Dossier

Television Rules The Nation #19

par Nico P, le 26 octobre 2022

Chaque numéro de TRTN, ce sont cinq suggestions, qu'il s'agisse de films, de séries ou de documentaires. Et cette fois-ci, il s’agit d’un numéro un peu exceptionnel, mettant à l’honneur cinq documentaires de la sélection 2022 du festival Musical Écran, qui pour sa huitième édition revient à Bordeaux à partir du 7 novembre, et pour une semaine. Cinq films que nous avons eu la chance de voir avant leur projection lors de cet événement riche d’une trentaine de films musicaux.

Anonymous Club

Il y a d’abord la forme. Moins un documentaire, moins un récit de tournée, qu’un journal intime, tenu au jour le jour pendant trois ans, par Courtney Barnett elle-même, et ici mis en images. Des images de live, de foules, de loges… Des images que nous connaissons, mais qui prennent un sens différent. Car quand la chanteuse parle de ses moments de panique, de sa timidité, dès lors les fosses pleines à craquer, les regards braqués sur elles, se font intimidants, presque menaçants.

Et puis il y a le fond. Courtney Barnett parle d’elle, partage son ressenti, mais c’est tout un pan de la célébrité qui est ici déconstruit. En expédiant rapidement, dès les premières minutes, le parcours de la chanteuse, Danny Cohen préfère se pencher non pas sur le processus créatif, mais ses conséquences. Composer une chanson, c’est ensuite l’exposer au jugement du monde. Donner vie à un album, c’est le défendre en interview. Le quotidien d’un artiste est ainsi fait, et Courtney Barnett ne s’en ai jamais caché, sa timidité est un obstacle.

C’est cela que le film retranscrit à merveille : le doute, la peur, l’effacement. Sans entretien face caméra, sans linéarité évidente (on ignore si nous sommes en Europe, ou en Asie, où en est la tournée, ce qui l’attend demain), avec seulement des moments sur scène, expéditifs, furieux, pour témoigner des tourments intérieurs d’une artiste peut-être plus artiste que les autres. (Nico P.)

Getting it back : The Story Of Cymande

De MC Solaar aux Fugees, en passant par des dizaines et des dizaines d’autres noms du rap des années 90. Cymande, c’est un CV sur lequel défilent des noms, encore des noms, qui n’ont cessé de sampler, de découper, de piller parfois. Cymande, c’est un son, un riff, une note parfois, que vous connaissez par cœur. Mais Cymande est aussi un groupe dont vous n’avez strictement jamais entendu parler.

Est-ce parce qu’ils sont noirs ? Est-ce parce qu’ils sont pas moins de huit ? Est-ce parce que le monde, ou tout du moins leur ville de Londres, n’était pas prêt ? Ou tout cela à la fois ? L’échec de Cymande à accéder à une renommée mondiale est expliqué, ici, sous tous les angles. Oui, le groupe a manqué des mêmes chances que les autres. Bien évidemment, le racisme n’y est pas étranger. Alors, après trois albums, ils se séparent. Puis reviennent quelques années plus tard, jettent de nouveau l’éponge. Et sont petit à petit redécouverts. Ce documentaire est un très bel hommage. (Nico P.)

All The Streets Are Silent

All the Streets Are Silent est un documentaire relatant la convergence du hip hop et du skate dans les années 80 et le début des 90’s. Telle est l’ambition du réalisateur Jeremy Elkin : raconter deux univers qui au départ s’ignorent, se toisent, puis, finissent pas dessiner les traits d’un visage à une ville toute entière.

New-York, ici, est le personnage principal. Un New-York qui semble si jeune, presque fantasmé. On se perd dans les caves enfumées. L’image est sale, elle est d’époque. On aperçoit des jeunes talents qui n’ont pas encore tout dit, ils se nomment Jay Z et Busta Rhymes. Tout va très vite, on est de nouveau dans la rue, quelques figures s’enchaînent, une radio posée sur le trottoir offre une bande sonore à cette journée qui, de nouveau, se finira tard.

All The Streets Are Silent est un très grand documentaire. Un film qui dépasse son sujet, sans jamais le survoler. Racontées dans le détail, ces histoires de passionnés et de futures stars (Harmony Korine, Rosario Dawson, Moby), de gloires éphémères et de tendres moments. La fête grandit, petit à petit, puis de plus en plus vite. Bientôt, les stars auront une autre vie à vivre. Et New-York changera, brutalement, de visage. Mais avant, trois skateurs du coin auront eu le temps de monter une marque de fringues qui fera date, et se souviendront donc que tout est possible. (Nico P.)

Sirens

Beirut, Liban. Deux copines décident de monter un groupe. Un groupe de thrash metal. Il leur faut dès lors affronter les regards. Ceux des fans, de plus en plus nombreux, ceux aussi d’une poignée d’esprits rétrogrades, dans un pays qui peine à tenir debout.

Sirens, c’est donc l’histoire du groupe Slave To Sirens, mais plus encore, de deux adolescentes tentant de trouver leur place dans un monde qui ne cesse de leur rappeler qu’elles ne sont rien, et qu’elles ne seront rien. Ici, on passe moins de temps en salle de répétition que dans un quotidien étouffant, ici un salon aux côtés d’une mère sans le sou, là dans un bar, pour dépenser ses derniers sous dans un cocktail qui, peut-être, permettra d’oublier les soucis le temps d’une gorgée.

Du thrash metal, ici, on en écoute assez peu, finalement. Le sujet est ailleurs. Dans le chemin de Lilas et Shery, meilleures copines rêvant d’un ailleurs moins gris. Bouleversant, rien de moins. (Nico P.)

La Grande Triple Alliance Internationale de l'Est

C’est un monde à part que nous font découvrir ici Nicolas Drolc et Guillaume Marietta. Un monde fait de squats, de bières tièdes, de concerts punk sous les ponts, de fanzines et de flyers, de ukulélés, de maillots de bain, de guitares brisées, d’esprits perdus, de tout et de rien, et surtout pas de lendemain.

Dans les années 2000, un collectif commence à foutre le boxon dans les villes de Metz et Strasbourg. La suite va vous étonner. Mais aussi vous choquer, vous gêner même. Ici, tout est bruit, fureur, bêtise aussi parfois, ce que reconnaissent bien volontiers les intervenants. Sans autre envie que celle de tromper l’ennui, sans autre ambition que celle de créer, peu importe qu’on en soit capable ou non, nos héros, ne se posent pas de question, nous en avons des dizaines. Qui sont-ils ? Que veulent-elles ? La Grande Triple Alliance Internationale de l'Est, le film, apporte quelques réponses.

Ode au je-m’en-foutisme, aux outsiders, aux losers parfois, et au do it yourself, le film parvient, on ne peut que le penser, à retranscrire brillamment l’ambiance de l’époque, tant dans le mixage son (la bande sonore est faite de coupures brusques et de nappes imposantes parfois en décalage total avec le propos) que dans son rythme. On n’arrête pas, jamais. Il faut aller vite. Car, souvenez-vous, demain n’existe peut-être pas. (Nico P.)