Dossier

Wake Up The Dead #23

par la rédaction, le 3 octobre 2024

Wake Up The Dead, notre dossier consacré aux choses à retenir dans l'actualité des musiques violentes, fait sa rentrée ! Pour vous accompagner vers les jours sombres qui nous attendent, on vous a sélectionné 6 sorties essentielles, comme toujours entre hardcore, noise et black metal. Bonne découverte !

Nails

Every Bridge Burning

Alex

Huit ans sans sortir de disque c'est long mais ça rend finalement ce retour aux affaires d'autant plus savoureux. Annoncée en début d'année, la fin de l'hibernation de Nails était imminente et restait à savoir qui allait accompagner la tête pensante Todd Jones, esseulée depuis la fin du cycle You Will Never Be One Of Us. Au casting, on retrouve le batteur Carlos Cruz (Warbringer), le bassiste Andrew Solis (Despise You, Apparition) et le guitariste Shelby Lermo (Ulthar), bien déterminés à donner un nouvel élan à la formation.

Every Bridge Burning rassemble tous les éléments qui ont fait de Nails le monstrueux groupe que l'on connaît aujourd'hui : riffing délirant, tempo insensé et blasts beats à profusion. Entre grindcore, powerviolence, hardcore et death metal, Nails continue de taper partout où il faut. Si aux premières écoutes, Every Bridge Burning ne semble pas forcément avoir l'impact de ses prédécesseurs et une certaine carence en imprévisibilité, il n'en reste pas moins largement supérieur à la moyenne des productions dans le genre. Sur ces 10 titres (pour la bagatelle de 17 minutes) produits par Kurt Ballou (Converge), on retrouve quelques moments forts à l'image de l'immense "I Can't Turn It Off" ou du féroce "Lacking the Ability to Process Empathy" qui nous rappellent pourquoi Nails continue d'être érigé en référence absolue quand on parle de musiques extrêmes.

Scarcity

The Promise Of Rain

Erwann

Si Scarcity ressemblait déjà un supergroupe à l’échelle du metal expé, The Promise of Rain, nouvel opus sorti sur The Flenser (Chat Pile) le transforme en véritable who’s who de la scène. Le duo formé par Brendon Randall-Myers, chef d’orchestre du Glenn Branca Ensemble depuis le décès en 2018 du leader éponyme, et par Doug Moore, hurleur en chef du groupe de death technique Pyrrhon, est désormais enrichi d’autres membres de Pyrrhon, Krallice (cela ne surprendra d’ailleurs personne que Colin Marston s’occupe de la production), et même d’un collaborateur de Sigur Rós.

Le résultat, aussi dingo que le casting, peut être divisé en trois parties: le premier tiers est le plus similaire à Aveilut paru en 2022, en ce sens que son approche expérimentaliste n'a d'égal que son abrasivité; le second tiers est plus boueux et axé sur des riffs punitifs tandis que le dernier termine sur des assauts black metal moderne rappelant ceux d’autres New Yorkais, Imperial Triumphant. Si Aveilut montrait que le groupe pouvait adapter la radicalité de Glenn Branca à un carcan black metal, The Promise of Rain est lui la confirmation que les compositions microtonales de Randall-Myers peuvent également s’adapter à des contours moins obtus, voire parfois mélodiques.

Zeal & Ardor

GREIF

GuiGui

À part si certains fans de metal à la recherche d’originalité ont vécu loin de la civilisation ces dernières années (ce qui serait au final un vrai non-sens), ils ont d’office entendu parler de Zeal & Ardor. Cette entité fondée et menée par le Suisse Manuel Gagneux se traine déjà une solide réputation depuis la sortie de son premier disque Devil is Fine en 2017. En trois albums et un EP, Z&A a en quelques sortes rebattu les cartes et bénéficié d’un succès d’estime en proposant un mélange d’influences où se mêlaient aussi bien le vieux blues esclavagiste que le black metal sur fond d’electro-indus créant ainsi une atmosphère sombre et accrocheuse, où la colère et le désarroi se crachaient d’une manière aussi brute que subtile.

Mais sur ce quatrième effort, GREIF, Manuel Gagneux ne se repose pas sur ses acquis et prend l’auditeur par surprise. En effet, si l’exercice de style(s) est toujours bien de haut vol, la rudesse est remplacée par un côté léché qui lui fera sans aucun doute gagner de nouveaux adeptes tout en en perdant sûrement plusieurs en cours de route. Bien entendu, le principe de base est respecté et le mélange des genres est magistralement orchestré en convoquant cette fois en plus des relents synthwave (« une ville vide ») et une lichette de stoner à la QOTSA (« Disease »), mais le fait est que le propos s’est fortement adouci. GREIF est certes un album qui mérite amplement d’être écouté ne serait-ce que pour des morceaux comme « are you the only one » - qui démarre comme une sublime balade toute en sobriété avant de basculer dans des éructations du plus bel effet – mais on ne peut pas cacher que quelques ingrédients nous manquent. Tant et si bien qu’on en vient à se demander si cette chronique avait réellement sa place dans un dossier comme celui-ci.

Endon

Fall of Spring

Nikolaï

Frères et sœurs en Christ à qui on ne passe jamais l’AUX parce que vous mettez toujours des dingueries qui vident un appartement, une salle des fêtes ou une crack house en un temps record : j’écris pour vous. Et j’ai le nouvel album qu’il vous faut pour continuer à faire interroger les gens sur l’état de votre santé mentale : Fall of Spring, quatrième des Japonais d’ENDON. Fuyant la catégorisation aussi habilement que la démocratie en France, le groupe propose depuis ses débuts un truc fort de café mêlant la noise (harsh), le punk, le metal et des explorations sonores expérimentales et électroniques.

L’avenir d’ENDON n’était pourtant pas au beau fixe après le décès d’Etsuo Nagura, frère du chanteur Taichi, et le départ du batteur Shin Yokota. Malgré cela, ENDON a resserré ses rangs en trio et a choisi de faire péter les synthés et les éléments drone comme cerise sur le gâteau de la musique tourmentée. Les hurlements de Taichi sonnent toujours comme si un bébé alien lui sortait du bide en défonçant ses intestins et la noise est toujours aussi brutale que des travaux de rénovation à la perceuse dans tes tympans, comme peuvent l’attester les morceaux "Hit Me" et "Escalation". Mais des instants de beauté fulgurants traversent de part en part l’album, pour peu que vous y soyez sensibles. Pour une fois, j’ai le droit d’utiliser l’adjectif qui devrait être automatiquement banni des reviews : CE DISQUE EST INCROYABLEMENT CATHARTIQUE.

Spectral Wound

Songs of Blood and Mire

Erwann

Si nos oreilles se sont habituées ces dernières années à du black metal teinté de shoegaze (merci Deafheaven), de jazz (merci Imperial Triumphant, encore eux), voire de soul (Zeal and Ardor dont on vient de vous parler), on ne boude pas notre plaisir quand du black metal tradi as fuck fleurant bon les 90's nous tombe dessus. Spectral Wound est de ceux dont le revivalisme arrive heureusement à ne pas tomber dans de la copie crasse: avec leurs deux premiers albums, Infernal Decadence en 2018 et Diabolic Thirst en 2021, les Québécois montraient déjà que leur approche mélodique élevait des compositions titillant les territoires glacés de Darkthrone sans pour autant offrir une simple redite des compositions de la bande à Fenriz.

Rebelote avec ce Songs of Blood and Mire paru sur Profound Lore Records si ce n’est que cette fois-ci les riffs punitifs sont tout simplement les plus catchy que le groupe ait écrit à ce jour. On décèle même une petite pointe rock’n’roll dans certains de ces moments, prouvant que le groupe arrive à allier simplicité et efficacité. Et au final, c’est tout ce qu’on peut demander d’un black metal dont l’attrait premier réside dans ses riffs tranchants.

Wolfbrigade

Life Knife Death

GuiGui

Connu initialement sous le sobriquet de Wolfpack, Wolfbrigade a déjà, mine de rien, traversé trois décennies et s’est taillé un costume - ou plutôt un cuir usé et odorant – de légende de la scène crust punk. Pourquoi ? Parce qu’en plus d’amener les arguments qu’il faut pour faire sortir le genre d’un certain carcan, les Suédois assument également les traditions sonores et stylistiques de leur pays, berceau d’un death avec guitares élevées au gros grain HM2. Avec Wolfbrigade, on va à l’essentiel mais on a quand même le sens du riff et ce n’est pas avec ce Life Knife Death que le groupe va prendre le chemin inverse puisque ce onzième album prend l’auditeur par le col dès les premières mesures de « Ways to Die » et crache tout le mal qu’il pense de l’humanité en 28 minutes de pure énergie brute.

Un aspect qui se serait voulu encore plus prégnant cette fois-ci avec la méthode qui dit que si on ne travaille pas trop les morceaux en amont, on garde la spontanéité qui vient des tripes. Un côté instinctif couplé à un sacré savoir-faire offrant des pépites comme le single « Disarm or be Destroyed » qui ne manque pas la mélodie bien accrocheuse derrière un mur rythmique qui l’est tout autant. Un statut de single qui aurait aussi très bien pu correspondre au percutant « A Day in the Life of an Arse » ou encore à « Your God is a Corpse » traduisant le culte motörheadien auquel se vouent nos Suédois. Et comme ils ont tout compris, ils n’oublient pas le moment où on reprend son souffle avec un « Skinchanger » plus mid-tempo avant de repartir au charbon. Bref, le genre de disque qu’il est solidement conseillé de s’envoyer tant il coche les bonnes cases.