La Révolution digitale dans la musique
Harry Lehmann
Le mélange de sonorités techno ou house avec des instruments pop-rock ou des formations jazz, si présent (et si fun) soit-il à l'heure actuelle, cache en réalité un fossé que la découverte de la musique électronique a ouvert et qu'on ne comblera probablement jamais. Pour Harry Lehmann, philosophe berlinois, cette révolution « digitale », cette informatisation des techniques et des supports liés à la création musicale, est la plus importante coupure culturelle que l'histoire de la musique occidentale ait connue. Les évolutions et progrès techniques dans la musique électronique contemporaine sont loin d'être terminés, mais ils sont bien assez avancés pour qu'un bilan réflexif soit amorcé : le mouvement lancé par Stockhausen et Ligeti, poursuivi par Cope et Takasugi, a changé la nature de la musique. En résulte un paradoxe flagrant : d'un côté, la science informatisée de la musique a démocratisé, décortiqué et mis à nu ce qu'on pensait à tout jamais voilé dans l'obscur travail de la créativité, elle a rendu accessible la technique de ceux que l'on nommait autrefois des génies ; de l'autre, cette mise à nu n'a fait que retrancher la musique électronique contemporaine dans une course à l'expérimentation, ayant pour résultat un enfermement plus grand encore de cette musique dans des cadres serrés et institutionnels.
C'est la tentative de clarification de ce paradoxe qui motive l'auteur à faire un tour d'horizon de toutes les modifications radicales apportées par la digitalisation de la musique. Si la musique peut être créée par ordinateur, composée par des algorithmes de plus en plus autonomes, dans des cadres beaucoup plus modestes, c'est-à-dire sans la nécessité d'un auditorium pour faire répéter un orchestre symphonique, elle impose une refonte de tout notre système culturel. Les studios, les éditeurs de partition, les institutions publiques liées à la promotion musicale, les salles de concerts, etc. , tous les éléments liés au monde de la musique doivent changer, car ils vont mourir sous leur forme actuelle. À mi-chemin de la synthèse explicative sur la brève mais dense histoire de la musique électronique et de la thèse socioculturelle, cette première traduction en français du texte de 2012 est une fabuleuse occasion de penser la spécificité de la musique électronique et la nouveauté du système musical qui l'accompagne dans ses transformations.
LEHMANN (Harry), La Révolution digitale dans la musique. Une philosophie de la musique, trad. par Martin Kaltenecker. Paris, Allia, 2017, 224 p.