Dossier

Havukruunu / Grima / SAOR / Wardruna : L'hiver éternel (avant les BBQ)

par Simon, le 24 mars 2025

Dans quelques semaines on aura troqué nos cols roulés pour des tee-shirts, et nous serons probablement posés autour d’un royal barbecue, la bière à la main. S’il ne nous faudra pas deux jours pour considérer que le soleil est un dû au moment de rôtir nos petites saucisses, il ne faudra pourtant pas oublier d’où on vient. Il ne faudra pas oublier l’hiver éternel, la morsure du froid, la nuit dans les cœurs. C’est un grand mythe à vocation cyclique, et pour les amateurs de metal, ça rime toujours avec de grands disques de circonstance. On aura le temps de rire et de s’aviner, mais avant cela, il nous faut une dernière fois cette année célébrer le grand froid, les balades en forêts de sapin et les aspirations naturalistes qui vont avec. Pour cela, on se donne rendez-vous avec quatre groupes passés maîtres dans l’art de la représentation hivernale, à grands renforts de traditions ancestrales et de dimension lyrique. Alors, on prend sa peau d’ours, on se rapproche du feu et on se laisse conter.

Un départ à l’aventure qui va se faire progressivement, du plus strictement métallique au plus méta. Quoiqu’il en soit de la forme finale des albums présentés ici, la ligne tenue tient dans l’environnement épique total et dans l’amour d’une certaine forme de tradition nordique. Du finlandais, de l’irlandais, du russe et du norvégien : ce n’est pas un concours de la meilleure entrecôte maturée, mais bien un tour d’horizon de ce que le premier trimestre 2025 a fait de plus qualitatif en matière de disques caillants et chevaleresques.

Havukruunu

Tavastland

Simon

Cela fait maintenant plus de dix ans que Havukruunu est occupé à justifier son statut de groupe culte de l’underground finlandais. Kelle Surut Soi résonne encore et toujours huit ans plus tard comme l’une des plus belles références black metal épique de ma discographie, et ce sixième album ne devrait pas contredire toute l’excitation qui a précédé sa sortie. Oui, le nouveau Havukruunu était le disque underground le plus attendu de l’année et, oui, il est à la hauteur de tous les espoirs placés en lui. Jamais le groupe n’a sonné aussi maximaliste, aussi va-t-en-guerre, toujours à la lisière du metal heavy et big room (toute proportion gardée). Tavastland est une musique qui ne peut que s’écouter sur un destrier, l’épée à la main et le coucher de soleil dans le dos. Un black metal extrêmement riche, fort de sa technique omniprésente (et largement mise en avant), qui propose une succession d’images mentales extrêmement fortes. Du cinéma audio à grand renfort de riffs francs et puissants, qui te soufflent dans le dos comme un vent continu d’aventures, de fjords parcourus à dos de griffons, de combats à mort avec des dragons avant de rentrer pour ripailler avec ta belle et tes vassaux comme l’immense seigneur que tu es. L’épique en son cœur vibrant, presque fun s’il n’était pas aussi premier degré dans sa narration. Havukruunu est toujours aussi magnifique dans cet art de la chanson de geste métalleuse, et ça va être difficile de trouver beaucoup mieux que ce Tavastland en la matière.

Grima

Nightside

Simon

Dans un autre registre, on trouve les moines-guerriers de Grima, désormais référence absolument incontournable de la scène black atmosphérique nordique. Moins frontale, la formation russe envisagent son metal mélodique en convoquant un univers fait d’étoiles filantes, de projections dans le cosmos et…d’accordéon. Au-delà de la blague que ça peut évoquer chez vous, il serait bien con de limiter Nightside (et le reste de leur discographie) à l’usage de cet instrument de guinguette. Disons à tout le moins que cela témoigne d’une approche déjà très ouverte de la chose atmosphérique. Mais, sur le côté, il suffira d’entendre une seule mesure chantée par Vilhelm pour comprendre tout d’abord qu’on tient une des plus belles voix de toute la scène atmo black et que rien de tout ça ne prête à rire. Leur black metal est racé, illuminé de toutes parts par des choix d’arrangements sinueux, complexes sans tomber dans l’ésotérique, mais toujours emmenés par une volonté intangible de produire quelque chose de terriblement bien emballé dans sa narration. Nightside est une démonstration chamanique de toute la science d’écriture de Grima, qui nous prend habilement par la main pour nous faire visiter toutes les forêts enneigées de Russie, les créatures à moitié humaines qui les peuplent et les cultes étranges qui s’y sont développés. En même temps, il suffisait de voir comment les membres du groupe sont attifés pour comprendre à quelle sauce on allait être mangé. Nightside est ce rite d’avant-guerre, où on tente avec la magie primaire de lire dans notre environnement les signes de ce qui sera demain, de s’attribuer les faveurs d’entités supérieures au moyen de rites complexes. La fin justifie les moyens.

SAOR

Amidst The Ruins

Simon

De l’autre côté de l’Europe, sur les côtes écossaises, on a depuis longtemps troqué sa cotte de mailles pour des bures et des bâtons de pèlerins. SAOR signifie « libéré de toutes contraintes » en Gaélique, et ce Amidst The Ruins en est l’expression parfaite. Le groupe signé sur l’excellent Season of Mist depuis deux albums ne se prive plus d’aucun recours à l’émotion la plus pure pour raconter son histoire musicale. La tradition populaire est évidemment ici extrêmement présente - qu’on parle de musique folk ou celtique – et SAOR y va à très grand renfort d’envolées lyriques, de déferlements black atmosphériques quasiment symphoniques. Une bonne troupe de musiciens (on a ici une armée de cordes, de flutiaux, de pianos et de chanteuses à voix) est partie magnifier la vision d’un seul homme, Andy Marshall, qui réinvente la notion de one-man band de manière audacieuse. Une chevauchée qui prend à la base des poils, vent dans la gueule et soleil dans le cœur. On respire à grands poumons toute la noblesse de cette terre d’Ecosse, ces paysages faits d’innombrables batailles, de tristesse et de renouveau. Un album plein et entier, qui ne peut en aucun cas trahir la noblesse de ses origines. Entre la fureur du blast-beat et la beauté de la tradition paysanne rugissent de partout les guitares en tremolo picking, les arpèges introspectifs et les complaintes électrisantes, tout ça sur des longueurs qui ne descendent jamais en dessous des dix minutes. Aucun raccourci dans l’épique, aucune économie des moyens, Amidst The Ruins est un disque fort dans sa cause naturaliste et émotive.

Wardruna

Birna

Simon

On ne terminera pas ce petit tour d’horizon des musiques frigorifiques de ce premier trimestre sans revenir un petit moment sur la sortie de Birna, quatrième album des Norvégiens de Wardruna. Il est aujourd’hui difficile d’apprécier précisément l’impact gigantesque de ces nordiques sur les musiques dites traditionnelles. Il est possible que leur présence dans la bande originale de la série Vikings ait bien aidé (on n’exclut pas non plus leur travail sur la bande son d'Assassin’s Creed Valhalla) car aujourd’hui Wardruna est le numéro un absolu dans une division qu’ils ont eux-mêmes créée. Une formation traditionaliste montée sur un duo formé par Einar Selvik et Lindy Fay Hella (l’ancien chanteur du groupe culte de black metal Gorgoroth, Gaahl, était également dans les membres fondateurs), vocalistes puissants et évocateurs armés d’une montagne d’instruments traditionnels. Fini tout le travail très sérieux sur les runes, ici on évoque l’ours sous toutes ses formes et ses symboliques. Une manière de revenir encore un peu plus à l’essentiel, dans une tradition animiste vibrante, et surtout d’en remettre une bonne couche de folk traditionnel, d’ambient païenne et de musique rituelles. Cela peut prêter à rire pour certains, mais ici c’est extrêmement sérieux et eux ne rigolent absolument pas avec les traditions norvégiennes. Les anciens hymnes sont morts il y a neuf cent ans, et Wardruna est là pour les réécrire un par un. Cela passe par un travail titanesque de réappropriation de l'histoire, de compréhension de ses racines et finalement de reconstruction d’une mythologie à part entière. Vous l’aurez compris, Wardruna fait le lien entre ce qui a été, la nature environnante et ce qui n’est pas encore là. Une grande messe remplie d’images et de tradition orale, à écouter auprès du feu, après avoir fait du maxi sale au village d’à côté.