À la fois aubaine et business, l’exercice de la réédition du classique (avéré ou qui s’ignore) et de l’excavation de vieilleries disparues du circuit implique chez l’auditeur un peu curieux une occupation assez conséquente du temps de cerveau disponible. Histoire de vous aider à y voir un peu plus clair dans cette jungle, GMD a lancé In Dust We Trust, sélection vaguement trimestrielle de ce qui a mobilisé notre temps de cerveau.
Laraaji
Segue To Infinity
Enfin une réédition pour donner de la valeur au travail pré-Eno de Laraaji. Si on associe souvent la découverte du musicien new-yorkais à celle qu’a faite son homologue britannique en l’invitant sur Ambient 3, il était temps de revenir sur celui qu’il était avant. Car ce n’est pas un rapport de prof à élève qui s’est instauré entre Brian Eno et Laraaji, mais bien un travail entre égaux capables de se nourrir mutuellement. Dès 1978, alors que le new-age est en pleine bourre, Laraaji a déjà sorti un disque au zither intitulé Celestial Vibration, et qui est repris dans cet incroyable quaduple LP du label Numero Group. Deux titres sur quatre LPs ? Pas du tout, puisqu’après le premier disque, on découvre six très longs titres (d’une vingtaine de minutes chacun) et qui ont été enregistrés plus tôt que cela, on imagine à partir du milieu des années 1970, au moment où Edward Larry Gordon devient Laraaji en tombant dans la spiritualité orientale, comme toute une partie des côtes américaines. Ces créations ont quelque chose de plus acoustique que celles qui suivront sa rencontre avec Eno, c’est évident, mais il y a déjà cette volonté de nappes qui le mènera à ce qu’il est aujourd’hui, à savoir un des plus grands artistes d’ambient de notre temps. En témoigne « Segue To Infinity », qui donne son nom à la réédition, et mélange habilement des flûtes type bansuri et des zither à des effets électroniques déjà bien maîtrisés. Si l’achat du coffret vinyle risque d’être compliqué puisqu’on est sur une centaine d’euros, vous pouvez foncer sur les plateformes de streaming qui l’ont toutes accueilli. (Emile)
Segue To Infinity
Various Artists
Artificial Intelligence
1989. Le summer of love de l’ecstasy et de l’acid house est en train de se terminer, et dans ce coucher de soleil qui doit être particulièrement angoissant pour certains·es, d’autres y voient la promesse d’une musique d’un nouveau genre. La jungle et le breakbeat sont en plein essor quand des versions déjà très liquid de ces musiques émergent : c’est la naissance de l’IDM. Un genre qui a de multiples visages, mais dont on se souvient surtout aujourd’hui à travers Warp Records. Un label sur lequel on peut aujourd'hui entendre Grizzly Bear et Yves Tumor, mais qui a été particulièrement axé sur cette fameuse Intelligent Dance Music, qui a le mérite créatif de ne se définir que négativement, en essayant d’extraire la musique électronique du système des teufs pour en faire quelque chose de « mental ». La première compilation du label créé par Rob Mitchell, Robert Gordon et Steve Beckett à Sheffield, lancera en 1992 une série de huit disques sur deux ans. Parmi les artistes présents sur le disque, on constate que certains entamaient là une carrière qui allait connaître une courbe exponentielle dans les années suivantes - on pense à des artistes comme Dr Alex Peterson, Speedy J ou Autechre. Et qui se cache derrière le pseudo de Dice Man, sinon celui qu’on connaît mieux aujourd’hui sous le nom d’Aphex Twin ? Si vous pouvez que certains ont tout de même été oubliés, comme Up ou Musicology, détrompez-vous encore, puisqu'on y retrouve un certain Richie Hawtin et les gens de B12. Du lourd, du lourd, du lourd donc. (Emile)
The Dice Man - Polygon Window
Pauline Oliveros & James Ilgenfritz
Altamirage
Le minimalisme est tout sauf une évidence pour qui ne parvient pas à rester concentré. S’il y a quelqu’un qui avait compris cela à l’orée des années 1960, c’est bien Pauline Oliveros. La compositrice états-unienne, à l’origine du concept de deep listening, a construit une œuvre dans laquelle la signification musicale peut se trouver sur un intervalle temporel infiniment petit, sur un son infiniment sourd. Quand on fait du silence absolu la plateforme de son écoute, chaque variation dans notre environnement est un aimant pour l’esprit, un sursaut pour le corps. Un concept qu’on retrouve bien dans Altamirage, un ensemble de eux compositions écrites à la fin des années 1950. Témoignant de l’extrême habileté d’une jeune Pauline Oliveros, voilà ces compositions revisitées dans une collaboration avec James Ilgenfritz, qui durera de leur rencontre en 2007, à la mort d’Oliveros en 2016. La traversée d’une vie artistique toujours pertinente, dans ce superbe dialogue entre la contrebasse et l’accordéon, bien différent des nappes acoustiques qui ont forgé sa renommée dans les années 1980. (Emile)
Altamirage 1
Cymande
Cymande
Voilà un classique dont les rééditions s’enchaînent mais ne tarissent pas. Depuis le début des années 2000, le disque éponyme de Cymande a déjà été réédité cinq fois, et ce sera donc la sixième avec celle de Partisan Records, qui se fera sous tous les formats. Alors à quoi bon rééditer cinquante fois le même album ? Comme pour tout le reste, parce qu’aller chercher dans notre passé, c’est construire le présent. Qu’un groupe comme Cymande soit en permanence réédité, cela montre simplement à quel point ce qu’il symbolise est d’actualité. Dans une Angleterre marquée par l’extrême-droite, la musique de Cymande fonctionne comme un rappel de la créativité historique des communautés issues de la colonisation des Caraïbes et de l’Afrique. C’est d’ailleurs en marge du documentaire sur le groupe présenté au London Film Festival que sort cette pépite d’afro-funk, de soul et de reggae. En à peine dix ans d’existence, ils ont insufflé un mouvement qui se ressent encore aujourd’hui au Royaume-Uni, mais pas que. Samplé partout, Cymande est l’exemple typique de l’album dont la trajectoire d’actualité ne retombe jamais à zéro. (Emile)
Dove
Emerson, Lake & Palmer
Back In The Fatherland (Düsseldorf 1971)
En 1969, Greg Lake en a marre de King Crimson. Surprise, c’est également l’année durant laquelle il a rejoint le groupe ; étonnant pour un type qu’on présente d’abord souvent comme « membre du légendaire King Crimson ». Parce que le vrai groupe de sa vie, c’est évidemment Emerson, Lake & Palmer. En rencontrant Keith Emerson alors que celui-ci tournait dans les mêmes salles de la côte Ouest avec les oubliés de The Nice, c’est le coup de foudre. Quelques mois plus tard, ils partent en tournée avec plusieurs morceaux dans les pattes et après avoir déniché un jeunot qu’on disait le meilleur batteur de toute l’Angleterre, Carl Palmer. Après une première tournée, ils sont invités dans une énorme salle de Düsseldorf au début du mois de juin, la Philipshalle. Les Allemand·es, déjà en train de façonner leur amour d’un kraut naissant, se mettent bien avec une des premières représentations de tous les temps de l’incroyable « The Barbarian ». On sent également qu’il s’agit d’une année d’échauffement pour le groupe. On y retrouve des éléments qui disparaîtront, comme ce « Blues Jam » qui tient plutôt des Ten Years After que d’ELP, et des éléments qui seront largement retravaillés, comme cette envie venant de Keith Emerson de reprendre des thèmes de musique orchestrale. « Nutrocker » est une première ébauche de leurs compositions autour de Tchaïkovski, qui interviendront dans le légendaire album reprenant les Tableaux d’une exposition de Moussorgski, et qui paraîtra à l’automne 1971. Le concert à Düsseldorf est un joli retour sur les débuts, plus pensé pour celles et ceux qui souhaiteraient compléter leur amour d’Emerson, Lake & Palmer que pour les néophytes, auxquels on conseillerait plutôt d’aller directement écouter le premier album éponyme. (Emile)