Dossier

Hood Therapy # 10

par Jeff, le 19 février 2017

C'est devenu une habitude : dès qu'on trouve le temps et (surtout) l'énergie, on vous concocte un petit résumé de l'actualité des mixtapes de rap US. C'est aussi devenu une habitude : on retrouve dans notre dossier pas mal d'éternels habitués de l'exercice, quelques rookies pleins d'amour et, de manière globale, beaucoup de belles choses à imposer à ses voisins.

Aurélien et Tariq

070 – The 070 Project : Chapter 1

Sur le papier, 070 pourrait être le groupe qui exploite "bêtement" le croisement de deux cercles, celui de la ratchet music de la Bay Area, clinquante et spontanée, et celui des basses profondes du rap de Toronto. À l'écoute, on se rend compte que c'est un peu plus complexe que ça : à son modeste niveau, le collectif du New Jersey pourrait bien être en train de faire bouger les lignes établies par ces deux musiques. Et il n'aura suffi que d'une poignée de singles pour réaliser à quel point il y a quelque chose de novateur et de vivant dans la musique des quatre bougres. Sur leur premier vrai projet, leur musique ressemble à un gumbo emprunt d'une très forte énergie et d'influences diverses. Des gros relents de house de l'émotionnel "Honey", jusqu'aux rythmes caribéens de "My Niggas", tout est parfaitement digéré, porté par le charisme d'un 070 Shake qui n'a pas trop à forcer sur son talent pour marcher sur l'eau et porter le créneau de son groupe au-delà des étoiles. Finalement, le seul vrai défaut de ce Chapter One, c'est sans doute cette volonté de trop bien faire. Après, c'est bien connu : on juge rarement une œuvre sur son premier chapitre. Il n'est là que pour mieux mettre en appétit pour la suite des événements. En somme, ce premier projet remplit plus que parfaitement son office, puisqu'on a hâte de voir ce que ces quatre-là nous promettent pour 2017. En leur souhaitant que l'exposition dont profite 070 Shake ne condamne pas le groupe à une destinée façon A$AP Mob.

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King Louie - Tony 2

Après le featuring avec Kanye West (le mémorable « Send It Up » sur Yeezus), la signature présumée sur le label de Drake (il s’est fait tatouer la chouette d’OVO sur la nuque… oui, on sait) et la survie à un tir en pleine tête en décembre dernier, King Louie est de retour aux affaires. Sur Tony 2, suite de sa tape de référence, sortie en 2014, le rappeur de Chicago se transforme en fantôme de la drill de Chicago. Il y mâche des verdicts sans appel sur des boucles de clavecins de film d’horreur (« Shorty »), ou des samples grillés de chez Bad Boy Records (« 32 bars »). Tout au long de cet opus d’une brutalité sans nom, le Roi Louie confirme que, s’il n’aura peut-être jamais le succès qu’il mérite, il garde pour toujours l’apanage de la noirceur made in Chiraq. « Any rapper from the new Chicago gotta hints of my DNA » précise-t-il d'ailleurs en guise d'avertissement à tous les apprentis drillers. Les voilà prévenus.

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24hrs – Sunset EP / Madeintyo & 24hrs – 24hrs in Tokyo

Post-Jeremih, post-alt R&B, post-mumble rap, post-tout, voici le mystérieux 24hrs. Bénéficiant du soutien d’OVO Sound Radio et de quelques gros noms du milieu (dont Ty Dolla $ign avec qui il a déjà collaboré à plusieurs reprises), le crooner à la bouille de bébé pourrait bien être la next big thing en provenance d’Atlanta. Pourtant 24hrs est en fait une grande entreprise de mystification : il s'agit de la nouvelle identité du rappeur Royce Rizzy, frangin de Madeintyo et patron de leur label Private Club Records. Sous ce nouvel alias, Royce Rizzy s'adonne à une musique assez différente du son club dans lequel il évoluait jusqu'à maintenant. Il a fait en sorte de propulser sa seconde identité de la plus belle des manières en sortant pas moins de 5 projets en 2016, dont ces Sunset Blvd et 24hrs in Tokyo. Le premier des deux vaut surtout pour l’incroyable « Impossible » et son falsetto de l’espace. Mais c’est sur la deuxième sortie que le chanteur donne la pleine mesure de son talent, aux côtés de son frère Madeintyo. Pourtant, comme le suggérait la cover du projet figurant un paysage japonais serein et endormi, il ne se passe pas grand chose le long de cette petite vingtaine de minutes d’R&B atmosphérique. Entre déclaration d’amour digne d’un gamin de 7 ans (« You ») et ballade suspendue dans les airs (« My Word »), ce presque rien confirme à quel point le rap continue d’être absolument fascinant.

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Jefe (aka Shy Glizzy) - The World Is Yours

On a tendance à l'oublier, mais la raison d'être d'un rappeur ne se limite pas à faire marcher la planche à billets. Il veut aussi crever des plafonds de verre, marquer son art du sceau de son excentricité et, pourquoi pas, faire une entrée fracassante dans la pop culture. Ces rappeurs, tout le monde les connait. Pourtant, peu d'entre eux arrivent à la cheville de Kanye West ou de Young Thug, malgré leurs efforts pour s'offrir des parenthèses chantées entre deux bangers - on pense à Chief Keef et son "Green Light", ou à Gucci Mane et son "Hell Yes". Cette envie, on la retrouve aussi chez Shy Glizzy, MC de Washington qu'on croirait d'Atlanta et qui n'a jamais complètement réussi à porter son chant rappé au-dessus de la mêlée. Ainsi, après avoir demandé l'asile politique auprès des autorités d'Atlanta le temps d'une tape produite par l'infatigable Zaytoven, il revient pour un nouveau projet enregistré avec l'auto-radio allumé. Le timide Glizzy profite même d'un changement de nom (appelez-le Jefe, désormais) pour faire table rase du passé, lui, l'ancien XXL Freshman. The World Is Yours, c'est donc huit titres faits de pianos tristes et de refrains salés, un truc pas vraiment conçu pour les mâles alpha. Ici, on s'adresse plutôt à ceux qui deviennent émotionnels quand la nuit tombe et que les éclairages de la ville prennent la relève. Un projet pour exorciser les rendez-vous manqués d'une carrière et qui remplit à merveille son objectif : The World Is Yours est vide de concessions mais rempli de tubes de poche et de pépites intimistes.

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Jacquees - Since You Playin'

On ne pouvait pas ne pas vous parler du dernier poulain recruté par Birdman : l’homme-oiseau est connu pour transformer tout ce qu’il touche en or, de Juvenile à Drake. Et alors que la scène d’Atlanta fricote gentiment avec le R&B, le jeune Jacquees met carrément les deux pieds dans le plat : ce Since You Playin’ est donc rempli à ras-bord d’odes à la chatte, chaudes et sexy comme un été dans le country side... Et on ne vous parle pas ici d’une rétro-soul chiadée pour bobos trentenaires (coucou Anderson .Paak), mais d’un bon vieux R&B/New Jack bien populiste, qui pue le sale sud et le sexe (ou inversement). Une tape en forme d’adoubement puisque les tontons du genre, Quavo, Ty Dolla $ign et Tory Lanez, passent tous y faire un petit coucou. Birdman se frotte déjà les mains.

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