Validé (saison 1)
À Canal +, on aime le risque. Artus en analyste de la DGSE au très sérieux Bureau des légendes, c’était déjà un pari qu’on n’aurait pas imaginé gagnant. Mais que dire du choix de Kad Mérad en baron de la politique nordiste prêt à tout pour étancher sa soif de pouvoir à l’échelon national dans Baron Noir ? Probablement grisé par cette réussite insolente, les pontes du pôle série ont opté pour un nouveau choix osé avec Validé : confier à Frank Gastambide les rênes d’une série sur le rap français. Même si on oublie un peu vite que le gars était à l’origine de la web série plutôt golri Kaïra Shopping, c’est des navets du standing de Pattaya ou Taxi 5 qui ont fait de lui un poids lourd de la comédie franchouillarde à gros budget. Du coup, on n’y croyait que moyennent. Well, those bastards did it again.
Validé, série en 10 épisodes de 30 minutes racontant l’ascension (et toutes les emmerdes qui vont avec) d’un rappeur (Apash, le flow de Kool Shen dans le corps de Moha La Squale), réussit le petit exploit - ou plutôt le grand écart - de parler à l’amateur exigeant de séries comme à tous les petits petits filous qui écoutent des sons sur YouTube assis sur un banc public. Forcément, pour réussir ce tour de force, il a fallu procéder à quelques aménagements par rapport aux séries habituelles de Canal qui, à l’image du Bureau des légendes ou d'Engrenages, aiment prendre le temps de poser le décor et d'aller au fond des choses.
Validé n’opte donc pas vraiment pour ce format exigeant "à la HBO", préférant des épisodes extrêmement rythmés, qui enchaînent les intrigues et les embrouilles à un rythme tel que ça en devient parfois ridicule – en une saison, le personnage incarné par le rappeur Hatik vit plus de choses que pas mal d’artistes bien établis en toute une carrière. Mais cela est contrebalancé par des personnages crédibles et une histoire qui se veut au plus près du réel, notamment en conviant le gotha du rap hexagonal pour des caméos à foison (Lacrim, Ninho, Soprano mais aussi Fif de Booska-P, le patron de Skyrock Laurent Bounneau ou le clippeur Chris Macari) ou en faisant exister certaines de ses plus grandes stars à travers des personnages fictifs – Mastar, ennemi juré du personnage principal, réunit de nombreux traits de Booba le malin, tandis que son protégé Karnage renvoie à la brutalité du Kaaris d’Or Noir. C’est bien simple : on a l’impression qu’à part Mehdi Maïzi, ils sont tous venus – s’il avait mieux à faire, l’erreur de jugement est conséquente. Petit s/o aussi aux filles dans Validé, dont le rôle est à l'image de leur place dans le rap : pas assez visible mais essentiel. Autant Liv Del Estal dans le rôle de Louise, une sorte de Angèle Van Oberkampf très convaincante, que Sabrina Ouazani dans celui de la label manager avec une vraie paire de cojones apportent une vraie dimension à l'histoire.
En réalité il n’y a que le personnage de Brahim, meilleur pote d’Apash, pour noircir un peu ce beau tableau : bien qu’il ressemble à plein de gamins des cités avec sa sacoche Gucci et son survet’ du Real, il semble juste bon à bouffer des grecs, boire du Capri Sun et faire évoluer l'art narratif par ses conneries assez improbables dans une série dont la rigueur scénaristique et artistique est par ailleurs exemplaire – les morceaux écrits pour la série sont souvent excellents, et sa B.O. cartonne actuellement. Et en cerise sur le gâteau, la saison 1 se termine sur un cliffhanger digne des meilleurs épisodes de Game of Thrones. En un mot : bsahtek ! (Jeff)