Hot, Cool & Vicious : genre, race et sexualité dans le rap états-unien
Keivan Djavadzadeh
Il ne fait aucun doute que les rappeuses ont la cote aujourd'hui. Alors que Megan Thee Stallion, Cardi B, Nicki Minaj et toutes leurs consœurs continuent d'affoler les compteurs, Keivan Djavadzadeh a profité de cet âge d'or pour interroger la représentation des rappeuses américaines dans la culture populaire. En reliant le titre de son ouvrage à celui du célèbre album des Salt-N-Pepa, l'auteur, maître de conférence et chercheur à l'Université Paris 8, a souhaité redonner aux rappeuses la place qu'elles méritaient dans l'histoire du mouvement hip-hop. Profitant du fait que le rap constituait un des rares domaines où les jeunes femmes noires – doublement marginalisées à cause de leur ethnie et de leur genre – pouvaient enfin s'exprimer, raconter leur vécu et contester les représentations dominantes, ces dernières y ont en effet élaboré et subverti pendant plus de quatre décennies les représentations liées au genre, à l'ethnie et à la sexualité.
La première des cinq parties du livre retrace de manière synthétique le parcours des rappeuses tout au long de l'histoire du rap, en mettant dès le départ en lumière les méconnues Lady D, Paulett & Tanya Winley, Lady B, et The Sequence qui enregistrent toutes un morceau en 1979, l'année de sortie du mythique "Rapper's Delight". Les autres chapitres présentent d'un point de vue socio-historique le rôle et l'impact qu'ont eu les rappeuses sur des thématiques comme l'appropriation des codes du gangsta rap, l'affirmation de leur sexualité, l'engagement politique et le rapport mouvementé au féminisme. Si les deux premiers thèmes ont déjà fait l'objet d'ouvrages (dont Ladies first : Une anthologie du rap féminin en 100 albums de Sylvain Bertot dont on vous a parlé), le dernier chapitre retrace d'une manière nouvelle l'évolution du rapport que les rappeuses ont entretenu avec le féminisme : bien qu'elles aient d'abord rejeté un féminisme qu'elles considéraient alors comme trop blanc, trop bourgeois et trop élitiste, elles ont par la suite rejoint le Black Feminism, pour enfin défendre un féminisme sororal, pluriel, intersectionnel et inclusif, davantage appropriable et plus accessible avec l'essor des réseaux sociaux.
Elément important : le livre évite le trop plein d'érudition universitaire. Les références à Tricia Rose, Kimberlé Crenshaw, Judith Butler, Bell Hooks, Alice Walker, Beverley Skeggs et Nancy Fraser s'intègrent parfaitement dans l'essai et viennent l'enrichir plutôt que l'encombrer. Et c'est avec un solide travail de documentation que l'auteur parvient à faire dialoguer les discours de ces chercheuses avec les paroles et les interviews des rappeuses. Ce sont d'ailleurs ces multiples points de vue parfois très différents, mis en tension les uns avec les autres, qui évitent l'écueil de considérer que les rappeuses forment une entité homogène avec moins de nuances que leurs homologues masculins. Hot, Cool & Vicious : Genre, race et sexualité dans le rap états-unien est donc un livre brillant et accessible, à mettre entre toutes les mains, et ce, que l'on soit amateur.ice ou non du genre musical le plus populaire en ce début de décennie.
(Ludo)
DJAVADZADEH (Keivan), Hot, Cool & Vicious : genre, race et sexualité dans le rap états-unien.
Paris, Amsterdam, 2021, 240 pages.