Dossier

Off The Radar #4

par Jeff, le 3 mars 2012

Cette nouvelle édition de la série Off The Radar est un peu particulière. Pour notre quatrième volume, on se consacrera exclusivement à un label de qualité supérieure et figure de proue du minimalisme électronique, Line. Un retour sur leur année 2011 qui se veut obligatoire tant la structure du grand Richard Chartier a à nouveau fait des étincelles au cours de l’exercice précédent. Si on aime à la folie Line et ses artistes, c’est d’abord parce que sa ligne de conduite est pure comme au premier jour, rajeunissant les codes de la musique contemporaine tout en gardant une rigueur qui destine ce label à des écoutes toujours plus attentives. Autrefois attaché au label 12k – vous trouverez la plupart de leurs références dans notre base de données – Line vit aujourd’hui de manière autonome, et nous offre de manière régulière ses grandes œuvres contemplatives. Alors certes, Line officie dans un registre qui peut paraître parfois rédhibitoire par son minimalisme forcené – quoique l’œuvre de Seth Horvitz rendra fous les amateurs de modern classical - mais il y a là-dedans des trésors dignes des plus grandes découvertes. Une seul solution: se donner du temps, s’asseoir et écouter. Retour sur les quelques derniers faits d’armes d’un label essentiel.

http://www.lineimprint.com/ 

P.S. : Nous avons tout mis en œuvre pour vous trouver des previews ou vidéos des albums ici présentés. Sachez néanmoins que ceux-ci sont disponibles en intégralité sur Spotify. Bonne lecture, et bonne écoute!

Simon

Asmus Tietchens – Soirée

C’est véritablement ce disque qui a motivé l’initiative de ce dossier un peu particulier. La première écoute de Soirée rappelle une fois de plus que l’auditeur est à la merci des grands disques, que parfois la composition s’impose sans autre formule, qu’à ce moment-là il faut se taire et en prendre plein les mirettes. Asmus Tietchens est l’un des papes allemands du minimalisme concret, et ça se sent, à commencer par le concept : que se passera-t-il si on recycle sans cesse ses anciens morceaux, et que le produit de ce recyclage est lui-même recyclé à son tour ? Les nouveaux sons et structures ne dépendront dès lors plus que des méthodes et des outils utilisés. Asmus Tietchens de conclure : « Est-il donc réellement nécessaire de créer de nouvelles pièces de musiques électroniques quand une seule pièce servant de noyau est suffisante pour en obtenir des centaines de variations différentes ? ». Quel que soit le concept, Soirée est une vraie claque. On tient là une ambient d’une luminosité folle, mais cette fois observée à partir d’un orifice minuscule. Parfois le spectre s’élargit avec l’un ou l’autre drone qui rehausse l’ensemble de manière sensible, mais c’est surtout l’ajout de matériaux concrets qui donne le véritable rythme à l’ensemble. Parfois ça tonne de manière abrupte, souvent les retentissements font place à des plages qui glissent dans un paradis de nappes d’éther. D’un silence à un autre silence. Un très grand disque, qui possède une trame narrative assez rare.

Seth Horvitz – Eight Studies For Automatic Piano

Doit-on vraiment vous présenter Sutekh, cet Américain dont les travaux techno sont appréciés tant en club que chez les amateurs de musiques plus « risquées » ? Sa dernière œuvre devrait finir de convaincre les sceptiques en tous cas. Huit pièces pour piano automatique, ou comment faire vaciller la notion même de musicien avec un concerto dirigé entièrement par l’ordinateur. Sur scène, un piano seul, qui joue des notes avec la précision d’un grand maître. Seth Horvitz programme des instructions, souvent simples – il s’agit de notions de symétrie/asymétrie, de temps de réactions,… - et laisse le piano jouer sa partition. Le résultat amène le modern classical à un niveau de cristal d’une pureté folle, les notes s’envolent et forment des harmonies renversantes de rythme et de beautés cumulées. Eight Studies For Automatic Piano pose surtout la question de l’utilité finale du « performer ». Ce disque est, du moins intellectuellement, un point de non-retour : à partir du moment où l’instrument joue un récital inatteignable pour l’humain, avec le même degré de beauté, quelle est la place véritable du pianiste ? Où se trouve la musique dans le spectre du vivant ? A écouter impérativement.

Seth Cluett – Objects of Memory

De tous les disques présentés ici, Objects Of Memory est probablement le plus difficile à appréhender pour les oreilles profanes (et ce terme n’est en rien péjoratif). C’est que le drone analogique pratiqué par Seth Cluett est extrêmement rigoureux et monolithique. Du vrai drone de puriste qui rappelle les travaux d’Éliane Radigue et de Phil Niblock : un monument sonore imposant qui se déplace à une vitesse réduite sur des pièces allant de dix à trente minutes, au gré des ondes qui se succèdent. Une œuvre que beaucoup qualifierait d’austère, disons simplement qu’Objects Of Memory est un objet pour les solitaires qui aiment se perdre dans les méandres du son minimaliste. Une fois dedans, le calme de sa mutation a de quoi hypnotiser un cheval de rodéo. Pas d’explosions ni de feux d’artifices ici, Seth Cluett est comme un architecte du changement, qui travaille le son avec langueur et patience. La métamorphose vaut le détour.

Steve Roden – Proximities

Quarante-deux minutes pour un grand disque de drone/ambient. Il n’y a pas grand-chose à dire sinon que ce Proximities de Steve Roden fonctionne à merveille, et ce, dès les premières écoutes. Enregistré à partir d’un iPhone et de vieux dictaphones posés à même le sol d’une pièce à haute résonnance, cette unique pièce se décalque lentement en résonances cycliques et en mélodies épisodiques – quand ce ne sont pas des voix qui murmurent au loin. Un grain qui respire énormément et qui fait rentrer la lumière de manière progressive, toujours en s’assurant d’insister suffisamment sur des thèmes musicaux, une sorte de champ lexical en somme, cohérents. Histoire d’imprimer cette longue piste de manière définitive dans nos cerveaux. Un grand disque, qui se passe d’explications au final.

Stephan Mathieu + Caro Mikalef – Radioland (Panorámica)

Pire cauchemar pour certains, véritable accomplissement pour d’autres, la perspective de jouer avec son/sa bien-aimé(e) est devenue réalité pour les deux artistes en présence. Si on connait peu Caro Mikalef, on accueille le légendaire Stephan Mathieu avec tous les honneurs, son génial A Static Place n’étant que la partie émergée de l’iceberg. Ce disque en commun est en réalité une prestation live jouée à Buenos Aires en mars 2011, dans le cadre du festival Panorámica. Une performance où il est difficile de distinguer une quelconque répartition des tâches, tant ce Radioland est un magma lent et étouffé. Radioland n’est pas bien original, il faut le dire, mais outre le fait qu’il combine à merveille tout le cahier de charges du genre, il est drôlement bien exécuté. Une séance de quarante minutes de drones élégants et de nappes ambient qui gratouillent, de déclinaisons subtiles et rapidement enchanteresses. Si les premières écoutes sont un peu oppressantes on se rend peu à peu compte que la lumière entre de partout dans cette pièce unique, qui garde néanmoins de forts accents post-industriels. L’architecture prend racine et se construit peu à peu, essentiellement dans la succession de nappes tout en résonnance. Au bout de ces quarante minutes – de préférence jouées à un volume soutenu – on sort du flou avec une grosse impression. Preuve qu’on tient là un bon disque, incontestablement.