est sûr qu’on a perdu des fans, maintenant je suis pas sûr que ces fans-là achetaient les disques. Ceux qui connaissaient vraiment Black Strobe (et pas seulement Ivan Smagghe) sauront de quoi il s’agit. J’ai eu simplement envie de faire un disque sincère, après ça je m’en fous de perdre des fans. Et puis je ne peux pas forcer les gens à aimer ma musique, j’ai donné sincèrement ce que j’avais à donner dans ce disque. Dans les interviews les gens me reprochent d’avoir arrêté la techno, mais ça n’a rien à voir, c’est une autre facette de ma musique. C’est un geste artistique, après il est compris ou pas.

GMD : A l’écoute de cet album, il est difficile de ne pas soulever une comparaison avec le Depeche Mode d’antan. Quel a pu être l’apport d’un tel groupe dans votre travail de composition ? N’avez-vous pas le sentiment d’avoir sorti l’album tant attendu par les fans de la bande à Dave Gahan, sûrement déçus par un retour controversé avec un Exciter mollasson?

Arnaud Rebotini : J’adore Depeche Mode, je trouve ça énorme. Ce n’est pas une référence directe mais je l’aime bien cette référence parce que j’aime cette envie d’artiste d’être partout à la fois finalement. J’admire des mecs comme Sick Of It All qui peuvent faire la même musique pendant vingt ans et rester énorme, moi je n’y arriverais pas. Etre partout en évitant de n’être nulle part, c’est le danger.

GMD : Quelle était le message à faire passer en décidant de revisiter le légendaire « I’m A Man » de Bo Diddley ?

Arnaud Rebotini : Je voulais faire une reprise sur l’album justement pour renvoyer au travail de remix. J’ai tergiversé, ça a été tout et n’importe quoi, avec plein de mauvaises idées, puis c’est à la fin de l’enregistrement que je me suis dit qu’il y avait pas mal de blues dans cet album. J’aimais pas mal le groove un peu plus rapide de Bo Diddley, son riff universel. Le reste s’est fait d’instinct.

GMD : On constatait déjà à l’époque de Remix Selection, cette tendance à fuir les grands plateaux, les articles démesurés dans la presse. Quelle est la nature de cette « répulsion » envers la hype ? Se tenir à l’écart d’une activité mondaine n’a-t-il pas été une certaine marque de fabrique chez Black Strobe au long de ces années, tant avant qu’après le départ d’Ivan ? Est-ce la manifestation d’une volonté quelconque ?

Arnaud Rebotini : Black Strobe a toujours été un peu anti-french touch, on a sorti nos premiers titres à l’époque des trucs acid et du disco filtré, nous en s’en foutait. Et c’est toujours le cas. Justice et tout ça nous fait vraiment chier, on trouve que c’est de la merde. Tu peux pas te réclamer de Metallica et faire la musique qu’ils font, et puis faire du funk comme Jacksons Five. On aurait pu reprendre du Daft Punk, mais c’est une question d’intégrité, je n’ai pas envie de faire la pute.

GMD : Certains se sont plu à voir dans le titre « Last Club On Earth » une symbolique profonde quant au climat actuel dans lequel évolue votre formation. Marque-t-il un adieu définitif au monde de la nuit ? Quel serait ce club dont vous parlez, où faudrait-il se rendre pour assister à cette fameuse soirée ? Les fluokids y seraient-ils autorisés ?

Arnaud Rebotini : J’adore ce titre, je l’ai pompé à Marilyn Manson du Last Tour On Earth. J’aime cette idée de brûler son église, d’être dans la fin des choses. J’aime le début et la fin, le milieu ne m’intéresse pas. J’aime les origines, « I’m A Man », et la fin, « Last Club On Earth ». Après peu importe où il se trouve ce club, c’est les gens qui y sont qui sont importants, sûrement en Belgique d’ailleurs. Et puis je suis pas pour interdire les gens, plutôt les mauvais groupes. Donc les fluokids oui, Justice, non.

GMD : Dans quelle mesure Black Strobe est-il encore capable d’évoluer ? Quel genre de surprises pourra nous réserver l’avenir du groupe ? Pouvons-nous espérer entendre à nouveau parler de vous sans devoir attendre autant de temps pour le prochain album ?

Arnaud Rebotini : Tout est ouvert. Je crois qu’il sera même encore plus rythm’n’blues. Rythm’n’blues mais avec de la TR-808, ce sera une idée comme ça.

GMD : Black Strobe aurait-il pu jouer au CBGB ?

Arnaud Rebotini : Ouais je pense.

GMD : Si demain Ivan Smagghe décide de réintégrer le groupe, qu’en sera-t-il ?

Arnaud Rebotini : Ce qu’il a apporté sur l’album, c’est les paroles. Si il veut réécrire les paroles du prochain album, il n’y a pas de problème. Mais ça reste peu probable.