Devotion
Patti Smith
Le 13 octobre 2016, l’Académie suédoise annonçait la nomination de Bob Dylan comme Prix Nobel de Littérature. Au-delà des pirouettes et revirements de l’Américain au moment d’accepter son titre, c’était la dernière étape de légitimation de la contre-culture des sixties, dont le statut fut scellé avec cette irrévocable entrée au panthéon. Un moment de touchante délicatesse illumina l‘inflexible et pompeuse cérémonie qui s’en suivit : trop impressionnée par la solennité de la scène, Patti Smith dû interrompre le second couplet de “A Hard Rain’s A-Gonna Fall”, confessant à l’audience guindée sa nervosité débordante. Si la scène pouvait surprendre venant d’une musicienne chevronnée dépassant les quarante ans de carrière, elle est à l’image de la sensibilité qui n’a cessé de caractériser l’œuvre de Smith. Artiste polyvalente avant d’être musicienne, elle s’est également distinguée en tant que peintre, poète, photographe, et enfile depuis quelques années les récompenses pour ses mémoires.
Paru en septembre 2017, son dernier-né Devotion est la porte d’entrée parfaite dans les récits de Smith. Construit en trois parties, ce court essai de moins de cent pages renferme tout ce qui fait le sel et les limites de son écriture. Dans les deux parties autobiographiques, on y retrouve le flot ininterrompu de pensées qui caractérisait son précédent effort, M Train, rappelant les âmes torturées de la Beat Generation. Le lecteur est alors invité dans l’esprit papillonnant de Smith, naviguant entre ses obsessions pour les poètes et autres figures littéraires historiques. On y croise toujours une révérencieuse admiration pour Rimbaud ou Camus, on y part à la (re)découverte de Simone Weil, philosophe française du début du XXe, de téléfilm estonien et de patinage artistique. Après quarante ans à fasciner le milieu artistique, Patti Smith est toujours cette éponge se nourrissant des voyages et lectures qu’elle multiplie. Le roman présenté dans le cœur de Devotion n’est certes pas son travail le plus intéressant, mais les deux souvenirs qui l’entourent sont un modèle de l’écriture éparpillée de Smith. Si cette courte plongée dans la psyché et la vie de l’icône punk vous laisse avec un goût de trop peu, jetez-vous sur Just Kids et M Train (réédité en février dernier), mémoires bien plus touchantes et complètes d’une artiste totale.
SMITH (Patti), Devotion.
New Haven, Yale University Press, 2017, 112 p. (à paraître chez Gallimard en novembre 2018)