Dossier

Pourquoi on ne va plus (ou presque plus) à des concerts de rap

par Jeff, le 28 octobre 2014

Parce que les horaires foireux

Chaque concert est un événement en soi, qu’on soit un gros blasé ou un lapin de neuf jours en la matière. On prend le temps d’affûter notre swag, on se pointe bien avant le début des hostilités, histoire de péter une mousse ou l’autre en discutant tranquille de l’épisode de Navarro diffusé la veille sur TV Breizh. On se fait fouiller à l’entrée, on passe devant le stand du merchandising et on prend tranquillement sa place. Il reste cinq minutes avant l’heure officielle de début, et là, c’est l’attente qui commence. Interminable. Vingt bonnes minutes déjà, avant que ne se pointe un deejay de seconde zone, qui va massacrer la foule à grands coups de tubes « thug » tout en hurlant dans son micro. Quarante-cinq minutes ensuite, avant de se taper une première partie satisfaisante mais longuette. Avec ça, tu commences à crever de soif, mais bouger signifierait perdre ta place  - car oui, malgré tes envies de te faire sauter la ruche, « être bien mis » revêt une importance toute particulière à tes yeux. La star, elle, est en coulisses, à rouler des blunts longs comme un bras et à boire de la Grey Goose sans trop te calculer. Il faut imaginer qu’à un moment, son manager lui annoncera que si elle est à Bobigny-Les-Oies c’est pour une raison précise, et que ça suppose de monter sur scène, à un moment, peut-être. Parce qu’elle finit par faire son apparition. Sauf que quand ça arrive, tout le monde a beau hurler, toi t’as envie de rentrer matter la redif’ de Koh Lanta, une bière à la main. Parce que tu sais que les conneries de Moundir, elles, n’arrivent jamais en retard.   

Parce que le dj de tournée 

Si tu es ici, c’est que tu es (plus ou moins) amateur de hip-hop, et que tu connais donc toute la valeur de l’artiste que tu décides d’aller voir en concert. Pourtant, à moins d’aller voir ton cousin slamer dans un lieu associatif, tu sais que tu vas devoir te coltiner un mec particulièrement inutile, une invention de l’enfer : le deejay qui hurle. Il n’a qu’une seule véritable vocation en dehors de ses tâches officielles : être comme un oursin sous tes couilles pendant deux heures de détente. On sait que ces ambianceurs ne détiennent probablement pas de doctorat en réglage de bouton « volume », ni en interventions pertinentes, mais pourquoi prendre des types qui balancent des coups de flingue / klaxon toutes les quarante-cinq secondes ? Peut-être parce que ces baltringues maîtrisent leur business depuis quinze jours et qu’ils tiennent plus du pote à qui on rend un service financier sur une tournée qu’à un finaliste du tournoi DMC. À la limite, on pourrait considérer que tout ce cirque donne une saveur carnavalesque à l’ensemble de la prestation. Si on accepte ce côté pompier, on vomit toutefois leur tendance à finir les fins de phrase de leur mentor. Pourquoi ? Ben parce que c’est nul, c’est moche et c’est con. Et parce que ça ne sert à rien. Et parce que je n’ai pas collecté mes pièces de cinq centimes entre les coussins de mon canapé pour me payer un nobody en hoodie qui balance de la tête en cumulant les pires défauts qu’un mec peut avoir en live. Et enfin parce que la liste de nos griefs à l’encontre de ces deejays du dimanche est trop longue, et qu’à défaut, Philippe Corti aurait au moins eu le mérite de mixer avec du jambon de Bayonne au bout des doigts. 

Parce que la mode

Vu la ligne éditoriale globale du site, on peut partir du principe que notre lectorat est majoritairement de peau blanche. N’y voyez pas malice, c’est comme ça. Il doit même y avoir des roux dans le lot, c’est dire. Mais on s’éloigne déjà. Les blancs qui vont à des concerts de hip hop, c’est tout simplement la misère d’un point de vue vestimentaire. Il faut se faire une raison : ça ne sert à rien d’essayer de se fondre dans la masse des blackos en jouant la carte de la crédibilité vestimentaire. Parce qu’il faut savoir une chose : un black qui va à un concert de rap, il peut porter une chemise hawaïenne avec un training peau de pêche et des Buffalo, ou se saper comme un dictateur zaïrois, il aura toujours une classe folle. Toi, t’aurais beau y mettre tout ton cœur, t’auras jamais que le swag à Sacha Distel avec ton polo Ünkut trop large et ta casquette Fubu – et le simple fait qu’on voit encore des blancs se trimbaler avec des casquettes Fubu en 2014 en dit long sur leur compréhension des codes vestimentaires en vigueur dans le milieu.  

Parce que les featurings 

Malgré les beefs en pagaille, le rap jeu est une grande famille travaillant principalement dans l’intérêt de son portefeuille Louis Vuitton. Ainsi, chaque album (et chaque mixtape, dans une moindre mesure) est l’occasion de se faire un maximum de pépettes en rognant sur les efforts déployés. En effet, pourquoi s'arracher les cordes vocales quand on peut demander aux copains de passer l’aprèm au studio à boire du sizzurp et fumer de la weed, en n’oubliant pas de pondre un couplet bien creux avant de se barrer complètement défoncé. Efficace sur album, cette unité vole en éclat dès qu’il faut partir en tournée. Parce que bon, monter une sauterie réunissant 2 Chainz, Rick Ross, A$AP Rocky, Drake, Young Thug, T.I., Pharrell Williams, Rich Homie Quan et Young Jeezy tient plus de l’event WWE que du concert à proprement parler, et que cette configuration a à peu près autant de chances de se matérialiser qu’une collaboration entre Autechre et Bob Sinclar. Cela veut dire qu’en 2014, les concerts des têtes de gondole de l’industrie ressemblent bien souvent à un enchaînement insupportable de titres en mode « snippets ». À peine le temps d’allumer une clope que le mec a déjà trois morceaux d’avance. Imagine quand tu vas pisser. 

Parce que les showcases 

Dès qu’on arrive chez des rappeurs un minimum établis, on pourrait penser que le choix de salle se limite à deux possibilités : soit l'enceinte immense où en échange d’un billet de 50 euros tu as généralement droit à un son de merde mais un beau mur de LED ; soit la petite salle intimiste qui est sold out en deux minutes malgré le prix prohibitif du billet. Mais les promoteurs, jamais à court d’idées maléfiques pour ruiner ton expérience de fan (ou de gros con, dans le cas présent), ont pensé à une troisième voie, pire que les deux premières réunies : le showcase. En même temps, sur papier, ça a du sens. Le rappeur (principalement américain) préfère passer du bon temps ‘in da club’ que ‘in da stinky tourbus’ ou 'in da shitty hotel'. Alors pourquoi se faire chier à amener tout le matos dans une salle de concert quand on peut attirer quelques centaines de couillons dans une boîte un peu louche où ils devront patienter pendant quelques heures à écouter un pauvre DJ en sirotant des Cuba Libre à 13 euros. Tout ça pour admirer la star de la soirée faire son entrée dans le carré VIP puis se lancer dans un concert de 30 minutes sans la moindre saveur. Lui après, il poursuivra sa nuit au Dom Pérignon. Toi, ce sera un taxi hors de prix, un supo et au lit. Et, vu l’heure du retour, la promesse d’une journée de galère au taf le lendemain. Et pas dit que ton emcee préféré pensera à toi en pétant dans la soie au réveil.  

Parce que le son 

Pas besoin d’être un malade du soundscaping pour accorder de l’importance au bruit qui sort d’un mur d’enceintes. Si tu n’es pas un dauphin - malgré ta propension à remuer la queue - il est également certain que les rappeurs n’ont rien d’un Jacques Mayol. À part peut-être leur capacité à tenir en apnée sur des cônes ultra-chargés. Après, chacun de nous connaît un pote qui lâche à la fin de la première partie des phrases du genre « Tu verras, si l’ingénieur a bien fait sa balance, on va se régaler ! ». En général, c’est celui qui a le moins de connaissances en la matière. On l’accepte, pour autant qu’il paie sa tournée mais, surtout, on est heureux de savoir que celui-ci va définitivement la fermer à un concert de n’importe quel mec rappant sur du « boum-bap ». Tout simplement parce que les rappeurs respectent leur son en live comme Goûte Mes Disques respecte le reggae(ton) : avec énormément de modération. Basses surchargées, production et flow inaudibles : on ne comprend rien à ce qui peut bien se passer sur scène à moins d’avoir co-écrit les titres. Qu’est-ce qui peut bien passer par la tête de ces mecs qui font le soundcheck en début de soirée ? Tu paies ton ticket 45 boules et tu te retrouves devant une collaboration entre Merzbow et Massive Attack. Avec un semblant de rappeur, loin, là, tout au fond de cette chiasse sonore. Et le pire, ben c’est qu’on y retourne.

Simon et Jeff