Vingtième et dernier numéro de la saison pour Wake Up The Dead, notre dossier consacré aux choses à retenir dans l'actualité des musiques violentes. Pour cette nouvelle édition, ce sont trois géants du death metal qui squattent les colonnes, mais aussi les doses de grindcore et hardcore nécessaires pour clôturer cette année dans l'allégresse. Et de bonnes fêtes à tous·tes !
Dying Fetus
Make Them Beg For Death
GuiGui
Dans le rayon des sorties death metal américaines importantes de la rentrée 2023, celle du nouvel album du trio de Baltimore Dying Fetus est à mettre sur le haut de la pile. Outre le fait que chaque méfait du groupe est un petit évènement en soi pour les fans de death brutal, Make Them Beg for Death se positionne en plus comme une espèce de retour à des sonorités plus old school que celles auxquelles DF nous avait habitués depuis ses deux derniers albums. Si ceux-ci étaient marqués par une débauche technique impressionnante et des choix de production bien plus propres et cliniques, ce petit dernier, le neuvième, se démarque par une mise en son plus roots et une avalanche de riffs bien rugueux. Bien entendu la maîtrise de l’instrument ne sera pas en reste. Tant et si bien que les fans de sweeping comme ceux des riffs plus mid tempo pourront y trouver leur compte notamment dans un morceau comme « Feast Of Ashes » qui réunit tout ce que la bande de John Gallagher fait de mieux depuis maintenant 3 décennies. À l’image de sa pochette faisant référence aux meilleurs moments du cinéma d’horreur des années 70-80, Dying Fetus ne fait toujours pas dans la délicatesse mais se positionne encore et toujours comme l’un des fleurons du brutal death américain, avec un grain toujours séduisant et une inspiration qui fait rarement défaut.
Full Of Hell & Nothing
When No Birds Sang
Alex
On a déjà mentionné à moult et moult reprises l'incroyable faculté d'un groupe comme Full Of Hell à pouvoir se réinventer de projet en projet mais il faut bien avouer que la facilité avec laquelle le quatuor du Maryland se mue en une toute autre bête, dès lors qu'il s'agit de collaborer avec d'autres artistes, nous laisse toujours aussi pantois. Après Merzbow, The Body mais également Primitive Man cette année, le nouveau compagnon de jeu de FOH se nomme cette fois Nothing, soit l'une des références du shoegaze contemporain qui gravite généralement dans les mêmes sphères que les premiers cités. When No Birds Sang, ce nouveau travail commun qui vient de sortir sur Closed Casket Activities, était extrêmement attendu par les suiveur·euses des deux entités depuis l'annonce d'une live ensemble au Roadburn 2022 et dieu merci, il ne déçoit pas.
Six titres et un vaste spectre d'angoisses existentielles sont donc proposées par cette entité à 6 têtes, bien épaulée par Will Putney (désormais un usual suspect au rayon heavy) pour former une majestueuse et terrifiante œuvre qui ne ressemble finalement que très peu à ces concepteurs. Fortement inspiré des événements du 11 septembre (et en particulier de la célèbre photo The Falling Man de Richard Drew), cet album, ni vraiment grindcore ou shoegaze, n'en reste pas moins éblouissant, brutal et emprunt du désespoir et du nihilisme que l'on peut régulièrement retrouver dans les univers des deux groupes. Au-delà d'allier leurs forces et leurs idées avec brio, il faut bien saluer l'audace de ces gens qui mettent un point d'honneur à sortir dès que possible de leur zone de confort. Fascinant.
GridLink
Coronet Juniper
Erwann
Neuf ans, putain. Cela faisait neuf longues années que les grindeux américaines de GridLink n'avaient pas fait étalage de leur technique irréprochable, depuis un Longhena sulfureux qui témoignait de la particularité du groupe : au milieu d'une scène grindcore éminemment connue pour ses riffs bourrins, GridLink propose une technicité irréprochable d'où émerge une hyper-mélodicité qui rendrait jalouse Taylor Swift. Non pas qu'on ait ici affaire à de grands refrains pop: le hurleur John Chang (précédemment vu chez les légendes Discordance Axis, dont le The Inalienable Dreamless demeure un sommet du genre) alterne entre cris perçants et grognements caverneux. Cerise sur le ghetto: on décèle même ici ces traits humoristiques propres au grindcore avec l'hilarante présence de titres "karaoke" - c'est-à-dire des versions instrumentales prêtes à vous laisser vous époumoner sur les assauts syncopés du groupe. À vos cordes vocales de faire le reste.
Incantation
Unholy Deification
GuiGui
Il est assez incroyable de voir comment le temps file et peut brouiller les perceptions. Alors qu’on avait l’impression que le dernier Incantation, Sect of Vile Divinities, était sorti avant-hier, on se rend compte que cela fait déjà 3 ans et qu’entre-temps, la bande de John McEntee a même balancé une compilation en 2022 qui était complètement passée sous nos radars. Il est donc temps de se remettre à la page et de réaliser que le quatuor américain continue de tenir, à une exception près entre 2006 et 2012, son rythme de croisière d’un album tous les 2 ou 3 ans depuis sa grosse trentaine d’années d’existence. Unholy Deification, 13e et dernier du nom, nous plonge dans le death metal doomesque qu’Incantation a grandement contribué à inventer depuis ses débuts. La bande son parfaite pour nous conter de sombres fables mythologiques qui ne sont parfois que le reflet d’un présent toujours plus noir et écoeurant. Avec une technicité qui n’est plus à démontrer et utilisée à bon escient pour accentuer une dissonance de temps à autres malsaine servant à merveille son propos (« Invocation (Chthonic Merge) X »), Incantation prouve encore une fois le savoir-faire des anciens.
The Hope Conspiracy
Confusion/Chaos/Misery
Alex
Quand il faudra dresser la liste des groupes dont on estime qu'ils n'ont jamais eu les fleurs qu'ils méritaient, on retrouvera certainement The Hope Conspiracy en bonne position. Formé dans les années 2000 à Boston, le quatuor qui naviguait entre hardcore punk et crust, faisait partie d'un âge d'or de groupes signés sur Deathwish Inc. et s'était notamment illustré par le formidable Death Knows Your Name en 2006. Depuis, plus rien ou presque, si ce n'est la participation de certains de ses membres à All Pigs Must Die ou encore Hesitation Wounds, sympathique side project mené par Jeremy Bolm (Touché Amoré).
On n'avait donc plus rien eu à se mettre sous la dent depuis 2009 et l'EP True Nihilist mais cette anomalie est réparée 14 ans plus tard avec un retour aux affaires plutôt surprise. Au menu de ce Confusion/Chaos/Misery enregistré par le magicien Kurt Ballou, 3 nouveaux titres (et une cover d'Anti-Cimex) d'une hargne à faire pâlir Gennaro Gattuso et la renaissance d'une flamme dont on pensait qu'elle ne s'éteindrait vraiment jamais. On ne sait pas encore avec certitude si les intentions du groupe s'orientent vers un retour en bonne et due forme (“This is just the beginning…” indique toutefois le communiqué) ou s'il ne s'agit là que d'une réaction viscérale au lent déclin de notre civilisation. Toujours est-il que The Hope Conspiracy se rappelle à nos bons souvenirs de la meilleure manière et que ces maudites fleurs finiront bien par arriver, d'une manière ou d'une autre.
Cannibal Corpse
Chaos Horrific
GuiGui
Loyauté, fidélité, intégrité, régularité sont autant de mots qui représentent le fil rouge de la carrière de Cannibal Corpse affichant désormais quelques 35 ans au compteur. Un groupe qui n’a jamais dévié de sa ligne de conduite et s’est toujours mis au service d’un death metal qui est devenu le leur et ce, sans baisse de forme. De plus, fait assez rare que pour être souligné, la formation n’a jamais fait d’infidélité à son label de toujours, Metal Blade, et ce depuis le premier album Eaten Back To Life, sorti en 1990. Un groupe en quelque sorte exemplaire dont le mode de fonctionnement semble porter ses fruits depuis toutes ces années puisqu’en plus d’être toujours présent et salué aussi bien par le public que la critique, Cannibal Corpse se permet à chaque album non pas de surprendre mais de toujours trouver les subtilités qui feront évoluer son death légendaire. Et ce 16e album, Chaos Horrific, n’est pas en reste avec ce genre d’ingrédients. Si la maîtrise technique est annoncée dès les premières secondes de « Overlords of violence », ce nouvel opus ne tombe pas dans le piège de la surenchère et voyage allègrement entre avalanche de notes et riffs plus « simples » où la lourdeur est quasi palpable comme sur « Blood Blind ». À nouveau produit par le désormais nouveau guitariste du quintet Erik Rutan (Hate Eternal), responsable de la plus grosse épaisseur de son du groupe depuis Kill (2006), Chaos Horrific fait encore une fois office de pavé gore que l’auditeur se ramasse sans rechigner.
The Arson Project
God Bless
GuiGui
Ce qu’on peut dire, c’est que depuis leurs débuts en 2005, les Suédois de The Arson Project ont plutôt bien pris leur temps, et celui de bien faire les choses aussi. Avouez qu’en 18 ans, 3 formats mini et 2 albums, ça fait prendre son mal en patience au fan qui aimerait peut-être s’envoyer de la nouveauté un peu plus souvent. Mais on parle ici de grindcore. Et le propre de ce style est de bien se foutre des conventions et encore plus des schémas classiques des 2 ou 3 ans entre chaque sortie. C’est d’ailleurs pour cette authenticité et cette liberté qu’on aime le genre. Si The Arson Project ne revient que lorsqu’il a quelque chose à dire, on ne va certainement pas le blâmer. C’est pour cette raison que 6 ans après son premier album, Disgust, le quatuor remet le couvert avec God Bless qui fleure bon la colère et l’urgence. Mais ce ne sont pas là ses seules qualités puisqu’un véritable relief se fait également sentir tout au long des 10 titres et 18 minutes que dure cet opus. Alliant agressivité pure sur fond de blast beats et passages presque post-hardcore venant aérer l’ensemble pour repartir de plus belle, God Bless caillasse comme il le faut et fait partie de ces petits oubliés de 2023 à côté desquels on est malheureusement passé au moment de leur sortie. Ne faites pas la même erreur.