In A Silent Way
Originaire de North London, Mark Hollis a grandi dans le même quartier que Ray Davies (The Kinks), Muswell Hill, perché sur la colline et isolé de la jungle urbaine. D’autres éléments conditionnent le parcours radical de Hollis dans la pop culture. Son frère aîné Ed participe à l’origine du punk anglais. Il manage Ed and The Hot Rats, groupe de pub rock qui tournera punk puis s’occupe notamment des Only Ones ou de Johnny Thunders. Il deviendra héroïnomane, ce qui traumatise son jeune frère.
C’est dans la mouvance punk que Mark Hollis débute facilement grâce aux connections de son frère. Au tournant des années 80, il se fait signer avec son groupe par EMI car ils jouent sur des synthétiseurs : c’est à la mode et ça ne coûte pas cher. Ils sont mis dans le même département que Duran Duran. Développés par les mêmes producteurs et gérés par les mêmes attachés de presse. Hollis n’est pas à l’aise dans cette case et cherche à gagner en indépendance grâce au succès. C’est ce qui se produit en 1984. Ils sortent "It’s My Life", plutôt ignoré en Angleterre. En Europe en revanche, les FM plébiscitent "It’s My Life" et "Such A Shame". Pour cette dernière, Mark Hollis, en pleine ère MTV, grave en un clip une image pour la postérité de l’anti-héros 80’s. Filmé seul à mimer sa chanson, on sait qu’il ne joue pas le jeu, qu’il n’est pas un entertainer. Le succès permet de poser ses exigences et Hollis veut se débarrasser des synthés pour le prochain album. EMI obtempère et The Colour Of Spring sort. C’est un carton.
Bourré de singles exigeants, Talk Talk devient un espèce de Pink Floyd 80’s, pris au sérieux. Hollis lui devient plus énigmatique. Il se dissimule derrière ses cheveux et des lunettes noires pour délivrer des performances possédées que Thom Yorke semble avoir copiées devant son miroir. EMI sent tenir son génie et laisse carte blanche et budget illimité pour la suite de The Colour Of Spring. Sauf qu’après la lassitude des synthés, Hollis est maintenant las du show business et des tournées. Seule la musique ramenée à une forme de pureté et de naïveté hypersensible le motive. Il crée des conditions hors normes en studio pour enregistrer Spirit Of Eden : éclairage à la bougie, improvisations. Quand EMI reçoit les bandes, ils sont horrifiés. Ils demandent un nouvel enregistrement tellement le disque est anti pop. Hollis refuse et ne daigne assurer une promo qu’à contre coeur. Il refuse de tourner expliquant que le disque reflète un moment impossible à recréer.
EMI sabote la promo du disque qui se vend tout de même mieux que prévu. Les avocats prennent le relais et Talk Talk et le label se battent longtemps pour régler leur divorce. Une fois acté, Polydor récupère ce qui reste du groupe et sort The Laughing Shock, initiateur du Post Rock, en 1991. Talk Talk disparaît ensuite. Hollis publie son album solo en 1998, énigmatique, plein de silences, puis se retire définitivement. En silence.
2020. Une équipe de cinéma sillonne les côtes anglaises pour tenter de percer le mystère entourant un disque paru 30 ans plus tôt, Spirit of Eden, et le passage de la lumière à l’ombre de ses auteurs Talk Talk. Mais le chanteur refuse de parler. Les autres membres du groupe aussi. La quête devient donc le sujet, le silence devient la bande sonore. Fascinant documentaire que ce In A Silent Way qui semble se trouver en cours de fabrication. Comme l’exprime très bien Gwenaël Breës : “est-ce que j’allais faire un film contre la volonté de ceux à qui je voulais rendre hommage, et célébrer leur radicalité en la trahissant ?”. La réponse n’appartient finalement à personne, pour peu qu’elle existe. On peut ne pas comprendre, on peut rester sur le côté, le chemin semblant trop long, étrange, peu aimable. Mais In A Silent Way n’est pas un film, pas un documentaire, pas même un hommage. C’est une quête de vérité. Et comme le souligne avec pertinence le journaliste Wyndham Wallace dans Classic Pop Magazine : « ce qui commence comme une quête de la vérité derrière certains des plus grands disques jamais réalisés finit - comme souvent - par se plier à la volonté d'Hollis, provoquant un film moins accessible mais finalement plus inventif qui reste sous l'emprise du pouvoir de l'énigme”. Pas mieux. (Nico P.)