Dossier

Goûte Mes Mix #78 : Pasteur Charles

par Jeff, le 3 février 2019

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Tracklist

  1. Warehouse 5 - Let The Music Use You
  2. Bebe Winans - Thank You
  3. Red Soul - Born Again
  4. Minister de la Funk - Believe
  5. LaTrece - I Want to Thank You
  6. Bellaire - Ah
  7. Leee John - Mighty Power of Love
  8. Jasper Street Co. - God help those
  9. Candi Staton - Hallelujah Anyway
  10. Schaun Escoffry - Days like this

Bien qu'on ait notre petite idée sur la question, on ne sait pas vraiment à quoi carbure ce gros nounours de Charles Crost. Mais une chose est sûre : peu importe la substance, le Parisien ne dort pas beaucoup. Quand il ne gère pas une équipe de géniaux marginaux de la scène rock française avec son label Le Turc Mécanique, il est avec DJ AZF l'une des chevilles ouvrières de Qui Embrouille Qui, l'une des plus belles success stories du clubbing underground parisien de ces dernières années. L'occasion de parler avec lui de son agenda de ministre, de son amour de la house soulful et de tout ce qui fait de lui l'un des personnages les plus singuliers et attachants de la scène hexagonale.

Comment est né le Pasteur Charles? 

Au départ, je mixais de la new beat, de la cold et de l'EBM à la fin des soirées de mon label, Le Turc Mecanique. De fil en aiguille, je me suis passionné pour Chicago, et spécifiquement la hip-house, avec ce rap ultra chalala. J'ai ensuite commencé à pas mal jouer dans des soirées dites queer à Paris, dans lesquels je pouvais plus librement m'affranchir de cette étiquette de patron de label. J'ai commencé à jouer, mal assuré, des morceaux plus soul ou gospel dans le chant, avec plein de piano. Ça a été une révélation, un bonheur intense pour moi, partagé avec les danseurs, une espèce de libération : ce que j'appelle en ne rigolant qu'à moitié mon coming house.

Avant d'être Pasteur Charles, pour beaucoup, tu es Charles Crost du Turc Mécanique. Est-ce que LTM et la house qui fait suer les fions, c'est compatible? 

Le Turc Mécanique est un label sombre, en lutte, politique et esthétique. On sort une espèce de cold, de punk de notre époque. En toute logique, j'aurais du, comme mes camarades de scène, me mettre à jouer de la techno de hangar. Mais la vie n'en a pas décidé ainsi, et tant mieux je crois. Niveau cohérence et lisibilité, c'était en revanche pas top. Ça a donc été important pour moi de scinder les deux esthétiques en inventant le pseudo Pasteur Charles, pour essayer de comprendre et faire comprendre ce que je foutais. J'avais besoin de dresser des périmètres pour que les jeunes hédonistes et les gros vénères se plantent pas en venant me voir ici ou là-bas. 

Depuis cette époque, j'ai suffisamment charbonné, balisé le terrain et affirmé ma façon de faire pour me permettre de tout faire sous Pasteur Charles et ne plus me poser des questions comme « suis-je un traître à mes propres combats ? ». Maintenant, les gens savent que je dois être un des DJ les plus soulful de Paris, que je viens de la castagne, que je traîne avec des cogneurs techno, et chacun vient se servir au buffet qui l'inspire. D'autant que j'ai beaucoup eu l'occasion de croiser les scènes, avec la Mon Cul Est Une Autoroute du Soleil, dont j'étais résident, ou, plus encore, Qui Embrouille Qui.

Peux-tu nous parler de l'aventure Qui Embrouille Qui? 

J'ai co-fondé Qui Embrouille Qui avec AZF, que je connaissais depuis l'époque où elle m'avait confié son bébé Jeudi Minuit, une résidence à la Java, à Paris. Après un festival impulsif, l'idée était de fonder un blitzkrieg, une équipe d'artistes assez spécialisés et relativement sous-estimés, et de les emmener partout en France pour leur permettre de porter haut leurs couleurs. Le tout avec une grande idée participative et collective de ce que doivent être la fête et la musique et l'obsession de « rendre possible des choses impossibles ». En gros on a mis du punk dans la dance music. Je crois qu'on est plutôt arrivé à nos fins : la plupart de nos camarades commencent à avoir des carrières qui ressemblent à quelque chose, à force de leur propre travail surtout, mais sans aucun doute un peu parce que cette interface a pu leur permettre d'attirer certaines attentions. Cette année, on va se concentrer sur un gros festival d'été, qui, comme les deux éditions précédentes, tâchera de rassembler et croiser une bonne part des scènes qui font bouger l'hexagone. Avec, à nouveau, ce jeu à jouer des fees égaux et de la participation « volontaire » des acteurs. C'est devenu un gros rendez-vous de l'été parisien, un moment de découverte et de partage, et on compte mettre les bouchées doubles encore cette année.

Je suppose que tu ne te prédestinais pas à la carrière de DJ, mais est-ce une carrière que tu vas continuer à développer? 

Actuellement, à dire vrai, rien ne me rend plus heureux que de faire exploser un dancefloor. Même si je suis multi-carte, que j'ai un certain background, c'est ça que je fais. « Tu fais quoi ? » « Je suis DJ ». Et après, je parle de mes labels, Magic Dancer et Le Turc Mecanique, de Qui Embrouille Qui etc... Enfin si je peux éviter de déballer toute la camelote en soirée, c'est pas plus mal – encore que,  faut bien meubler les afters... Mais je crois que je suis plutôt bon dans ce que je fais et surtout je n'ai aucune lassitude, aucun second degré. J'ai un peu un parcours parallèle, mais c'est ce qui me différencie du club kid moyen quand on se retrouve derrière les decks.

A force de mixer, tu n'as jamais eu envie de te tourner vers la production? 

J'ai envie d'apporter ma pierre à l'édifice surtout. J'ai une vision très précise de la musique que j'aime, j'ai bien envie de diriger des morceaux. Jouer avec le bullshit game de la ghost-production, assumer le fait de décider d'éléments, d'une construction et de laisser des compères les mettre sur la bande. J'ai aucune passion pour Ableton et tout ça, surtout pas dans le cadre de la dance, et pas les thunes pour m'acheter mille machines. Surtout, c'est la meilleure solution pour ne pas du tout faire ce dont j'ai envie, être contraint techniquement. Ce serait un peu comme un label sur lequel je serai un énorme dictateur. Du coup, y aura peut-être des tracks, des remixes de Pasteur Charles, et ce sera pas moins moi qu'un mec plongé dans ses automations, mais je veillerai si c'est le cas à ce qu'il y ait écrit « Produit par » sur le macaron. En plus ça fera chier les gardiens du temple, et ça je t'avoue que c'est toujours un plaisir. Enfin, tout ça n'est pas une priorité pour le moment.

Peux-tu nous parler du mix? 

J'ai rassemblé pas mal de tracks qui forment ma passion pour la gospel house. C'est un registre particulier, qui fonce pas mal, qui ne veut pas être plus intelligent qu'il ne l'est tout en étant d'une finesse de composition incroyable. Je lui dois mon blase à vrai dire, c'était l'occasion d'un hommage appuyé. Ce qui me fait danser le plus, ce sont les grandes vocales et ça se ressent dans mes sets, c'est la fête des pipelettes. C'est tellement maximaliste, ultra émotif, intense, libéré. Y a ce truc marrant des lyrics un peu cul béni, que j'ai plaisir à dévoyer en jouant au milieu d'hommes peu habillés et de soirées que le clergé ne recommanderait pas. Mais surtout, t'as tellement un truc extatique. C'est le délire de la grande communion, du pur bonheur, ça crée une osmose complice, entre moi et le dancefloor et surtout entre les danseurs, qui jouent entre eux, dansent et vivent le truc ensemble. Être l'architecte de ces moments là est un énorme shoot de réjouissance.

quiembrouillequi.com