Dossier

Top 10 : Compilations Fabric

par Simon, le 6 octobre 2012

Les compilations Fabric ont toujours su faire parler d’elles en bien, et ce même si la quantité a toujours prévalu sur la qualité. On ne leur en veut pas, puisqu’avec un ratio d’une compilation par mois depuis onze ans il semblait difficile d’éviter la bouse occasionnelle. En 2012, la ténacité de cette institution parait se transformer en tradition un peu chiante: des gros noms à la pelle pour autant de sélections vidées de leurs cœurs, de la tech-house au kilomètre et pas mal de bass music pupute. Une machine à broyer les os qui ne survivrait probablement pas financièrement – ère de la blogosphère oblige – sans l’appui du nightclub du même nom. Le « meilleur » club du monde assure donc à cette série une pérennité logique, de quoi alimenter ce beau bordel qui compte aujourd’hui 130 compilations. Loin d’être la plus complaisante des rédactions, GMD vous propose ici un guide des meilleures sélections proposées par le titan anglais. L’occasion rêvée de faire le plein de gros son pour la rentrée. La mauvaise foi est incluse dans le prix.

PS : afin de ne pas faire de doublons, vous trouverez ici les chroniques des excellents Fabric de Ricardo Villalobos, Ellen Allien, Omar-S, Pinch, Shackleton, Surgeon, Optimo et Levon Vincent. Tous ceux-là avaient leur place dans ce top, mais auraient empiété sur le peu d’espace qu’on peut déjà consacrer à cette étude scientifique sur cette institution quasiment bancaire qu’est la Fabric.

1. Robert Hood

Inviter Robert Hood à mixer une de tes plaques, c’est comme transférer Ibrahimovic pour dézinguer les défenses en mousse de la L1: t’es sûr qu’il va y avoir du cassage de reins. L’homme qui restera toujours comme l’inventeur de la techno minimale, et globalement comme le plus grand visionnaire venu de Detroit, aligne une sélection de puriste qui ne souffre d’aucun accroc, d’aucun temps mort. Tellement géante qu’on en oublierait presque que sa technique de jeu est intouchable : trente-deux vinyls explosés en soixante minutes, soit le rythme de Sacha Grey dans un gang bang et l’organisation militaire d’un Moudjahidine. Son minimalisme est de forme pure, aucun clavier n’est mis de côté, c’est la tension même qui fait de cet œuvre un vrai concentré de rachitisme militaire. Ne jamais rien sacrifier sur l’autel du mantra « less is more », jouer avec le cœur sur des percussions de haute technologie. Une idée que le co-fondateur d’Underground Resistance a toujours mis en avant, et qui est simplement importée dans un contexte moderne. Prend ça Quentin Mosimann.

2. M.A.N.D.Y.

Pour être tout à fait francs, on aurait aimé détester cette sélection. Peut-être pour pouvoir jouer les prédicateurs à propos de ces queutards de chez Get Physical. Le label qui a popularisé la tech-house sur des kilomètres à la ronde, qui a fait de Booka Shade les pires suce-bites de leur époque, qui a cachetonné sur une esthétique minimal « pouic-pouic » en mal de vivre, qui a tout sacrifié pour le synthétisme chiant et perpétuel, proposant une alternative maussade à tous les orphelins de la musique électronique. On aurait bien voulu, putain. Mais cette sélection est parfaite. Quatre ans après sa sortie, on se demande encore comment le duo a pu jouer cette sélection avec autant de dynamisme, autant de richesse dans les ambiances. Vingt-trois titres étiquetés tech-house, deep-house et tout le bordel minimal qui vont de Quarion à Audion, de Mark Henning à Lucio Aquilina (et son immortel « My Cube ») en passant par Robag Whrume et les horribles Booka Shade. Une sélection jouée avec un instinct mathématique, qui consacre ce duo comme un gros poisson une fois derrière les platines.

3. Marcus Intalex

On se devait de foutre une compilation drum’n’bass dans le lot, de peur que les deux pelés anglais qui nous lisent lancent une fatwa contre les locaux de la rédaction situés dans la Silicon Valley. Et ce n’est pas ce qui manque dans la série, la faute à un goût trop prononcé des Anglais pour les beats « à 170 ». Sauf que la sélection de Marcus Intalex passe au-dessus de toutes considérations stylistiques : elle est juste belle à en crever. On aime vous parler de ce héros qu’est Marcus Intalex, de l’esprit visionnaire qu’il a eu en lançant son étiquette Soul:R à un moment où le genre dépérissait entre les mains de tous les clones prout-prout. C’est la première fois qu’on entendra parler de Commix (dont on vous recommande également sa sélection pour la Fabric), Lynx, Calibre, Breakage, Alix Perez, Sabre ou Instra:Mental. C’était en 2007, punaise, et aujourd’hui tous ces mecs incarnent le renouveau drum’n’bass dans ses différentes mutations. Un coup de maître qui ne passe pas uniquement par sa tracklist, mais par sa volonté de jouer tout de manière « deep ». Fini les titres de drum’n’bass stéréotypés au possible, la révolution était en marche. Et historiquement, elle se concrétise pas mal dans cette sélection intouchable.

4. Dj Format

Jouer du hip-hop et du funk au beau milieu de tous ces mecs tatoués techno/house et bass music est une chose difficile. S’en sortir avec les honneurs comme Dj Format l’a fait ici tenait de l’impossible. Sa sélection est celle d’un vrai loopdigger, un alliage furieux de batteries funk, de perles soul oubliées et de turbulences hip-hop. L’Angleterre a toujours eu en tête ce fantasme des producteurs touche-à-tout : de Cut Chemist à Dj Food en passant par DK (prenez globalement une bonne partie de la merde qu’a sorti Ninja Tune sur vingt ans d’activité), jouer funk sur hip-hop sur soul vous garantissait d’être cool - et de vendre son lot de skeuds par la même occasion. Sauf que là, Dj Format joue à un niveau d’intensité qui le prédestinait plutôt à finir sur un label comme Soul Jazz plutôt que sur Fabric. Un jeune mec rempli de talent, qui compile ici des moments oubliés de l’histoire noire-américaine avec une cohérence assez folle. Pas besoin d’aimer la poussière pour aimer ce FabricLive.27, il suffit juste d’un peu de goût et d’une après-midi ensoleillée. Déjà six ans que cette bombe est sortie.

5. Dj Spinbad

Si l’exploit de Dj Format est à souligner – quoique compréhensible au vu de l’amour que portent les cockneys pour les pots-pourris funk/hip-hop – celui de Dj Spinbad est carrément historique. Pour une heure, la Fabric aura joué du hip-hop américain. Du vrai, du gros, du lourd. Et surtout du classique. Une sélection qui fera toujours office de bande-son dans les bureaux de votre rédaction préférée, friande de l’histoire hip-hop comme tu aimes tes Coco Pop’s avant que cet enfoiré de Chocos n’apparaisse sur les boîtes. Vingt ans d’histoire qui se catapulte au lance-pierres, jouée vinyl et avec révérence. Si tu aimes Nas, M.O.P, Lord Tarik, Ol’Dirty Bastard, KRS One, Slick Rick ou A Tribe Called Quest, cette selection est pour toi. Quant à Dj Spinbad, cela fait huit ans qu’on a perdu sa trace. Aux dernières nouvelles, ils nourrirait des tortues avec des pizzas dans le métro de New-York.

6. Audion

Tout le monde aime Matthew Dear, les vicieux adorent Audion. Si Matthew Dear est une conscience romantique du genre minimal-pop, Audion incarne son amour du sexe anal, sa brutalité boueuse et ses humeurs douteuses. Une sélection qui résonne comme un amour de la transgression : c’est lent, malsain et spongieux. Tout se traîne, fonctionne à contretemps et emploie des borborygmes pour se faire comprendre. Ce Fabric 27, c’est de la house minimale pour les shemales, l’hymne des bites qui perlent, le trip total. Dans cette sélection tu respires peu, en tous cas tu respires mal, tu happes l’air moite par la fermeture éclair de ton masque en latex. Audion à cette époque sort d’un magnifique premier album – Suckfish – et est au sommet de son art sombre, celui qui aligne pensées scatologiques et composition mathématique. Tu as toujours voulu tourner dans un film de John B. Root mais tu es trop fainéant pour te lever de ton siège ? Alors entre deux vidéos, quitte Youporn et va t’écouter cette plaque à la limite de la légalité.

7. Luciano

Il était logique que cette grande tige barbue de Luciano finisse par avoir son Fabric. Logique, en effet, puisque le Suisse incarnait à cette époque (et toujours maintenant d’ailleurs) tout ce côté « salsa-mojito-pieds-dans-le-sable » de la deep-house. Lui et Cadenza, son label rempli de pouic-pouic ensoleillés, amusent les quatre coins du monde avec un son rondouillard en attendant que le revival deep-house les remettent dans le rang. Cette sélection est à cette image, en mieux peut-être car elle évite tous les clichés tenaces de la scène (meuf qui sort des refrains pupute, petit banjo qui te gratouille l’oreille, odeurs klezmero-festives samplées de manière obtues) pour nous livrer un vrai grand moment de deep-house pour après-midi au pastis. Un exercice de style qui sert aujourd’hui de modèle afin de comparer une sélection du genre, même si au-delà du genre pris pour ce qu’il est, c’est une véritable collection de grandes tracks de qualité. Une sélection à se faire péter la ruche au bord d’une piscine.

8. Global Communication

On n’est pas très originaux en soulignant l’excellente tenue de Global Communication au volant d’une sélection mixée – leur Back In The Box vaut toutes les démonstrations du monde. Comme d’habitude, le duo fait admirablement bien le pont entre Detroit et Sheffield. Hip-hop qui mute en mouvement (on aurait voulu faire les cools, et vous parler d’avant-hop) et trip des calculettes qui font du bruit pour la première partie ; virage serré en deuxième partie de mix vers une tech-house anglo-américaine. Les amateurs de la belle époque de Warp aimeront, tous ceux qui aiment les voyages en carrosse aussi. Un mix qui a une gueule conventionnelle, mais qui fonctionne comme un des plus beaux ovnis de la collection, qui vous laisse toujours en suspend sans vous indiquer sur quel pied danser. Un amour de voyage sensoriel, qui se veut comme une aventure post-moderne entre les innovations d’hier et le clubbing d’aujourd’hui. Grosse grosse sélection.

9. Michael Mayer

Comment évoquer Michael Mayer sans retomber dans les lieux communs « Kompakt-trop-bien-fierté-de Cologne », surtout quand le label qu’il a cofondé demeure encore et toujours comme la porte d’entrée un peu démago vers le clubbing de masse ? Peut-être tout simplement en passant cette sélection sur votre lecteur le plus proche. Toutes les conneries qu’incarne l’Allemand aux yeux des gens qui n’y connaissent que dalle ne se retrouvent pas dans cette sélection. Aucune tentation fastoche, juste un alignement de titres forts, même pris isolément. Il faut croire que les grandes sélections sont comme des histoires, avec un début, un milieu et une fin. Pas de digression, mais des titres qui se parlent, qui se répondent avec force – ce qui n’est pas le cas de la majorité des merdes qu’on nous sert en podcasts. C’est pour ces qualités de narration que le Fabric de Michael Mayer est une chose merveilleuse. On a toujours pas trouvé la clé de cette sélection, elle qui ne ressemble à rien sur le papier, mais qui défonce 90% de ce qui se trouve sur le net dans le genre.

10. Tayo

Le mérite de ce top est qu’il a tenté de donner une idée des genres abordés par la série Fabric, et à ce titre il parait difficile de ne pas parler du genre sobrement appelé breaks. Si vous aimez Stanton Warriors, Baobinga et tous ces allumés du bulbe, alors vous connaissez déjà cette sélection. Pour les autres, sachez que ce genre virevolte entre broken beat, baile funk et proto-dubstep. Ca défouraille dans tous les sens, c’est percussif au possible et c’est aussi un peu fatiguant. A ce petit jeu, Tayo c’est le king kong, sa force de frappe est terrifiante. On s’y connait peu en matière de breaks, mais on sait, pour avoir traîné cette compilation jusqu’à aux oreilles d’experts en la matière, qu’elle taille dans des perles sélectionnées avec une rare attention. Plus instinctivement, ce set est calée avec une précision affolante, enfonce les portes fermées avec une brutalité savante. Et puis bon, il se termine sur le « War Dub » de Digital Mystikz, donc ça force le respect. A écouter avec un casque de moto sur la tête.