C'est enfin l'heure de ce premier Wake Up The Dead de l'année, notre dossier consacré aux choses à retenir dans l'actualité des musiques violentes. Du coup, on a ratissé le premier trimestre pour vous parler des quelques grosses frappes qui ont pu passer entre nos esgourdes. Et en ce début d'an de grâce 2023, on est plutôt déjà gâté·es avec le retour des vétérans et quelques jeunes qui n'en veulent. Bonne lecture !
Obituary
Dying of Everything
Jeff
Oubliez le yoga du visage ou le bronzage d’anus : pour rester jeune, blast beats, riffs gras comme des loukoums et beuglements à répétition sont la solution qui va mettre à la retraite toutes les influenceuses lifestyle du globe. C’est en tout cas ce que l’on a envie de croire quand on écoute Dying of Everything, le onzième album d’Obituary, immense groupe qui vante les mérites du death metal depuis la fin des années 80. La cinquantaine bien tassée pour les trois membres historiques encore au line-up, et avec une discographie plus chargée qu’un chasseur à l’apéro, on pourrait se demander si un nouvel album d’Obituary est indispensable à nos vies, surtout si l’on a déjà des copies de Slowly We Rot ou Cause of Death dans la bibliothèque. Pendant un temps, la réponse a été non. Mais depuis un album éponyme sorti en 2017, les Floridiens ont retrouvé le chemin de nos cordes sensibles, qu’ils touchent avec leur habituelle brutalité. Fidèle à la maison Relapse, qui n’a probablement aucune intention de les lâcher, Obituary ne se renouvelle absolument pas, et entretient la flamme d’un death metal codifié à l’extrême certes, mais délivré avec une telle efficacité qu’il serait malvenu de jouer les pisse-froids. Et même si le disque s’ouvre sur un morceau intitulé “Buried Alive”, on en a la conviction : on en a pas fini avec Obituary.
Zulu
A New Tomorrow
Nikolaï
Le hardcore a toujours été la représentation sonore d’une bonne crise d’angoisse. Avec Zulu, il est aussi celui des troubles déficitaires de l’attention. Avec hyperactivité, ça va de soi. Pensé à la base comme le projet solo du chanteur et multi-instrumentiste Anaiah Lei en 2018, Zulu est immédiatement sorti du lot avec deux EP's qui en ont fait l'un des groupes les plus importants de l'underground extrême de ces dernières années. Parce qu’au-delà d’une volonté manifeste d’amener le hardcore vers des territoires beaucoup moins balisés, Zulu est porteur d’un message essentiel : celui de l’unité et de l’amour au sein de la communauté noire. Celui de célébrer la résilience plutôt que la douleur. A New Tomorrow, premier album du groupe, donne en effet le tournis par sa capacité à nous emmener du coq punk à l’âne plus chill. Chaque riff dévastateur a en contrepartie son sample funk et soul, chaque blast beat cache des parties hip hop et reggae. La liste des invités est aussi fournie que celle des journalistes pour un showcase privé dès qu’il y a du vin naturel sur place : Pierce Jordan de Soul Glo, Obioma Ugionna de Playytime, Paris Roberts de Truth Cult...Pensez à Malcolm X qui rencontre H.R. des Bad Brains qui rencontre des coups de tatanes dans ta gueule.
Enslaved
Heimdal
Erwann
Un nom de divinité nordique, une pochette de paysage, et sept morceaux pour cinquante minutes : pas de doute, on est bien face à du métal norvégien. Les vétérans d’Enslaved en sont à leur troisième décennie d'activité, et leur volonté de mélanger black et prog métal est restées intacte. Si Heimdal ne représente au final rien de bien surprenant pour les auditeur·ices aguerri·es, force est de constater que le talent d'écriture et l'amplitude sonore restent des forces sur lesquelles le groupe peut plus que jamais s'appuyer. Mais là où Enslaved démontre que leur succès sur la longueur n'est pas une histoire de hasard, c'est dans les légères surprises qu'il parvient à disséminer tout au long de l'album : entre les cordes acoustiques sur "Congelia", les influences krautrock ou le riff (presque trop) dynamique de la seconde partie de la chanson-titre, Heimdal est plein de ces moments qui nous rappellent pourquoi Enslaved fait toujours partie de la crème du métal norvégien. Seizième album et toujours pas celui de trop. Des darons.
Judiciary
Flesh + Blood
Alex
On les avait laissés en 2019 avec un premier album de bonne facture mais pas à la hauteur du potentiel entrevu sur une démo et un EP imbibé de hardcore aux accents thrash à la sauce Power Trip. Et on aurait eu tort de lâcher l'affaire. Car trois années ont permis à Judiciary de soigner son retour avec une grosse bête d'album qui ferait passer les précédents travaux de la bande de Lubbock pour l'affaire de débutants tant le glow-up est intense. Contrairement à certains collègues de leur écurie Closed Casket Activities (bisous à Vein.fm et Gulch), la formation texane a pris un peu plus de temps pour trouver sa formule mais tout indique sur Flesh + Blood que les feux sont au vert. On ne sait pas si c'est la double casquette de leur guitariste Israel Garza, également actif dans Gatecreeper, qui a laissé une grosse emprunte death sur ces nouvelles compositions mais les passionné·es de blast beats et de solis soyeux ("Stare into the Sun", "Cobalt", le très pressé "Steel Hand God") devraient y trouver leur compte. Grâce à une production monstrueuse, un songwriting solide et une envie claire d'en découdre dans des délais raisonnables (10 titres en moins de trentes minutes), Fresh + Blood fait plaisir et se montre généreux en breakdowns et mosh parts à s'en déboiter les membres (le gigantesque "Blood" où le single "Engulfed"). Voyez cet album comme la vision d'un groupe désormais en pleine possession de tous ses moyens. Autant dire, de l'excellent travail et une courbe de progression qui fait bien plaisir à tout le monde.
Rotten Sound
Apocalypse
GuiGui
Poids lourd du grindcore finlandais depuis 30 ans, Rotten Sound aura cette fois pris son temps pour revenir avec un nouvel album. Car si le dernier EP en date du groupe, Suffer To Abuse est sorti en 2018, cela fait bel et bien 7 ans que nous n’avions plus pu nous mettre un format plus long dans les esgourdes. Mais la pression n’est nulle part chez Rotten Sound et c’est d’ailleurs grâce à cette vision que la formation déçoit rarement. Qu’attendre donc de ce Apocalypse et de ses 21 minutes pour 18 titres ? Tout simplement ce que RS sait faire… mais avec le pied appuyant encore un peu plus sur l’accélérateur. Sans aucune forme de concession, « Pacify » entame les hostilités de la manière la plus directe qui soit. Point de riff introductif, le groupe est pied au plancher dès la première seconde et annonce la couleur. Apocalypse sera encore plus compact, furieux, rapide et intense que ses prédécesseurs qui, soyons honnêtes, ont toujours su se défendre avec les honneurs face à ces qualificatifs. Porté par un son de guitare toujours plus « HM2-isé » (du nom de la pédale d’effet ayant tant apporté aux musiques extrêmes, notamment scandinaves), ce nouvel album délivre son propos à un rythme de sulfateuse et fleure bon les mandales du grand nord qu’on se prend avec un sourire masochiste. Mixé par Jesse Gander, responsable de la mise en son des albums de Brutus, et masterisé par Brad Boatright (Obituary, Full Of Hell, Nails), Apocalypse se caractérise par une densité qui ne laisse qu’à de très rares et brefs moments l’occasion à l’auditeur·ice de reprendre son souffle. C’est du direct et ça se positionne déjà comme l’une des sorties grindcore majeures de l’année.
SCALP
Black Tar
Nikolaï
Tout est une affaire de choix dans la vie. Le ying et le yang. D’un côté 12 minutes d’un album entier de powerviolence, de l’autre une note de synthé ambient de la même durée. Pour mes gens sûrs de la castagne dans le pit se dirigeant vers la première option, voici donc Black Tar des Californiens de SCALP. 8 morceaux faisant les yeux doux au grindcore, sans jamais toutefois se commettre intégralement à la vitesse d’exécution. C’est leur retour au business depuis un Domestic Extremity de 2020 qui laissait déjà présager un futur à base de côtes fêlées et de bourdonnements dans les oreilles. C’est en plus toujours chez Closed Casket Activities, le label préféré des personnes fuyant comme la peste le discours « c’est pas de la musique, c’est juste du bruit ». Les tags qu’on peut lire sur les internets concernant le disque sont à se taper le cul par terre mais donnent une idée concrète de la réalité dans laquelle vous allez vous embarquer : noisy, hateful, manic, anti-religious, drugs… Un programme dominical à partager en famille.
Furnace
The Casca Trilogy
GuiGui
Fondé en 2019, Furnace est un groupe intéressant à plus d’un titre. D’abord parce que ce The Casca Trilogy est déjà le 4e LP du groupe en autant d’années d’existence. Ensuite car celui qui nous occupe ici est un triple album concept (!) de pas moins de 30 titres. Une démarche directement empruntée au passé puisque, soyons francs, qui oserait encore s’aventurer sur ce terrain aujourd’hui à part des musicien·nes quelque peu hors de leur temps et incroyablement inspiré·es ? Mais tout s’explique lorsqu’on apprend que Furnace est un des nombreux bébés du prolifique Suédois Rogga Johansson. Celles et ceux pour qui le death metal suédois n'a plus de secret connaissent évidemment le gaillard puisque celui-ci est probablement le plus grand hyperactif de la scène et le responsable d’un pourcentage substantiel des sorties « swedeath » de ces 20 dernières années en tant que musicien, producteur ou simple influence. Le bougre est actuellement derrière 48 groupes ou projets encore actifs selon certaines sources et le fait qu’il ait été officiellement reconnu par le gouvernement de son pays comme inadapté social et qu'il touche d’ailleurs une pension pour cela, ajoute encore au mythe du personnage qui se voit au final payé par les autorités suédoises pour effrayer les ménagères et les ultra-droitards. Ceci étant dit, Johansson ne vole pas son pognon puisque sa discographie depuis 1999 fait de lui un véritable ambassadeur. Il le démontre encore une fois ici avec ce 4e album de Furnace qui développe l’histoire d’un certain Casca traversant les âges. Musicalement, la patte de Johansson se ressent dès les premières notes avec ce death metal puissant particulièrement inspiré au niveau du riffing mais qui n’oublie pas de mettre en évidence un certain sens de la mélodie aux accents parfois heavy/thrash. À l’écoute de cette somme (oui parce qu’avec autant de titres d’un coup, on est loin du simple disque, vous l’aurez compris), il est agréable de constater que le syndrome de la page blanche ne semble pas encore toucher le musicien.