Xibalba
Años en infierno
Alex
En voilà un titre d’album qui résume bien cette "drôle" d’époque. Años en infierno, c’est bien l’intitulé de ce quatrième disque de Xibalba, qui succède au pesant et très réussi Tierra Y Libertad sorti il y a tout de même cinq ans, toujours sur Southern Lord Records. Depuis 2007, on s’est accoutumé à voir le groupe nous proposer un suffocant mélange de hardcore, de doom et de death metal mais on ne s’attendait pas à les voir perfectionner la formule avec autant de maîtrise et toujours un certain sens du storytelling. C’est toujours plus vers le death old school que lorgne ce disque dont la costaude prod est assurée par Arthur Rizk (Power Trip, Code Orange, Tomb Mold,...). Fidèle à sa culture à travers notamment des paroles en anglais et en espagnol, la bande à Nate Rebolledo, dont la diversité des hurlements atteint ici de nouveaux sommets, distribue les riffs pachydermiques dans une atmosphère des plus haineuses. Outre un jeu de batterie particulièrement complet, le disque à aussi le mérite de proposer divers passages instrumentaux et se conclure sur un diptyque “El Abismo Part.1”/”El Abismo Part.2” qui voit Xibalba partir à la conquête de terrains inexplorés. Les amateurs de Bolt Thrower, Suffocation, Morbid Angel ou Sepultura n’auront pas besoin de beaucoup d’écoutes pour se laisser happer par ce qui apparaît comme le meilleur disque du combo de Pomona. Tout simplement.
Havok
V
Jeff
Si en 2020 le culte voué aux thrashers de la Bay Area n’a rien perdu de sa puissance, et continue de s’exercer à travers des tournées à guichets fermés pour ses prophètes encore en activité, quand ceux-ci ne continuent pas de sortir des disques tout à fait dignes de votre intérêt (le dernier Testament, sorti début avril sur Nuclear Blast) toute une nouvelle vague de groupes, extrêmement respectueuse du travail des anciens, n’a pas attendu qu’ils raccrochent les gants ou deviennent complètement gâteux pour leur faire de l’ombre. Et parmi eux, on retrouve Havok, le groupe du Colorado débauché par Century Media pour incarner cette nouvelle vague auprès d’un public aussi large que possible. Et si Conformicide en 2017 était loin de faire honneur aux espoirs placés en lui par le label Century Media, V remet les pendules à l’heure avec une rare efficacité. C’est bien simple : ce cinquième album du groupe du chanteur et guitariste David Sanchez (le seul membre de Havok qui a participé à tous les albums, contrairement au bassiste qui est déjà le huitième de la carrière de Havok) est autant une claque monumentale qu’un plaisir pas si coupable que cela. En effet, contrairement à d’autres branches du métal davantage ouvertes à l’expérimentation, le thrash a plutôt vocation à s’épanouir dans le conservatisme, et les gars de Havok l’ont très bien compris. En onze titres qui lorgnent (très) épisodiquement du côté du hardcore, Havok coche toutes les cases du bon album pour personne dont la veste est remplie de patches Exhumed, Slayer et Kreator, avec son vocabulaire guerrier, ses tempos frénétiques, ses solos de guitare épiques et son jeu de batterie bien félin. Mais comme ça se saurait si le seul copier-coller donnait toujours de grands disques, il faut ici souligner combien Havok se surpasse à tous les niveaux : dans la cohésion affichée par une formation qui connaît pourtant des mutations depuis ses débuts, dans le charisme fou d’un David Sanchez qui n’a jamais semblé autant à son affaire, dans des textes qui témoignent d’un engagement comme le rock en est devenu incapable en 2020, dans la précision chirurgicale du mix de Mark Lewis (Cannibal Corpse, Black Dahlia Murder), ou encore dans l’artwork splendide d’Eliran Kantor. Imparable ? Tu l’a dit bouffi.
Sloath
III
Albin
Sans jouir d’une popularité dingue, Sloath s’est taillé une solide réputation depuis une dizaine année sur la scène underground britannique, grâce à deux premiers albums sortis chez ces gens très respectables de Riot Season (Hey Colossus, Acid Mothers Temple, Aluk Todolo) Le premier disque éponyme sorti il y a déjà 10 ans, suivi quatre ans plus tard de Deep Mountain, avaient posé les bases d’un stoner doom salement bruyant : des compos faites de riffs répétés jusqu’à plus soif, d’un chant noyé dans des hectolitres d’effets de réverbération et d’une production plus salace que les standards du genre. Contrairement à Electric Wizard ou Monolord qui chercheront toujours à sonner comme un groupe californien du début des années 70, Sloath va puiser les racines du son dans le noise rock des années 90. Le résultat est un grain assez brut de décoffrage, qui tronçonne plus qu’il ne ronronne. Si les plans de guitares rappellent bel et bien le rock psyché dans toute sa splendeur, le supplice infligé aux baffles tendrait à classer Sloath dans la lignée des Part Chimp et autres Harvey Milk, pas vraiment habitués à faire dans le détail quand il s’agit de détartrer un ampli. Sur ce troisième album, dont la gestation aura pris plus de 6 ans –pour être honnête, on pensait que le groupe avait définitivement rangé ses crampons, Sloath démontre avoir mis ce long travail introspectif à profit pour livrer ce qu’il fait de mieux : 6 titres de grosse bastonnade stoner-noise, qui balancent de la saturation et du larsen à qui mieux mieux. L’album envoie le vumètre dans le rouge sur 39 minutes, mais n’oublie pas de soigner le fond : un groove terriblement sexy qui agite le titre "Rewengue" ou des plans doom léchés façons Cathedral sur l’imparable "The Piece". Faudra-t-il dès lors compter sur Sloath lors d’une prochaine édition d’un Desertfest ? C’est aussi souhaitable qu’improbable. Malgré des prestations remarquées, le trio a su se faire discret et n’a pas l’air particulièrement attiré par les projecteurs, phénomène assez rare pour être souligné sur une scène stoner doom phagocytée par les poseurs en pattes d’eph et tignasses dignes d’une pub pour les shampoings Timotei.
Trash Talk
Squalor
Alex
C’est peu dire qu’on attendait avec excitation le retour de Trash Talk aux affaires. Il fallait remonter à 2016 et la sortie de l’énigmatique EP Tangle pour retrouver trace d’une sortie du groupe de Sacramento et en considérant que cela fait 6 ans que le groupe n’a plus sorti un véritable album (No Peace en 2014), on ne peut que se réjouir d’une nouvelle offrande de leur part. Voici donc Squalor, un nouvel EP qui sort dans une période de troubles et de contestation au pays de l’Oncle Sam, période qui colle finalement à merveille à l’image du groupe, récemment rejoint par le batteur Thomas Pridgen (vu notamment au sein de The Mars Volta ou encore Suicidal Tendencies). Produits par Kenny Beats, la nouvelle star des producteurs, ces 5 titres renouent avec tout ce qui a fait de Trash Talk, l’une des formations punk les plus emblématiques de sa génération : des morceaux ultra rapides et efficaces, avec toujours ce sens du détail qui fait mouche, pour que tout ce joyeux bazar vous reste en tête malgré l'apparente simplicité de la formule. Ce choix de production n’est certainement pas un hasard tant les accointances du groupe avec le milieu du hip-hop jalonnent les 15 années d’expérience de Lee Spielman et les siens (un disque sorti sur le label d’Odd Future, des tournées avec Action Bronson ou Denzel Curry). La puissance dégagée et l’agencement entre les titres grâce à de courtes interludes musicales façon mixtape font que ces 8 petites minutes passent comme papa dans maman. Bref, si vous avez encore l'âge pour ces conneries, Squalor a tout de la BO idéale de votre prochaine virée urbaine en skate.
Power Trip
Live in Seattle 05.28.2018
Jeff
Marc Van Ranst ? Pierre-Emmanuel Barré ? PornHub ? Franchement, à chacun sa star du confinement. À notre petit niveau de webzineux, Bandcamp aura été un solide compagnon de route, des tas d’artistes qu’on adore ayant décidé de stocker sur les serveurs de la plateforme des enregistrements qui traînaient sur un disque dur en attendant des jours meilleurs. Et à ce petit jeu de dépoussiérage, le format de l’album live a connu un regain de popularité et nous a permis de ronger notre frein en attendant de pouvoir retrouver la moiteur et les mauvaises odeurs du pit. À la fois considéré comme le groupe le plus important d’une scène crossover thrash qui revit depuis quelques années et comme l’un des tout meilleurs groupes live de cette belle planète, Power Trip a sorti de son chapeau un live capté en 2018, soit peu de temps après la sortie du monumental Nightmare Logic. Et si l’on imagine la démarche positivement opportuniste (récolter des fonds pour compenser l’annulation des tournées), le groupe n’essaie pas de nous la mettre à l’envers avec une captation douteuse refourguée dans l’urgence : ce concert enregistré au Neumos de Seattle est probablement la meilleure publicité possible pour le groupe texan, qui déploie ici une force de frappe encore plus impressionnante que sur disque, où il excelle pourtant déjà. Pas vraiment taillée pour le feng-shui ou les séances de horizontal dancing avec ta moitié fan de twee pop, cette quarantaine de minutes où des refrains beuglés et des solos bien techniques répondent à un riffing plus convaincant qu’un Balkany devant un juge de cour d’appel fait honneur à la discographie de Power Trip, en prenant d’ailleurs soin de ne pas laisser de côté les plus vieux titres du groupe – d’ailleurs le disque s’ouvre sur les vicelards « Divine Apprehension » et « Suffer No Fool », que l’on trouve sur la compilation Opening Fire : 2008 – 2014. Que les choses soient claires : ces mecs-là sont les nouveaux cowboys from hell, et c'est le genre de force du désordre face à laquelle on déconseille toute rébellion.
Sunami
Sunami
Alex
Ca commence à devenir très sérieux du côté de la Bay Area. Dans quelques mois, la révélation Gulch sortira son premier disque sur Closed Casket Activities (évidemment qu'on en reparlera ici) mais en attendant, c'est au tout d’autres formations de la région, qui se partagent les mêmes membres, d'occuper le terrain. Ainsi, outre ces brutes de Hands Of God ou les surfeurs Drain, qui viennent de sortir un très bon premier disque de crossover thrash sur Revelation Records, c’est ce jeune gang baptisé Sunami qui se décide à lâcher un deuxième EP, après une démo d’une violence outrancière parue en août 2019. Ici, on part sur 4 titres de beatdown hardcore anti-flics sans concession. Avec des titres comme “Mind Your Business” ou encore “Feds Watchin”, difficile de réfréner son envie de monter un fight club. Plus provocateur que Sergio Ramos un soir de Clàsico, Sunami est le genre de groupe d’une ignorance crasse, pas vraiment là pour se prendre au sérieux et encore moins pour se faire chier avec une technique de virtuose. Enchaînement de breakdowns maousses, paroles insolentes, attitudes de hooligan...Il suffit de regarder la gogolerie générale qui émane de ce premier concert en 2019 pour se rendre compte que pas grand chose ne pourra stopper la vague Sunami dans les prochains mois. Real Bay Shit comme ils disent.
END
Splinters From An Ever-Changing Face
Alex
Le collectif END a pour la première fois titillé notre curiosité en 2017 avec un premier EP prometteur, From The Unforgiving Arms Of God, et a depuis toute notre attention puisque ce All-Star Band regroupe notamment des membres de formations aussi sympathiques que Counterparts, The Dillinger Escape Plan, Fit For An Autopsy, Misery Signals, Shai Hulud ou encore Reign Supreme. Mené par le producteur et guitariste Will Putney (Every Time I Die, Gojira, Body Count, Knocked Loose,...), le groupe américain vient tout juste de sortir Splinters From An Ever-Changing Face, un premier album peu adapté pour un moment de détente en famille. Au programme de ce parpaing de luxe sorti sur l’excellent label Closed Casket Activities, une grosse demi-heure de hardcore plus stéroidé qu'un nageur est allemand, des paroles plutôt bre-som et des changements de tempo incessants. L’influence des groupes précités se ressent grandement, via notamment le jeu de batterie épileptique du nouveau venu Billy Rymer (ex-DEP), mais l'intérêt du disque réside principalement dans sa capacité à décliner un univers très large: du hardcore, du grindcore, du metalcore et des touches de black metal et de noise, tout y passe - y compris ta capacité à retrouver ta joie de vivre dans les deux heures qui suivent. Un disque sur le fil du rasoir, sacrément bien produit mais dont on ressort peut-être un peu trop rincé tant il se veut ratisser le plus large possible.
Hellish Form
MMXX
Albin
Le funeral doom et le black metal ont au moins deux choses en commun. D’une part, ce sont les sous-genres les plus extrêmes et les plus sombres de la galaxie metal. De l’autre, ce sont deux courants qui sont régulièrement souillés par des dérives grand guignolesques, à coups d’arrangements symphoniques douteux, de mises en scène ringardes et d’artworks à gerber. Du coup, il est toujours appréciable qu’un nouveau groupe vienne mettre l’église au milieu du village, et pas forcément pour y foutre le feu. Voilà précisément l’utilité de ce premier album de Hellish Form, duo américain formé de membres de Body Void, Atone et Keeper. Enregistré en plein confinement, MMXX s’éparpille sur les terres hostiles d’un funeral doom primal, qui n’évoque rien d’autre que la paranoïa, le déclin et l’envie de se pendre. Les deux longs morceaux se tortillent autour d’une guitare monotone, processionnaire, qui creuse sa propre tombe à coups d’accords plus graves que ça tu meurs. Le son est d’une agressivité inouïe, au point de couvrir par moments le jeu de batterie – forcément minimaliste - qui se retrouve enfoui sous les tonnes de gravas. De ce paysage déjà pas franchement folichon émerge une voix qui hurle sa haine de tout. Si les deux morceaux affichent une réelle progression, notamment dans les arrangements – quelques harmonisations et même ce qu’on devine être un synthé parviennent même à percer par moments ce mur de désolation – autant spoiler directement la fin : non, cet album n’entrevoit pas la moindre issue favorable. Prisonnier des esprits torturés de leurs concepteurs, on ne peut que s’y plonger corps et âme et se laisser chavirer sur ce torrent de noirceur pure. Pour ne rien gâcher, l’album est proposé à prix libre. Le label californien Transylvanian Tapes a eu la bonne idée d’éditer la bestiole sur cassette, au prix diabolique de 6,66 dollars bien évidemment.