Dossier

Wake Up The Dead #4

par la rédaction, le 10 décembre 2017

The Black Dahlia Murder

Nightbringers

Simon

Tous les deux ans à la même époque, The Black Dahlia Murder nous sort un nouvel album. Le cycle commencé en 2001 nous amène aujourd’hui à ce huitième album des Américains. Et punaise, ça fait toujours autant de bien de s’envoyer une plaque de cette légende du death metal mélodique. Certains nous diront que le groupe n’a jamais su dépasser l’apogée atteinte avec Nocturnal, et pourtant ce Nightbringers s’impose déjà comme un des incontournables de cette fin d’année. Une merveille d’énergie presque hardcore lancée comme une locomotive dans les dents et qui a cette qualité de ne jamais redescendre tout au long de ces quarante minutes de haute voltige. La technique est comme d’habitude au poil de cul (les soli donnent le tournis), la production est ultra punchy sans donner dans le pompier et l’attitude générale témoigne, s'il subsistait encore un doute, que The Black Dahlia Murder fait désormais partie du panthéon death metal. Vivement dans deux ans.

God Mother

Vilseledd

Alex

Elle est là la relève. Deux ans après Makthbetov, God Mother débarque de Suède avec dans ses valises, Vilseledd, un deuxième album plutôt costaud. Signé sur Party Smasher, le label des bientôt défunts The Dillinger Escape Plan, les Scandinaves partagent avec eux de nombreuses similarités et proposent un cocktail de genres plutôt hostile. Habitué à mélanger black metal, hardcore d-beat, crust et grind, God Mother balance ici un pavé dans la mare gelée avec son avalanche de plans noise, de blast-beats sombres et de chant écorché en anglais et suédois. Sur Vilseledd, les passages blackened hardcore se muent en ambiances sludge puis death metal en un claquement de riff. Il faut bien le dire, ce deuxième effort ne diffère guère de son prédécesseur au niveau des influences. God Mother continue d’évoquer tour à tour ses godfathers sur des titres comme « Acrid Teeth » (coucou Nails), « No Return » (coucou Converge) ou « Caved In » (coucou Kvelertak) sans quasiment jamais ralentir le tempo. Une attaque frontale qu’il convient d'apprécier à plusieurs reprises tant l’ensemble fait preuve de densité. Outre son coté chaotique étouffant, la musique de God Mother a entièrement assimilé les codes du genre pour les déglutir de manière plutôt homogène et méthodique sans jamais sonner déplaisant. Vilsededd est un album viscéral à qu’il ne manque finalement pas grand chose pour se démarquer totalement de ses ainés. Le groupe confirme son potentiel durant une froide demi-heure de violence et continue de creuser petit à petit son sillon sur une scène hardcore/metal venu des contrées nordiques et qui ne manque déjà pas de représentants de choix

Mastodon

Cold Dark Place

Simon

En pleine tournée mondiale pour défendre un Emperor of Sand qui aura fini de les consacrer aux yeux du grand public, Mastodon semble intouchable et désormais lancé pour poursuivre sa carrière dans d’autres sphères plus grandes encore. Pourtant ce n’est pas de ce dernier album qu’on est venu vous causer – album plus qu’honnête par ailleurs, qui semble recentrer le propos sur les fulgurances du très bon Blood Mountain. Le véritable coup de génie est dans ce Cold Dark Place, petit EP de quatre titres sorti juste avant le début de la tournée européenne. Quatre titres fonctionnant comme un petit album et qui rassureront ceux qui ont eu peur en voyant le groupe lisser quelque peu leur propos à partir de Once More ‘Round The Sun : oui, Mastodon reste encore ce groupe qui écrit un sludge progressif de très haute qualité, qui alterne les hauteurs, les refrains entêtants, les riffs de seigneur et qui peaufine sa narration comme personne. Cold Dark Place aboutit d’une certaine manière le « cycle pop » des Américains, en signant une œuvre absolument mature, synthèse audacieuse d’un tournant qui s’analyse enfin sans devoir chercher des références dans sa discographie passée. Le coup de maître.

Drudkh / Paysage d’Hiver

Somewhere Sadness Wanders / Schnee IV

Côme

Décidemment, les splits se suivent et ne se ressemblent pas pour Drudkh : après Hadès Almighty et Grift, c’est au tour de Wintherr et de son trop rare one man band Paysage d’Hiver de servir de sparring-partner au groupe ukrainien sur la face B. Et autant vous dire que le Suisse est au rendez-vous. Car ne nous leurrons pas, les morceaux de Drudkh sont dans la continuité des derniers splits et albums : des morceaux qui gèrent parfois un peu mal leurs passages plus lents et donnent du coup l’impression de tourner un peu dans le vide, la deuxième partie de « All Shades of Silence » semblant terriblement longue. La bande à Saenko continue par contre d’afficher une pêche d’enfer dès qu’il faut claquer du riff épique et tant qu’il restera des poètes ukrainiens auxquels faire référence, on ne se fait pas trop de souci pour eux. Reste que rien n’est de taille face à Paysage d’Hiver qui livre avec « Schnee IV » un magnifique moment de black atmo/lo-fi : deux minutes d’intro ambient qui se déchirent pour faire place à un blast beat incessant et d’immenses masses de guitares qui semblent figées dans la tundra, tant celles-ci créent une masse glaciale plutôt que de jouer des riffs. Accompagnez le tout de l’habituel grain lo-fi qui pue le 4 pistes hyper true et vous aurez ce que Burzum aurait pu devenir si Varg n’avait pas décidé d’arrêter la guitare : un projet tout bonnement indépassable.

Bell Witch

Mirror Reaper

Simon

Perdre un membre quand on est un groupe de funeral doom tient quasiment du karma, d’autant plus quand ledit groupe compte seulement deux musiciens. C’est l’expérience vécue par Bell Witch suite à la disparition d’Adrian Guerra, alors batteur et chanteur du groupe, à l’âge de 36 ans, après la sortie d’un Four Phantoms absolument titanesque. Reste donc à Dylan Desmond à reconstruire le groupe autour de lui et sa basse (on rappelle que Bell Witch joue sans guitare). Inutile de dire que ce Mirror Reaper est un crève-cœur absolu. Le genre d’expérience qui transpire le deuil par tous ses pores, qui s’insinue lentement dans le cerveau et qui pèse le poids d’un cheval mort. Dorénavant complété par Jesse Shreibman, Bell Witch nous transmet un titre unique, de 83 minutes (sur deux disques), qui sonne comme une longue procession funéraire, comme un monolithe de douleur impossible à éviter. Ce disque est une plaie ouverte, qui abandonne toute idée de méchanceté pour laisser de la place au regret, à la confession et au manque. Ce disque est une gigantesque prière destinée à un seul homme, et il parait difficile pour l’auditeur de pouvoir la réciter sans s’impliquer lui aussi totalement (les litanies du deuxième disque, mon dieu). Pas grand-chose à dire, sinon que Mirror Reaper est l’un des disques de l’année, et l’un des plus beaux moments funeral doom entendu cette décennie. Rest In Power Adrian Guerra.

Sangue Nero

Viscere

Emile

« Hailing from Italy, Sangue Nero is not your conventional black metal band. » Au moins, on ne pourra pas dire qu'on n'avait pas été prévenus. Marchant dans les pas de groupes comme Sepultura, le trio originaire de Toscane cherche à replacer le black metal dans le régime sonore auquel il appartient originellement, c'est-à-dire celui d'une forme musicale faite pour d'occultes transes. Le nom du groupe (littéralement Sang Noir) et le titre de l'album (Viscere) marquent bien ce dont il s'agit ici : une sombre quête spirituelle au cœur d'une musique aussi crade que fondamentale, aussi violente que subtile, avec comme point d'accomplissement la redécouverte d'un genre à la dérive. Pour ce faire, les membres de Sangue Nero vont en profondeur dans le travail des morceaux : la voix prend une dimension assez particulière, avec une texture très classique, mais une utilisation parfois presque proche du slam, tant le chanteur semble oraliser ; les parties instrumentales sont variées comme jamais, et on ne saurait vraiment les classer, tant elles semblent naviguer entre le sludge, le black, le hardcore, mais aussi le blues ou la musique tribale. Cinq morceaux qui composent l'EP, numérotés de « I » à « V », pour autant de surprises de la part d'un groupe dont c'est la première sortie.

With The Dead

Love From With The Dead

Emile

Regroupant notamment l'ancienne partie rythmique d'Electric Wizard (Mark Greening), et le chanteur du mythique groupe Cathedral (Lee Dorian), le supergroupe With The Dead se présentait au départ comme une sublimation du genre doom. Mais comme très souvent dans les groupes qui cherchent à concentrer des grands noms en une unité, cela laisse l'auditeur face une efficacité douteuse. Leur dernier album, Love From With The Dead, n'échappe malheureusement pas à la règle. Dire qu'il n'est pas efficace – puisque c'est un concept qu'on utilise allègrement dans les musiques violentes – serait mentir, car on sent chez les trois bonhommes amoureux des morts une vraie maîtrise de leur sujet : la basse et la batterie se chargent de la violence, la guitare de la mélodie et la voix du côté psychédélique. Au final, rien ne manque, mais surtout, c'est exactement ce qu'on attendait d'eux. Des lentes montées chromatiques, des sujets abordés en toute finesse, et des hurlements invocatoires : c'est tout ce qu'on aim...ait. Pas de gros ratés, et probablement un concert à ne pas manquer en cas de tournée, mais il ne faut pas aller à l'écoute pour la découverte. L'ensemble donne un goût amer, d'autant plus qu'au milieu du sombre bordel démoniaque, une lueur d'ingéniosité apparaît, avec « Watching The Ward Go By », dont la première partie affiche un côté ambient qui pourrait véritablement renouveler la formule du groupe.

Full Of Hell & The Body

Ascending a Mountain of Heavy Light

Alex

Grosse année pour Full Of Hell. Après avoir délivré en mai 2017, probablement leur meilleur album à ce jour (Trumpeting Ecstasy), les voilà déjà de retour avec un nouveau projet. Habitués des albums collaboratifs après avoir travaillé à deux reprises avec le bruitiste japonais Merzbow, le quartet du Maryland propose cette fois-ci Ascending A Mountain of Heavy Light. Une seconde collaboration sombre et toujours aussi efficace avec The Body, le duo de Portland, qui fait suite au One Day You Will Ache Like I Ache paru en 2016. En proposant 35 minutes complètement démentes de grindcore, de free jazz, d’éléments électroniques et harsh noise, le tout enveloppé d’un doom/sludge particulièrement menaçant, Full Of Hell et The Body réussissent le tour de force de combiner leurs univers si particulierx et repoussent à nouveau leurs limites respectives. Le chant guttural de Dylan Walker se mêle régulièrement aux cris possédés de Chip King, dans un déluge alternant atmosphères industrielles et rythmiques complètement biscornues. A l’image de la seconde moitié du disque, on navigue dans des territoires inexplorés sans réellement comprendre ce qu’il s’y passe. Par ses innombrables textures et ses structures complexes, Ascending A Mountain of Heavy Light est un album exigeant qui ne se limite nullement au metal et ses sous-genres. Les deux groupes accouchent ici d’une entité totalement hallucinée, redonnant ainsi un nouveau sens au concept d’expérimentation. Un album terrifiant à écouter pour se sortir de n’importe quelle zone de confort.