Dossier

Hood Therapy #4

par Aurélien, le 13 avril 2014

Niveau albums, le rap est loin d'avoir démérité en 2013. Mais n'est-ce finalement pas côté mixtapes qu'il a été le plus percutant, le plus mordant et le plus sincère ? La question mérite réflexion tant ce format vide d'aspect physique (mais bourré de contraintes) a offert aux producteurs et aux MCs une aire de jeu idéale pour assouvir tous leurs désirs - même les quarante titres de notre best-of n'ont pas suffi à faire le tour de la question, d'ailleurs. Autant de raisons qui nous poussent à rempiler pour un quatrième volume des Hood Therapy, histoire de faire le point entre ce qui, de la Bay Area à Atlanta, a su caresser nos esgourdes dans le sens du poil.

Simon, Aurélien & Tristan

Lil B – Basedworld Paradise

Cela fait maintenant plus de cinquante sorties à mettre au compteur de l’infatigable Lil B. Une moyenne qui lui permet d’être le seul à encore pouvoir courir derrière la productivité d’un Gucci Mane, sommet d’un nouveau rap game aux lignes remodelées. Son omniprésence, si elle était insoutenable autrefois – pas seulement sur disque, mais surtout sur les réseaux sociaux - ne choque pourtant presque plus. Habitués par le contexte à trier le bon grain de l’ivraie, nos esprits ont maintenant intégré le mode de fonctionnement d’une génération qui a depuis longtemps choisi le quantitatif plutôt que l’obligation morale d’assurer le qualitatif. Entre ces lignes, on peut dès lors affirmer que The BasedGod est probablement la meilleure clé de compréhension de cette logique, à la fois la question et la réponse (ou du moins l’ébauche de réponse) à apporter à un rap tellement simple que sa logique en devient historiquement complexe. Revenons-en à Basedworld Paradise. Trente-et-un titres et une heure cinquante de musique. Une moyenne honnête et clairement familière chez le Californien. Un mastodonte qui, à première vue, prendra autant de temps à être ingurgité en masse qu’à être filtré de manière (presque) obligatoire. Parce que dans ce rap game, l’effort de tri en studio est loin d’être un luxe généralement offert par les emcee/producteurs. On le dira rapidement (après tout, on s’est assez étendu comme ça), il n’y a rien à jeter sur ces deux heures de musique. Un roulis permanent, à la limite du vomitif, entre cloud rap, freestyle, trap de salon, punchlines innocentes et soul music qui fonctionne. Personne n’arrête le BasedGod dans sa quête de rap total (le parallèle avec Gucci Mane est ici le plus pertinent), personne n’arrête la bête dans sa volonté de le surplomber avec classe, spontanéité extrême et refus des conventions. Un homme délirant, véritable prêcheur pour un univers pas si éloigné du nôtre, toujours drôlement positif, qui retrouve sur cette nouvelle tape un niveau proche des étoiles, et ce sur une durée hallucinante. En toute simplicité et sans donner l’impression de forcer quoi que ce soit. A tel point que tous ceux qui lisent ce papier devront y jeter une oreille. Parce qu’au-delà de la bande-son de l’été, Lil B vient de taper un des disques hip-hop de l’année.

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Future & DJ Esco – No Sleep

Qu'on l'aime ou non, Future jouit d'une position idéale : il est le seul MC capable d'incursions pop tout en gardant intacte sa crédibilité sur la sphère mixtape. Son seul défaut, c'est finalement de ne pas encore posséder l'œuvre définitive cristallisant la facette tantôt émo, tantôt street, qu'il montre depuis Pluto. On attendait l'arlésienne Honest en fin d'année dernière pour rendre le verdict, il n'en sera rien : il faudra se contenter de la mixtape No Sleep et de son mastering bancal. Et s'il est censé y présenter son programme, l'album à venir ne sera pas triste : avec une production trap désincarnée à l'extrême (MikeWillMadeIt et Metro Boomin sont sur le toit du monde), le charisme vocal de Nayvadius Cash a tout l'espace nécessaire pour arpenter un dédale d'émotions digitales où il croise une brochette d'invités qui va de Young Scooter à Drake, en passant par Starlito ou Johnny Cinco. Format mixtape oblige, il faudra néanmoins se farcir le déséquilibre flagrant d'un tracklisting qui laisse davantage parler le côté banger de Future que sa facette pop. De fausses concessions certes, mais qui démontrent aussi, à leur manière, à quel point le créneau du natif d'Atlanta se trouve de plus en plus trusté (voire surpassé) par des phénomènes comme Young Thug ou Rich Homie Quan. Il reste cependant bien assez de place pour que ces trois-là continuent chacun de leur côté à nous tricoter de la prière thug trempée dans quatre tonnes d'autotune. De là à penser un jour les entendre collaborer, il n'y a qu'un pas, qui nous colle à l'avance de bons gros papillons dans le bide.

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Don Trip – Randy Savage

Comme avec l'album de Juicy J l'an passé (d'ailleurs en featuring sur l'excellent "Still In The Trap"), c'est quand on croit être lassé par la trap qu'un énervé débarque et nous rappelle pourquoi on adore ce genre. Pas grand-chose à dire sur cette mixtape de Don Trip de Memphis, à part que, dans le genre, c'est très bon. Pas de place pour la tendresse par contre. Randy Savage, c'est clairement la bande-son de vos séances de pompes lorsque votre copine vous dira que vous avez pris du bide. Arrêtez-vous avant de ressembler au catcheur en question quand même. Le seul défaut de Don Trip, c'est qu'il ressemble quand même un peu trop à Lil' Wayne dans l'intonation, bien qu'il tire son épingle du jeu avec de petits détails comme le très bon pré-refrain de "Mojo Jojo" ou le refrain de "New Blinds". Pour finir, on tient à dire que la quête au refrain le plus golmon est relancée justement grâce à "Mojo Jojo" : Rap Game Timmy!

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HD – Stepping Into Tomorrow

Curieux constat que de voir la nouvelle génération plébisciter des 1995 ou des Joey Bada$$, eux qui se vantent que c'est dans les vieux pots du Queens qu'ont fait la meilleure soupe. Sauf que voilà, comme ladite soupe est parfois plus proche de la Lieibig sous Tetrapack que de la soupelette de mère-grand, difficile de prendre au sérieux ce revival à la forte odeur de renfermé - surtout quand on a découvert le rap par cette ère dorée. Alors franchement, un jeune con de plus ou de moins qui ressort la carte boom-bap en 2014, on s'en branle, en théorie. Sauf qu'"Aladeen", le single uppercut dont s'est servi HD pour annoncer la sortie son projet Stepping Into Tomorrow est une telle bombe sale qu'on s'est immédiatement rué sur la nouvelle livraison de ce MC de Brooklyn à la bouille proche de celle de D'Angelo Barksdale. On ne s'y est pas trompé : s'il est loin de faire du neuf avec du vieux, Stepping Into Tomorrow figure dans cette catégorie de plaques qui s'écoutent sans faim, qui te choppent la nuque aux premières secondes de son et qui ne la lâchent que vingt-et-un titres plus tard, après avoir cramé ton paquet de Marlboro perché depuis ta fenêtre un jour de forte chaleur. Sans rien bousculer, bien qu'un brin trop sous la tutelle des nombreuses légendes de son bled, HD lâche ici un ouvrage insolent de maturité qui rappelle le Nasty Nas de la grande époque mélangé à un soupçon pas dégueu de MF Doom. Et le plus intéressant dans tout ça, c'est que "Aladeen" n'a même pas fini sur le tracklisting final de son rejeton. Une quenelle monstrueuse qui achève de nous faire penser que le rookie a autant d'avenir que tous les Bishop Neru du monde.

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Trev Rich – Heights 3

Le troisième volet de la série Heights de Trev Rich montre une belle palette de registres, tant au niveau des instrus que des flows qui viennent s'y poser. C'est sur les instrus filtrés et plus vaporeux que le emcee est le plus convaincant : "Pain", "Tapin My Phone", "Migraines", "Drop" et "High Society" par exemple. Presque tous ses refrains sont extrêmement réussis, et il n'oublie pas de chantonner sur certains, avec ou sans autotune, ce qui n'est pas pour nous déplaire. Evidemment, cette approche risque de lui ouvrir très vite les portes des majors - ou du Maybach Music Group, à ce qui se murmure. Comme d'habitude avec ce genre de projets (17 titres et un interlude) qui partent dans tous les sens, on ne sait plus trop à quel saint se vouer. Cependant, si le MC du Colorado choisit de prendre la direction qu'il emprunte sur la fin de son projet et de travailler sur ses particularités plutôt que sur sa versatilité, nul doute que vous n'avez pas fini d'en entendre parler ici. De même pour ses producteurs, relativement inconnus pour le moment. Maintenant la vraie question est : est-ce qu'il va choisir de faire un truc introspectif-storytelling à la Kendrick Lamar ou Drake - tout en sachant que c'est difficile - ou un truc plus bêta à la Wale? Hum Hum...

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OJ Da Juiceman – Alaska In Atlanta 2

Si le rap de méchants apparaît comme un Golgoth d’immoralité partout où il passe, il ne faut jamais oublier que ce petit monde est avant tout le royaume du fake, ou du moins de l’exagération. Et il ne faut pas aller bien loin pour constater que, comme d’habitude, seuls les vrais savent. Il suffit de passer en vitesse sur les commentaires postés sur Datpiff - ce genre de mecs dédient leurs vies à écouter des mixtapes en brochette, croyez-les - pour voir qu’on a vite fait de débusquer les bananes du rap US, Wiz Khalifa et son poulain Chevy Woods étant les victimes quotidiennes de ces critiques aussi bâtardes que pertinentes. OJ Da Juiceman, par rapport à ce qui précède, était un choix facile : un des premiers artistes à signer sur 1017 Brick Squad, trente mixtapes au compteur, huit balles dans le corps et des featurings partout où il passe. Six années dédiées à la trap music qui ne trompent plus sur la marchandise, OJ est le véritable produit homemade : trop impliqué pour faire de la merde, trop fainéant pour sortir du cadre imposé par le rap game de base. Alaska In Atlanta 2 est un disque sans complexe, fastoche et grisant. Un symbole de la frontière qui sépare le mauvais disque de trap music du mini classique que tu ressortiras régulièrement dans ta caisse miteuse. Une montagne de drill pour un OJ Da Juiceman qui rappe pour huit (en fait, si on compte les mecs qui interviennent derrière, ils sont huit) et un flow indissociable de la masse. Une frontière mince, mais qui place cette tape au rayon des trucs à avoir au fond de ton iPod. On ne sait jamais que tu prendrais ta caisse un après-midi d’été, un barbecue est si vite organisé.

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