L'automne arrive et avec la baisse des températures, son lot de disques qui rafraichissent l'échine en deux-deux. Non, vous ne rêvez pas, c'est bien le retour d'un nouveau numéro de Wake Up The Dead, notre dossier consacré à l'actualité des musiques extrêmes. Ce mois-ci, on y retrouve du death, du doom, du grindcore, du mathcore ainsi que du punk hardcore qui n'a pas le temps. Bonne lecture.
King Woman
Celestial Blues
Erwann
Récemment signés sur Relapse Records, King Woman s'inscrit dans la lignée de ces formations agissant comme des catharsis pour leur créateur. Le groupe fût créé en 2015 par Kristina Esfandiari dans le but d'explorer les expériences qu'elle affrontait lors de son émancipation de son éducation chrétienne. Le premier album Created In The Image Of Suffering explorait ces thèmes avec une formule doom/sludge teintée de quelques influences shoegaze. Celestial Blues reste du doom teinté de sludge, mais il y a ici plus de place donnée au shoegaze et aux tons imprégnés de reverb, donnant à l'album une saveur éthérée et gothique. De la même manière, les voix restent claires et lancinantes, et dans les rares instants où le ton se durcit, on a plus affaire à des cris écorchés inspirés du grunge que des growls gutturaux. Cette performance vocale variée demeure la clé de voûte de Celestial Blues, les délicieux tons de guitare - merci Jack Shirley - jouant plus le rôle d'accompagnateurs que de chefs de file. Les chansons voguent entre différentes ambiances au gré de la voix de la frontwoman. On passe de l'introspectif au démoniaque, du dépressif au spirituel, avec pour toile de fond le poème épique Le Paradis Perdu de John Milton, où le Diable devient un ange déchu et cause la Chute de l'Homme. Esfandiari, dans sa quête personnelle, semble éprouver une certaine sympathie pour Lucifer, lui aussi en quête d'émancipation, et véritable avatar de ces Chrétiens doutant de leurs foi.
Full Of Hell
Garden Of Burning Apparitions
Alex
En 12 années de parcours, c'est peu dire que Full Of Hell a fait preuve d'une consistance folle dans ses choix. Malgré la radicalité de sa sombre proposition, le groupe du Maryland n'a eu aucun problème à atteindre cette position somme toute confortable dans une carrière : devenir un groupe respectable et respecté dont l'impact se ressent désormais sur les plus jeunes pousses. Les deux derniers excellents albums du groupe, Trumpeting Ecstasy et Weeping Choir, semblaient être les compagnons de l'autre et si le petit nouveau, Garden Of Burning Apparitions a apparemment vocation à former une triade avec les deux autres, la proposition se démarque cette fois légèrement de l'ambiance death/grind de ces prédécesseurs. Ici, c'est plutôt vers des plans noise rock que le groupe se dirige, avec toujours cette urgence et ce chaos qui les caractérise. Car il ne faut évidemment pas s'attendre à ce que Full Of Hell ne ralentisse le tempo: du blast beat, du saxophone, de l'électronique, du harsh noise et encore toutes sortes d'ingrédients à même de nous pulvériser les oreilles sont bien présents. Le problème, c'est que face à un tel niveau de qualité, on a très souvent tendance à vouloir pousser plus loin encore le curseur de nos attentes. Et si ce cinquième album continue d'explorer les confins du metal, de la musique industrielle et du hardcore avec brio, ses 20 petites minutes ne semblent cette fois pas à même de nous chambouler autant que leurs précédentes livraisons. Alors oui, il n'est peut-être pas le meilleur disque de Full Of Hell, mais ne vous y trompez pas : Garden Of Burning Apparitions reste un très joli condensé de toute la maîtrise et de l'ambition dont la bande à Dylan Walker fait preuve depuis des années ainsi que de la facilité déconcertante avec laquelle elle continue de jouer avec les genres. Ça vaut déjà bien le détour.
Cerebral Rot
Excretion Of Morality
Nikolai
Une pochette dégueulasse dégoulinante de tripaille et de chairs à vif. Une police indéchiffrable pour nous dire "Cerebral Rot", un titre d’album plein de légèreté et tracklist avec des titres aussi subtils et évocateurs que “Spewing Purulence” ou “Vile Yolk of Contagion”. Dans un monde aussi peu fiable que le nôtre, le death metal répond toujours à l’appel pour nous envelopper de son cocon rassurant. Après s’être fait remarquer en 2019 à la sortie de leur premier effort Odious Descent Into Decay, les gars de Seattle confirment leur statut d’excellents nouveaux de ce genre musical déviant. Avec eux, aucune volonté de s’inscrire dans une démarche expérimentale visant à repousser les limites du death, mais plutôt de faire leur popotte sans aucune fioriture et complications techniques. Pourquoi s’emmerder à constamment bousculer les codes quand on peut aller droit au but et se la jouer old school ? Riffs cradingues, voix caverneuse, ambiance poisseuse qui donne envie de se doucher : le tiercé gagnant d’un disque de death metal réussi. La reverb est omniprésente et Cerebral Rot sait ralentir le tempo pour flirter avec la frontière du doom et du sludge. Pour preuve les 11 minutes du septième et dernier morceau “Crowning the Disgustulent (Breed of Repugnance)” ; qui pourront sembler interminables pour les non-aficionados. Rendons enfin le respect qu’il se doit au toujours impeccable label de Pittsburgh 20 Buck Spin, éternel dénicheur de groupes extrêmes pour les dégénérés que nous sommes.
Punitive Damage
Strike Back
Jeff
Avant de publier ces quelques lignes, la carrière de Punitive Damage se limitait à six titres pour à peu près sept minutes d’un punk hardcore très, mais alors très vénère, et que l’on situera quelque part entre Minor Threat, The Jesus Lizard et, pour citer un groupe plus récent qui nous a vraiment tapé dans l’œil et dont on attend le nouvel album avec une folle impatience, Gouge Away. D’ailleurs, comme ces derniers, Punitive Damage a pour chanteur une chanteuse qui hurle avec une telle véhémence qu’on ne se pose jamais la question du sexe : cette personne est un monstre, point barre – et accessoirement bassiste dans un autre groupe qui a son petit succès auprès des fans de powerviolence, Regional Justice Center. Et pour son retour, le groupe de Vancouver ne fait pas dans la dentelle : trois titres pour 178 secondes d’agression pure, corrosive caustique. Trois saillies anti-police et anti-establishement pour réveiller les consciences et transformer n’importe quelle fosse en zone de guerre.
Pacmanthemovie
Pacmanthemovie 2 : Eat Lives
Nikolai
Le mathcore serait-il une affaire de personnes mortellement chiantes en chemises aux cols amidonnés, discutant de théories musicales et de l’accord de guitare Am 7/9 ? Ce n’est en tout cas pas du tout l’avis éclairé du groupe texan Pacmanthemovie. Leur credo, c’est plutôt une avalanche de second degré, de gimmicks parodiques et de vannes potaches. Il suffit de jeter un œil sur la tracklist de Pacmanthemovie 2: Eat Lives et d’y voir le titre “Horse Dick Fiasco” pour cerner le potentiel pipi-caca-prout des gaillards. Attention cependant à la maldonne. Le groupe n’est pas juste là pour alimenter la culture meme et ne blague certainement pas quand il s’agit de proposer du mathcore moderne et dense.
23 minutes. C’est ce qu’il faut à du stoner/doom pour passer d’un riff à un autre. En revanche, c’est le temps nécessaire à Pacmanthemovie pour en proposer des milliers et torcher un album. “Trolollapalooza” et “The Last Man” sont les deux titres exposant avec clarté la signature du quintet : dissonance à tous les étages, production soignée nous faisant profiter du chaos sonique dans les moindres détails, performance vocale barge… Autant d’éléments récurrents garantissant l’amorce d’une crise chez les épileptiques. Ou au minimum, les débuts d’un torticolis post-headbang. On pourrait certes se passer des instants électro-clin-d’œil-au-rétrogaming de “Hellzzz Kitchen” et “Pacmanthegame” qui n’apportent pas grand-chose d’inventif à l’ensemble. Mais peut-on vraiment les blâmer ? TOUT. EST. DANS. LEUR. NOM.
Spy
Habitual Offender
Alex
Depuis des mois que l'on y prête attention, la scène HC punk de la Bay Area ne nous a laissé aucun répit. Que ce soit la comète Gulch, qui s'apprête d'ailleurs à mettre fin à ses activités, et la petite galaxie de groupes qui les entoure (Sunami, Drain, Scowl, Hands Of God,...), chaque formation de cette zone géographique parvient à faire mouche avec des projets spontanés qui donnent un sacré coup de fouet au genre. Parmi les petits nouveaux qui enfoncent bien grand les portes à coup de Doc Martens, il y a Spy. Le quintet californien n'a démarré ses activités que début 2020 mais est loin d'être constitué de novices puisqu'on y retrouve pêle-mêle des membres de Scowl, World Peace ou Heckdorlan dans ses rangs.
Après Service Weapon, premier EP courroucé et concis sorti l'année dernière sur To Live A Lie Records, Spy revient avec Habitual Offender, une deuxième fournée de 5 chansons toutes aussi hostiles aux forces de l’ordre, à la croisée du punk hardcore et d'un D-Beat féroce. Les questions raciales et de justice sociale font toujours partie intégrante des thématiques du projet et dans l’ensemble, le programme reste inchangé, à savoir de courts morceaux sans fioritures, aux lignes de basse ronronnantes et aux vocaux particulièrement crasseux. Plus efficace en 10 minutes qu'une entrée en fin de match de Yannick Carrasco, le punk de Spy a surtout ce côté très direct et primitif qui le rend rapidement irrésistible. Si des groupes comme Gag, Warthog, Peace Test ou encore Worn vous excitent les canaux auditifs, il y a de fortes chances pour que ces quelques instants d’aboiements ne vous laissent pas insensible.
Papangu
Holoceno
Erwann
Papangu, c'est du prog, du sludge, du zeuhl, et de l'avant-garde, ou l'association finalement tellement logique entre Magma, Mastodon, King Crimson, et Kayo Dot. Les riffs répétitifs basés sur des progressions octatoniques des premiers, la lourdeur des seconds, l'avalanche de couches des troisièmes, et la diversité des derniers. Cette composition hétérogène profite d'une production massive néanmoins au service des différents détails - en même temps les bougs ont mis 7 ans à créer cet album, autant qu'il sonne bien. Malgré l'avalanche de riffs sludge et de progressions zeuhl, on fait néanmoins face à un album de metal progressif aux compositions toujours changeantes et aux performances techniques.
Heureusement, on ne tombe pas dans la pénible grandiloquence si chère au prog : l'album ne fait que 45 minutes et ne se perd que rarement dans des répétitions à outrance. La balance des influences demeure harmonieuse: les changements de rythme sont supportés tantôt par des riffs sludge, tantôt par des sections de saxophone jazzy, et les titres varient entre chaotiques ("Bacia das Almas"), lents et pesants ("Terra Arrasada"), voire improvisationnels ("Holoceno"). Les Brésiliens chantent dans leur langue natale - donnant au tout une couche supplémentaire d'occulte - l'histoire d'un bandit témoin d'une vision annonçant la destruction future de notre planète. Critiquant la négligence de masse ainsi que l'avarice des plus riches, Papangu prophétise l'Extinction de l'Holocène, extinction massive des espèces due à une activité humaine qui ne semble jamais s'arrêter de croître. Le groupe s'inscrit également dans cette nouvelle vague d'artistes brésiliens critiquant l'action de l'administration de l'actuel président Jair Bolsonaro, conférant à un album déjà foutrement bien foutu, une importance historique en tant qu'oeuvre d'art.