Dossier

Television Rules The Nation #17

par la rédaction, le 26 mai 2022

Chaque numéro de TRTN, ce sont cinq suggestions, qu'il s'agisse de films, de séries ou de documentaires. Et à chaque fois, un lien avec la musique mais pas forcément avec l'actualité, le dossier se voulant d'abord être alimenté par la seule envie de partager des contenus de qualité.

Metal Lords

Netflix est en perte de vitesse, et a besoin de gros noms pour rester dans la course face aux nouvelles plateformes de streaming. C’est donc D.B. Weiss, qui n’est rien d’autre que l’un des artisans derrière petite série nommée Game Of Thrones, qui est ici à la création du projet, associé à Tom Morello de Rage Against The Machine. Pour les épauler à la réalisation, Peter Sellett, à qui on doit… Bon j’en ai vu aucun, mais il y a un film Minecraft prévu pour 2022, et ça, c’est jamais bon signe.

Avec une belle équipe de production et un casting plutôt efficace, le film raconte l’histoire de deux jeunes lycéens qui vont tenter de redorer leur blason social en créant un groupe de heavy metal. Hunter Sylvester (joué par l’inconnu et excellent Adrian Greensmith) est un ado coincé dans le passé du métal et n’a qu’un seul but dans la vie : gagner le concours des groupes du lycée. Problème, il est tout seul, et passe ses journées à travailler ses solos d’Iron Maiden et Alice In Chains. Il va se lier d’intérêt puis d’amitié avec Kevin Schlieb, un gamin complètement random mais avec un vrai don pour la batterie. Ce qui apparaît comme un synopsis assez banal des 90’s prend un peu de profondeur avec l’ajout du personnage d’Emily, jeune violoncelliste virtuose atteinte de troubles de la personnalité, et qui sera intégré au groupe pour forcer Hunter à quitter son conservatisme. Fidèle à la patte Netflix, le film est techniquement très quali, et narrativement plutôt mignon. Du feel-good adolescent dans lequel on aurait aimé plus de...métal.

On sent que le propos sur le genre n’a pas été poussé à fond, et c’est dommage quand on connaît le petit revival des musiques à guitare en 2022. (emile0)

Somebody Somewhere

C’est le retour de Hannah Bos. Plusieurs années après avoir régalé avec Mozart In The Jungle, sa nouvelle création est disponible sur OCS en France. Somebody Somewhere est une mini-série de huit épisodes mettant en scène Sam, joué par l’excellente Bridget Everett. Sam est revenue dans sa famille rurale pour s’occuper de sa sœur, gravement malade. La série commence quelques mois après sa mort, lorsque Sam est restée vers sa famille et occupe un poste incroyablement ennuyeux de correction de copies de concours. Lorsqu’elle rencontre Joel, avec qui elle va immédiatement se lier d’amitié, elle fait également la rencontre de son propre passé de chanteuse.

Là où la série tient toute sa subtilité, c’est que le chant ne va pas simplement être l’occasion de se libérer d’un poids familial et psychologique. Sam est une bête de scène, et elle revit lorsqu’elle chante dans une genre d’annexe paroissiale queer gérée par Joel. Mais chanter, c’est également accepter de donner une certaine réalité à des sentiments que Sam doit garder enfouis. La musique, trop puissante, ne la libérera pas si aisément, et se tiendra comme un compagnon lointain mais sporadiquement présent derrière les histoires sociales plus banales que vivra Sam au cours de ces épisodes.

Somebody Somewhere est un très beau propos sur le chant, mais aussi et surtout une série qui parvient à rendre puissamment la tendresse de la normalité sans jamais tomber dans la niaiserie. La grande classe. (emile0)

Tresor, 30 ans

Club et label berlinois, le Tresor est ce que l'on appelle communément une « institution » dans le monde de la techno. Pour célébrer dignement les trente bougies de ce monument de la musique électronique, la chaîne franco-allemande Arte a eu la bonne idée de faire des captations live de performances d'artistes venus d'horizons divers allant du monde du clubbing (Function, TYGAPAW) à des set plus « expé » comme celui du percussionniste Mohammad Reza Mortazavi ou de la compositrice ambient Grand River.

Parmi ces huit performances en guise d'hommage, on retrouve un duo cher à notre cœur, Dopplereffekt et leur musique électro futuriste. Dans un décor à l'image de leur musique -résolument minimaliste- les synthétiseurs de Gerald Donald (moitié de Drexciya) et de Michaela To-Nhan Bertel continuent d'explorer avec la même ferveur depuis presque vingt ans les relations désormais inextricables entre l'Homme et la Machine. Si la scénographie brille par sa sobriété, le tournoiement incessant de la caméra autour de ces deux silhouettes déshumanisées finissent de nous happer dans un monde fait d’expériences dans le métavers et d'humains augmentés.

Bien que court, ce live est un condensé la musique de Dopplereffekt : très mathématique et froide au premier abord, elle s'avère être composée d'un nombre incalculables de recoins, de détours pour finalement révéler la part d'humanité qui gît au fond de ces satanés machines. Simple concert ou vision d'avenir, à vous de juger. (Bast)

People Just Do Nothing

L’action de People Just Do Nothing se déroule à Brentford, ville sans histoire de l’ouest londonien. Mais c’est moins sa proximité avec la capitale qu’avec une autre bourgade mythique de l’univers sériel qui nous intéresse. En effet, à quelques dizaines de kilomètres seulement de là, on trouve Slough et son zoning industriel déprimant où Ricky Gervais avait décidé d’installer les bureaux de Wernham Hogg, la société au cœur de la version britannique du mockumentaire The Office – assurément l’une des séries les plus importantes de ces trente dernières années.

Car il faut voir dans People Just Do Nothing une version « musicale » de The Office : oubliez les rames de papier, ici c’est dans l’univers des radios pirates que nous plonge People Just Do Nothing. On y fait la connaissance de jeunes gars fondus de UK garage et de jungle, et qui aimeraient faire de Kurupt FM le digne successeur de Rinse FM, célèbre radio pirate des années 2000 désormais bien installée sur la bande FM après des années d’illégalité. Ça c’est l’ambition. Sauf que ce projet de grandeur n’émet pas plus loin que leur quartier et se fracasse en permanence sur le mur de leur propre nullité : entre le boss à l’ego surdimensionné (MC Grindah), le sidekick aussi bon que con (DJ Beats), le gentil pote trop défoncé pour être utile (DJ Steves) et le pauvre type qui se voit déjà comme le nouveau Richard Branson (hilarant Chabuddy G), rien ni personne ne pourra les empêcher de connaître l’échec, ou de transformer la moindre opportunité qui pourrait s’offrir à eux en un four retentissant.

Comme dans la version britannique de The Office (c’est moins le cas pour la version américaine), il est compliqué d’avoir de l’empathie pour les personnages de People Just Do Nothing, une bande de pauvres types aveuglés par leur amour propre ou leur connerie abyssale. Certes on rigole, beaucoup, fort et tout le temps. Mais la série se voulant aussi proche du réel que possible, on a dans un second temps énormément de peine pour cette bande prédestinée au EPIC FAIL, et qui est un boulet pour celles et ceux qui les aiment. Et c’est parce que la série parvient à avancer d’un pas sûr sur cette ligne de crête qu’elle est aussi géniale.

Paradoxe ultime, cette série qui traite beaucoup de l’échec a été un succès absolu outre-Manche, et l’équipe de Kurupt FM a même pu voir se concrétiser dans la vie réelle le genre de choses qui ne peut que leur échapper dans la fiction : un album, un long métrage financé par Universal Pictures, un Fire in the booth (une sorte de Planète Rap version UK), des dates en festival ou un passage dans la mythique émission Top Gear. La revanche des perdants dans toute sa splendeur. (Jeff)

Technoboss

La retraite arrive bientôt pour Luís Rovisco, un directeur des ventes excentrique au moral inébranlable. Il vieillit, il n’est plus au top, son métier semble le passionner, encore un peu mais il commet bourdes sur bourdes. Son salut passe par la musique. Les chansons qu’il invente tous les jours résolvent à chaque fois les obstacles qu’il rencontre dans sa vie tumultueuse. Au volant de sa voiture, avec des amis, des collègues… Quelques ritournelles l’aident à franchir les caps, tous les caps. Mais Lucinda, la réceptionniste de l’hôtel Almadrava, le perturbe.

Une histoire pourrait bien naître, sur une mélodie bien différente des autres. Ne pas se fier à l’atroce affiche de ce film qui ne rend pas justice à sa beauté. Technoboss, jamais sorti sur les écrans français, est une comédie musicale. Certes, sans paillettes, sans pas de danse, ou alors des pas mal assurés. Un brin austère, cette romance aux allures de drame (à moins que ce ne soit l’inverse). Une douceur, une merveille. Une respiration. (Nico P.)