Dossier

Television Rules The Nation #23

par la rédaction, le 20 octobre 2023

Chaque numéro de Television Rules The Nation, ce sont cinq suggestions, qu'il s'agisse de films, de séries ou de documentaires. Et à chaque fois, un lien avec la musique, mais pas forcément avec l'actualité, le dossier se voulant d'abord être alimenté par la seule envie de partager des contenus de qualité.

In A Silent Way

Originaire de North London, Mark Hollis a grandi dans le même quartier que Ray Davies (The Kinks), Muswell Hill, perché sur la colline et isolé de la jungle urbaine. D’autres éléments conditionnent le parcours radical de Hollis dans la pop culture. Son frère aîné Ed participe à l’origine du punk anglais. Il manage Ed and The Hot Rats, groupe de pub rock qui tournera punk puis s’occupe notamment des Only Ones ou de Johnny Thunders. Il deviendra héroïnomane, ce qui traumatise son jeune frère.

C’est dans la mouvance punk que Mark Hollis débute facilement grâce aux connections de son frère. Au tournant des années 80, il se fait signer avec son groupe par EMI car ils jouent sur des synthétiseurs : c’est à la mode et ça ne coûte pas cher. Ils sont mis dans le même département que Duran Duran. Développés par les mêmes producteurs et gérés par les mêmes attachés de presse. Hollis n’est pas à l’aise dans cette case et cherche à gagner en indépendance grâce au succès. C’est ce qui se produit en 1984. Ils sortent "It’s My Life", plutôt ignoré en Angleterre. En Europe en revanche, les FM plébiscitent "It’s My Life" et "Such A Shame". Pour cette dernière, Mark Hollis, en pleine ère MTV, grave en un clip une image pour la postérité de l’anti-héros 80’s. Filmé seul à mimer sa chanson, on sait qu’il ne joue pas le jeu, qu’il n’est pas un entertainer. Le succès permet de poser ses exigences et Hollis veut se débarrasser des synthés pour le prochain album. EMI obtempère et The Colour Of Spring sort. C’est un carton.

Bourré de singles exigeants, Talk Talk devient un espèce de Pink Floyd 80’s, pris au sérieux. Hollis lui devient plus énigmatique. Il se dissimule derrière ses cheveux et des lunettes noires pour délivrer des performances possédées que Thom Yorke semble avoir copiées devant son miroir. EMI sent tenir son génie et laisse carte blanche et budget illimité pour la suite de The Colour Of Spring. Sauf qu’après la lassitude des synthés, Hollis est maintenant las du show business et des tournées. Seule la musique ramenée à une forme de pureté et de naïveté hypersensible le motive. Il crée des conditions hors normes en studio pour enregistrer Spirit Of Eden : éclairage à la bougie, improvisations. Quand EMI reçoit les bandes, ils sont horrifiés. Ils demandent un nouvel enregistrement tellement le disque est anti pop. Hollis refuse et ne daigne assurer une promo qu’à contre coeur. Il refuse de tourner expliquant que le disque reflète un moment impossible à recréer.

EMI sabote la promo du disque qui se vend tout de même mieux que prévu. Les avocats prennent le relais et Talk Talk et le label se battent longtemps pour régler leur divorce. Une fois acté, Polydor récupère ce qui reste du groupe et sort The Laughing Shock, initiateur du Post Rock, en 1991. Talk Talk disparaît ensuite. Hollis publie son album solo en 1998, énigmatique, plein de silences, puis se retire définitivement. En silence.

2020. Une équipe de cinéma sillonne les côtes anglaises pour tenter de percer le mystère entourant un disque paru 30 ans plus tôt, Spirit of Eden, et le passage de la lumière à l’ombre de ses auteurs Talk Talk. Mais le chanteur refuse de parler. Les autres membres du groupe aussi. La quête devient donc le sujet, le silence devient la bande sonore. Fascinant documentaire que ce In A Silent Way qui semble se trouver en cours de fabrication. Comme l’exprime très bien Gwenaël Breës : “est-ce que j’allais faire un film contre la volonté de ceux à qui je voulais rendre hommage, et célébrer leur radicalité en la trahissant ?”. La réponse n’appartient finalement à personne, pour peu qu’elle existe. On peut ne pas comprendre, on peut rester sur le côté, le chemin semblant trop long, étrange, peu aimable. Mais In A Silent Way n’est pas un film, pas un documentaire, pas même un hommage. C’est une quête de vérité. Et comme le souligne avec pertinence le journaliste Wyndham Wallace dans Classic Pop Magazine : « ce qui commence comme une quête de la vérité derrière certains des plus grands disques jamais réalisés finit - comme souvent - par se plier à la volonté d'Hollis, provoquant un film moins accessible mais finalement plus inventif qui reste sous l'emprise du pouvoir de l'énigme”. Pas mieux. (Nico P.)

Badfinger

Ça commence comme un conte de fées. Un quatuor gallois tente de percer à Londres pendant le Swinging London. Ils attirent l’attention de Mal Evans, le roadie/garde du corps des Beatles depuis leurs débuts, un des rares membres de leur premier cercle restreint. Les Beatles sont en train de créer leur société/maison de disques Apple. Evans veut les signer. Peter Asher, le directeur artistique est d’accord et les Iveys rentrent dans l’écurie Apple. Ils enregistrent leur premier succès "Maybe Tomorrow" sous la houlette de Tony Visconti (futur producteur culte de T Rex et surtout des albums les plus novateurs de Bowie jusqu’aux 4 derniers). Les Beatles proposent aux Iveys de changer de nom et Badfinger est choisi. Paul McCartney leur donne un hit inaugural "Come An Get It". Puis ils enchaînent avec "Without You" qui sera un énorme tube par eux puis par Harry Nilsson et enfin plus récemment par Mariah Carey. Ils deviennent une des meilleures valeurs sûres commerciales de Apple et même incarnent la relève quand les Beatles se séparent.

Sauf que le label Apple est instable et ne bosse pas pour eux avec la force de frappe qu’un label mieux structuré pourrait. Ils accompagnent Lennon et Harrison durant les premières années solo mais doivent partir ailleurs quand Apple cesse ses activités en 1973. Badfinger signe chez Warner. Leurs disques sont bien accueillis mais peinent à se vendre car des tensions éclatent entre le label et le management du groupe. Les musiciens sont pris en otage. Stan Polley, le manager, leur fait la grande spéciale : il négocie une avance avec Warner qu’il palpe, puis s’enfuit avec. Le label lance une procédure et le groupe se retrouve démuni et sans un sou. Pete Ham se pend, désespéré par la situation, laissant la note suivante : "I will not be allowed to love and trust everybody. This is better. Pete. PS Stan Polley is a soulless bastard. I will take him with me. » Le groupe voit tous ses contrats rompus.

Tom Evans, l’autre songwriter, cherche à recréer le groupe mais bataille aussi pour récupérer de l’argent. "Without You" est devenu un standard après la reprise de Harry Nilsson et l’argent reste bloqué par les contrats foireux avec Warner et Apple. Désespéré, Evans se pend à son tour en 1983. En 2013, le single "Baby Blue" se classe tout en haut des charts après son apparition dans l’ultime épisode de Breaking Bad.

Badfinger, c’est une histoire de loose, peut-être même, le guide parfait pour foirer sa carrière. Rien ne s’est passé comme prévu, tout ne fut que trahisons, déceptions, attentes et mensonges. Et aujourd’hui encore, malgré le regain de popularité, Badfinger n’est que peu de choses, peu de citations, peu de titres en boucles, peu de références dans notre univers pop. Le groupe mériterait, en 2023 plus que jamais, son grand film, son grand doc. En attendant, celui-ci, incomplet mais efficace, fera l’affaire. (Nico P.)

Teenage Mutant Ninja Turtles : Mutant Mayhem

TMNT : Mutant Mayhem, ou comment foirer l’ambiance d’une bande originale absolument dingue. Bénéficiant déjà d’une direction artistique visuelle très cohérente et qui aurait pu être originale si Spider Man : Into The Spider Verse n’était pas passé par là, le projet de Seth Rogen a réussi à se dégoter Trent Reznor et Atticus Ross. Deux héros des années 1990, représentant parfaitement le lien entre le hip-hop, le courant indus et les musiques électroniques, qui ont pondu de quoi faire une parfaite bande originale pour un film sur les Tortues Ninja. L’atmosphère assez glauque de la musique d’introduction du film résonne à merveille avec ses choix esthétiques cherchant le bizarre dans le design des personnages et insistant sur les asymétries de visage.

Mais TMNT, c’est également une ambiance teenage très fun, assez proche justement de l’humour de Seth Rogen. En utilisant des courbes de synthétiseurs assez claires, Reznor et Ross ont pu approcher la tendresse, comme sur “We Only Need Each Other”, mais également des passages plus comiques soulignés par des vibes de trip-hop. Alors pourquoi rajouter des tonnes de morceaux non-originaux, vus et revus dans tous les films incapables de croire deux minutes à leur scène d’action en se laissant en permanence la porte de sortie du ressort comique ? Et si on adore A Tribe Called Quest, peu de choix morceaux auraient pu à ce point briser l’unité de l’atmosphère pour en faire, au final, un scénario assez quelconque (spoiler : c’est celui de tous les films X-Men). (EmileO).

Big Star: Nothing Can Hurt Me

Alex Chilton a grandi à Memphis. Il est adolescent quand les groupes anglais envahissent les charts américains. Il devient musicien, obsédé par Beatles, Stones, Who et Kinks. A 15 ans, ses talents de chanteur sont déjà célébrés à Memphis notamment dans le radio crochet du Memphis' Central High School. Il forme alors les Box Tops et enregistre une composition de Wayne Carson (auteur de chansons country). "The Letter", un des plus gros tubes de 1967. Alex Chilton a 16 ans.

Avec des membres mineurs, difficile de déménager dans un lieu plus exposé pour la pop culture que le Tennessee. Du coup, les Box Tops continuent d’enregistrer et à rencontrer du succès plus mesuré. Un par un, les musiciens préfèrent les études au succès éphémère. Chilton s’accroche jusqu’en 1969 puis dissout le groupe. Il part à New York pour se perfectionner comme guitariste et chanteur. Il découvre ce timbre fragile moins soul qui va devenir sa signature. De retour à Memphis il rencontre son alter ego "wannabe rock star" obsédé par les anglais : Chris Bell. Après quelques répétitions, ils sont persuadés de devenir les Lennon/McCartney du sud. Le rock sudiste blanc est à la mode avec les Allman Brothers. Le groupe Big Star est monté. Il est signé par le label de soul noire Stax.

Les critiques sont unanimes, l’album est un chef d’œuvre sauf que… Stax a un très mauvais département promo et les radios sont mal travaillées, les chansons ne passent pas. Plus grave, à cause d’une banqueroute du label, impossible d’approvisionner les magasins. Quasi personne ne peut acheter le disque. #1 Record est un four. Le fragile Chris Bell le prend violemment et devient incontrôlable et finit par quitter le groupe et s’enfonce dans alcoolisme, addictions et fanatisme religieux. Chilton lui veut pousser l’essai et donner une vision moins pop et « bien produite » de Big Star. C’est Radio City qui sort en 1974 encore une fois encensé, sauf que… Stax s’effondre et négocie un deal de distribution avec Columbia. Cela échoue et Columbia refuse de diffuser les disques Stax et donc le nouveau Big Star. Encore une fois le disque tombe aux oubliettes. Chilton déprime. Il est en couple avec la destructrice Lisa Aldridge. Dans une spirale d’excès classiques, il écrit une série de chansons plaintives, désespérées, désabusées qu’il enregistre avec quelques musiciens locaux sous la houlette du producteur un peu loser Jim Dickinson. Personne pour sortir le disque, et Chilton veut l’oublier.

Chilton part à la Nouvelle Orléans. Il tourne un peu puis arrête la musique pour faire la plonge dans un restaurant. Peu à peu, il se remet péniblement à la musique et joue dans des groupes de reprises de manière anonyme. Si il n’a pas de succès, il teste la variété des styles en vogue à la Nouvelle Orléans notamment les cross over jazzy. La deuxième moitié des 80’s sont plus clémentes. Les Bangles décident de reprendre "September Girls" du deuxième album de Big Star, les royalties lui permettent de sortir de la précarité. Juste après, The Replacements, en passe de devenir un groupe énorme (ça a foiré de peu) appelle le lead single de son nouvel album Alex Chilton. Cette reconnaissance lui fait signer un modeste contrat pour enregistrer de nouveaux disques sur de petits labels. Il devient un artiste culte tournant beaucoup et proposant une grande diversité de styles. Mais reste le fantôme de Big Star. L’arrivée à maturité des scènes indie en Angleterre et aux USA (en 1992, les deux plus gros groupes sont REM et Nirvana) refait parler de Big Star dans les interviews. Par le jeu des rééditions CD, un nouveau public peut découvrir ces disques. Chilton est un brin forcé par de jeunes musiciens à revenir sur ses chansons. Un peu à contre cœur au départ, il obtempère.

Big Star: Nothing Can Hurt Me est le récit, archi complet, de cette aventure. Classique en apparence, le documentaire de Drew DeNicola et Olivia Mori réussit pourtant à se déparer des exigences du genre pour explorer les failles, les détails, les étrangetés d’une carrière qui ne saurait être résumée en un film. Passionnant. (Nico P.)

Blaze

Un film étonnant, visuellement bluffant, par les producteurs de Mister Babadook. Une pépite indé en provenance d’Australie. Blaze, une jeune adolescente, est l’unique témoin d'un crime choquant. Luttant pour donner un sens à ce qu'elle a vu, elle déchaîne la colère de son dragon imaginaire. Blaze est un film audacieux et somptueux.

L’artiste peintre Del Kathryn Barton, dont c’est le premier film, nous plonge dans l'esprit d'une ado traumatisée au travers de visuels colorés, énigmatiques, et de créatures magiques. Surtout, cette adolescente est interprétée par une révélation du nom de Julia Savage, exceptionnelle dans le rôle. Quant à son père, il est joué par Simon Baker, qui depuis la fin de la série The Mentalist, ne cesse de nous surprendre par ses choix de carrière radicaux. Blaze, c’est un film spectaculaire selon Variety, rien de moins qu’un chef d'œuvre selon Time Out.

C’est aussi une bande originale somptueuse. Normale, elle est signée Angel Olsen et Sam Petty. La première est l’une des plus grandes compositrices actuelles.Le second a signé les BO de The Rover et Animal Kingdom. (Nico P.)