Dossier

Top 10: les oubliés de 2010

par Jeff, le 14 novembre 2010

A la base, nous voulions intituler ce dossier "Les dix bons disques sortis ces derniers mois dont nous avons complètement oublié de parler par manque de temps ou de motivation". Mais vu que nous sommes un brin limité en termes d'espace dans nos illustrations, nous avons opté pour un titre plus pragmatique, "Les oubliés de 2010", soit dix disques à nos yeux hautement recommandables et que vous aussi avez peut-être zappé dans le flux d'informations inutiles qui vous inondent quotidiennement.

Évidemment, vu le rythme effréné des sorties et le nombre de genres couverts pour Goûte Mes Disques, il a fallu être comme d'habitude sélectif. Aussi, cette liste ne se veut nullement exhaustive. Au mieux y trouverez-vous de belles découvertes ou d'agréables compagnons de route évoluant dans des registres aussi divers que le rock indépendant, la nu-soul, le dubstep ou le hip hop.

Darwin Deez

Darwin Deez

On aurait bien tort de limiter Darwin Deez à sa coiffure un brin ridicule, ses fripes de hipster new-yorkais et ses chorégraphies un tantinet douteuses qu'il présente à intervalles réguliers lors de toutes ses prestations scéniques. Car derrière ses apparats un peu cheap (et une production qui l'est tout autant) se cache un talent de songwriting évident, une capacité plus élevée que la moyenne à produire à la chaîne de la pop song diablement efficace, se situant quelque part entre Pavement (pour la fausse nonchalance) et les Strokes (pour certains riffs percutants). Enregistré dans son appartement new-yorkais avec les moyens du bord (en gros, un micro, une guitare et une vieille boîte à rythmes), ce premier album de Darwin Deez est le genre de brise fraîche et vivifiante qui n'a pas caressé assez de monde cet été, malgré une tournée incessante. Il y a bien eu le single "Radar Detector" pour rameuter les troupes à la sortie du disque, mais ce ne fut pas suffisant. Heureusement que ces dernières semaines a débarqué le clip pour l'irrésistible "Constellations", histoire de nous rappeler que plusieurs mois après sa sortie, ce premier album tient plus la route que jamais.

Spoon

Transference

A l'image de leurs compatriotes de The Walkmen, Spoon fait partie de ces groupes hautement respectés dans l'indie américain, qui n'ont certes jamais sorti LE disque leur permettant de faire sauter la banque mais dont la capacité à enchaîner les productions irréprochables fait particulièrement plaisir à une époque où les hypes se désintègrent plus vite qu'un Calippo sous le cagnard. Intègre et foncièrement original, le groupe de Britt Daniel s'attèle à peaufiner depuis une quinzaine d'années déjà une formule qui n'a fait que gagner en efficacité avec le temps et qui s'articule autour de deux grands piliers: la voix rocailleuse du songwriter texan et une science inattaquable du groove rachitique. Ces deux éléments parfaitement maîtrisés, il ne reste plus qu'à mettre dans les mains du groupe des compositions solides qui font de Spoon un groupe immédiatement reconnaissable. On ne va pas vous mentir: Transference est un cran en-dessous de ses trois prédécesseurs, qui n'ont certainement pas fini de nous faire saliver. Mais rien que pour des morceaux comme "The Mystery Zone" ou "Written In Reverse", ce septième album du groupe d'Austin mérite qu'on s'y attarde un peu. Voire beaucoup.

Actress

Splazsh

Véritable casse-tête pour ceux qui identifient la musique électronique à ses BPM, le deuxième disque d'Actress est certainement l'essai le plus iconoclaste produit cette année. On y identifie aisément techno, house, dubstep, abstract hip-hop, mais rien de tout ça n'est fait à la régulière. Splazsh ne cesse de faire jaillir les idées, les structures et les ambiances analogiques. On pense rapidement à un croisement entre Flying Lotus et Anthony 'Shake' Shakir, deux personnages connus surtout pour avoir su dépasser les diktats de composition imposés par leurs époques, sans jamais tomber dans l'avant-garde faussement intellectuelle. Un disque brut qui ne se refuse aucun grand écart, et qui, selon les humeurs, se révèle à chaque écoute sous un jour différent. C'est surtout son instinct pour ces diverses musiques électroniques qui fait d'Actress un producteur à part, lui qui joue sur tous les tableaux simultanément pour nous offrir un ovni carrément jouissif, un pamphlet contre les stéréotypes qui minent chaque scène prise isolément. Un vrai travail d'artiste en somme.

Syd Matters

Brotherocean

Se reposant uniquement sur ses propres compétences, les précédentes sorties du one-man band Jonathan Morali nous avaient habitués à une pop-folk minimaliste ultra-soignée mais parfois un poil creuse et austère. Oh, miracle! L'homme s'est souvenu qu'il était entouré d'excellents musiciens dont les interventions, loin de noyer ses compositions, avaient le don de les étoffer de l'intérieur telles les plumes d'oie d'un édredon de luxe. Inspiré par le grand large, Brotherocean tente perpétuellement d'atteindre l'équilibre parfait entre la voix alanguie de Morali, sa fidèle guitare sèche et de délicats arrangements de cordes, de chœurs ou de percussions. Une multitude de petites choses qui dansent ensemble une valse millimétrée mais jamais poussive. Après une longue période de tâtonnements certes prometteurs mais qui ne parvenaient jamais entièrement à s'extraire de l'œuf, Syd Matters semble enfin avoir conquis son domaine et nous réjouit avec ses nouvelles expériences bien plus ensoleillées qu'à l'accoutumée. Sans prétention aucune, voilà une dizaine de chansons qui passeront facilement l'épreuve des années.

The-Dream

Love King

Véritable égérie r'n'b/hip-hop du catalogue Def Jam, The-Dream boucle avec Love King une trilogie absolument indispensable. Assisté par des productions taillées au millimètre, The-Dream enfile les tubes comme des perles et signe un disque qui se vaut sur toute sa longueur. Cette réussite, The-Dream la doit à un délicieux mélange d'influences autant old-school que carrément modernistes, un élan qu'il concrétise grâce à une voix faisant corps avec sa musique. Dans cette logique, Love King est un disque peaufiné à l'extrême, pour qui le passage au studio a révélé tout le perfectionnisme de son auteur. Rajoutez à cela quelques gouttes d'auto-tune, des featuring pertinents et une maîtrise totale du sujet et vous obtenez une déclaration d'amour r'n'b comme il en existe peu par les temps qui courent. Mais qu'on se le dise, en venant d'Atlanta, cet amour-là ne se conçoit qu'à la première personne du singulier et vous ferait passer le sexe tarifé pour une passion à la Roméo et Juliette. Vous aimez Justin Timberlake, Prince, Chris Brown, T.I et Michael Jackson? Love King est fait pour vous.

Lawrence Arabia

Chant Darling

Lawrence Arabia est le pseudo un poil crétin sous lequel se produit depuis 4 ans James Milne, une -figure relativement importante de la scène alternative qui a été impliqué dans The Brunettes et Okkervil River, comme nous le radote Google. Ce pilier de la sagesse pop a déjà deux albums sous ce drôle de nom à son actif, dont ce Chant Darling passé étonnamment inaperçu alors qu'il a tout pour faire le bonheur tant des rédacteurs que des lecteurs de revues comme Magic ou Les Inrocks. C'est de la pop très classique, relevée et entraînante, qui se veut plaisante et joyeuse, toujours ouvragée et fédératrice. A l'écoute de ce disque des plus charmants, il est permis de penser à certains disques solo de John Lennon et Ringo Starr, à Badly Drawn Boy, à Divine Comedy ou encore aux Islandais de Bang Gang. Bref, c'est vraiment étonnant que tout le monde le rate, sinon les Britanniques, Milne/Arabia se produisant régulièrement en Angleterre et y passant même en radio, notamment dans l'émission de Jarvis Cocker sur BBC6. Vous admettrez qu'il y nettement a pire comme parrain et références et que celles-ci annoncent pleinement la couleur, celle du bonheur! 

Andrew Weatherall

A Pox on The Pionneers

DJ exceptionnel qui peut sans problème mixer du reggae et du garage rock, de l'acid-house et du hard-core, de la techno et de la soul, Andrew Weatherall est également une légende de la production indie britannique, on ne vous racontera pas une nouvelle fois son pedigree. Apôtre de l'électro pure et dure durant les années 90 au sein de projets comme Sabres of Paradise, Sabresonic et Two Lone Swordsmen, le Britannique s'est depuis quelques années montré intéressé par une approche plus rock de son art, idée directrice incarnée dès 2004 sur l'album From The Double Gone Chapel des Two Lone Swordsmen, où rodait déjà l'esprit de Joy Division et se reprenait une chanson du Gun Club. Sorti en 2009, le premier disque de Weatherall sous son propre nom est la suite logique de cet exercice d'hommage à la new-wave. Andy y chante, truffe ses morceaux de guitares et de refrains hooligans, garde tout de même le bpm au-dessus de 100 et honore avec générosité et naïveté ses influences d'ado : Clash, T-Rex, A Certain Ratio, The Fall...  Le résultat est un pur album de vieux rockeur 100% rosbif aux goûts et aux aspirations un jour chamboulés par la révolution électronique, l'utopie dancefloor et la consommation d'ecstasy. Blimey, quoi!

Guilty Simpson

OJ Simpson

L'imposant rappeur de Detroit est clairement une valeur sûre du hip hop game, il l'a déjà prouvé à de nombreuses reprises, que ce soit sur son premier album Ode To The Ghetto ou en featuring ici ou là. Pour ce deuxième essai, il a décidé de faire équipe avec l'infatigable Madlib (alias Otis Jackson, OJ, vous saisissez...) pour un résultat extrêmement complexe.  Dans ces 24 pistes, le duo enfume son monde et brouille les pistes. Nombreux sont les interludes et rares sont les apparitions du Coupable. Cela n'en rend ses interventions que plus percutantes, que ce soit sur un "OJ Simpson" nerveux ou encore un "Coroner's Music" oppressant. Ce format assez singulier explique probablement la faible résonance de ce "OJ Simpson" qui est pourtant un des temps forts de l'année hip hop 2010. Guilty Simpson est un rappeur hors norme, de par son charisme et son talent. Si besoin en était, il l'a encore prouvé ici.

Dwele

W.W.W. (W.ants W.orld W.omen)

Dwele a toujours été un chanteur très énervant. Depuis la sortie du remarquable Subject en 2003), il n'a fait que tourner en rond et patauger dans sa nu soul proprette et un peu incolore. Ce quatrième album change (enfin!) la donne.  Cela est dû à des paroles un peu plus variées qu'à l'accoutumée (outre les éternelles bluettes mid-tempo, on trouve des morceaux plus "sociaux", évoquant la crise économique) qui fonctionne plutôt pas mal mais aussi et surtout à une vraie remise en question sur le plan musical.  Inviter David Banner ou Slum Village, c'est bien vu et ça donne un vrai peps aux morceaux auxquels ils participent. Le clou étant de convier le légendaire DJ Quik à produire deux morceaux avec sa touche West Coast reconnaissable entre mille. Petit Dwele est devenu grand. Il était temps mais on ne gâche pas notre plaisir sur cet album franchement agréable et jamais ennuyeux, ce qui est une première dans la discographie du chanteur de Detroit.

Mièle

Le jour et la nuit

Les habituelles têtes de gondole de la scène rock belge étant plutôt discrètes ces temps-ci, on pensait que cela laisserait un peu d'espace à des groupes n'ayant habituellement pas trop droit au chapitre. Malheureusement, force est de constater que ces derniers mois, le paysage pop/rock belge (et surtout wallon) s'est apparenté à une morne plaine. Aussi, il faut une fois encore se tourner vers les valeurs sûres d'un certain "underground" pour y trouver son compte. Parmi celles-ci, on retrouve le label Humpty Dumpty, qui a sorti en avril en Belgique et en septembre en France le nouvel album de Mièle, quatuor devenu trio suite au départ de Greg Remy (aujourd'hui chez Ghinzu). Savoureux mélange de pop en mode sépia et de chanson française bourrée d'élégance, Le jour et la nuit est de ces albums dont l'intemporalité et l'universalité séduisent immédiatement. Evoluant dans un registre clair-obscur tant dans les textes que dans les arrangements, le groupe emmené par le duo Stéphane Daubersy /Catherine De Biasio fait irrémédiablement mouche avec des compositions dont l'apparente légèreté ne peut cacher un amour du travail bien fait. Et quand on sait que quelques mois plus tard, c'est l'album de Joy, nouveau projet de Marc Huyghens, qui sortait chez Humpty Dumpty, on se dit que la maison bruxelloise aura connu une année 2010 tout bonnement exceptionnelle.