Dossier

EP's 2011

par Jeff, le 31 décembre 2011

20. Perc – Wicker & Steel

Pas vraiment un EP, pas tout à fait un album, ce Wicker & Steel n’en reste pas moins une des meilleures plaques de techno de l’année. Alors que la techno minimale à tendance industrielle semble redevenir un courant prisé (on citera Tommy Four Seven, Byetone ou encore un label comme Ostgut Ton), Perc semble s’être positionné comme un des nouveaux leaders de la scène européenne. Pas d’enfantillages ni de tours de passe-passe ici, Perc va à l’essentiel avec un son dur et fort. Un EP/album physique et insistant, qui fait hurler ses machines industrielles à plein régime, jusqu’à ce que l’auditeur en ait la nausée. Neuf titres taillés dans le roc, où ça respire peu (voire pas du tout), mais qui possèdent toutes les qualités d’une musique puissante et presque tribale. Carrément méchante en fait.

19. Kuedo – Videowave EP

Tous les webzines n’ont eu d’yeux que pour lui et son premier album solo, Severant. Autrefois membre de l’irrévérencieux duo Vex’D, Jamie Vex’d poursuit désormais sa carrière en solitaire dans un créneau bien moins terroriste que ses plaques dubstep/indus d’autrefois. Ici on est dans la fusion dubstep/footwork, plongée dans des océans de claviers taillés pour le film Bladerunner. Sur cet EP, on quitte quelque peu ce nouveau genre pour causer directement avec de l’electronica directement inspirée par l’histoire de Planet Mu. On se paye des remixes à gros claviers post-acid, de jolies balades nocturnes, et surtout un remix dantesque par le Warpien Chris Clark. Bref, une jolie parenthèse dans l’univers extrêmement cohérent de Kuedo.

18. Isotroph – A Soulful Moment EP

A l’époque où nous concevions la première compilation de la série Jeunes Pousses, nous étions tombés sous les charmes d’un producteur qui venait à peine de naître. Il faut croire qu’on a eu la main heureuse, et le nez creux, puisque ce qui était un ami hier est devenu aujourd’hui un producteur pas mal respecté dans la sphère deep-techno. A tel point que son nouvel EP trouvera refuge sur une structure qu’on adore pour être menée par le talentueux DFRNT, Echodub. Sur A Soulful Moment EP, on trouve tout ce que Isotroph fait de mieux, à savoir un mélange équilibré d’autonomic, de deep-techno et de dubstep léger. Vous nous direz que c’est parfois conventionnel à certains égards, mais punaise c’est drôlement bien fait. Quatre titres qui laissent rêveur et qui promettent le jeune Français à un avenir radieux. Pas plus, pas moins.

17. Shackleton – Deadman EP/Fireworks EP

On ne pouvait pas faire ce top en imaginant laisser Shackleton sur le carreau. Que ce soit pour son magnifique album collaboratif avec Pinch ou globalement pour toute l’inspiration dont ce mec fait preuve depuis six ans, Sam Shackleton se devait d’être dans la liste des vingt producteurs à nous avoir cassé la mâchoire cette année. La combinaison Deadman EP/Fireworks EP est l’une des plus belles choses qui nous ait été donné d’entendre en matière de dubstep mental et habité. C’est tout sauf un hasard quand on sait que l’Anglais est au niveau des étoiles depuis pas mal de temps. Sa composition est à un stade de dynamisme assez fou : l’ambiance est deep as fuck, tout s’imbrique de manière subliminale et c’est véritablement le cerveau qui tournoie de titres en titres. Outre la démonstration ethnique, et physique, ces deux EP’s sont magnifiques pour le travail des remixeurs invités. T++ (énorme aussi cette année), King Midas Sound (qui se dédoublera avec un remix sous le pseudo The Bug) et Mordant Music prolongeront la transe avec une classe absolument folle. Le trip ultime.

16. Mosca – Done Me Wrong/Bax

Mode d’emploi : poursuivre la lecture de ce classement jusqu’à la dixième position, lire le texte à haute voix en considérant que ce EP tire plus vers le uk garage.

15. Para One & Tacteel – Fair Enough EP

On a rarement autant apprécié le travail des deux bougres que sur cet EP en forme de one shot qui suinte autant l'influence de leurs projets respectifs que celle de Bernard Fèvre. Ecléctique et analogique, oscillant entre italo-disco passé en slow-motion (''A1'', ''Touch!'') et perles électro-pop que ne renieraient pas des types comme Röyksopp (''Rome'', ''Always''), rien ne manque dans cet EP aussi référencé qu'accessible et qui ne manquera pas de plaire à un panel large d'auditeurs exigeants, mordus d'électronique ou non. Et dire que dans la même foulée, Para One produisait le dernier Birdy Nam Nam...

14. Bok Bok – Southside EP

Bok Bok n’a jamais été le producteur le plus talentueux de l’écurie Night Slugs, la faute à une composition souvent trop rigide. Son nom on le retient surtout pour être le co-fondateur d’un label qui a pas mal aidé à l’explosion du uk funky. La donne a quelque peu changé depuis l’arrivée de ce Southside EP, véritable petit manuel de la bass music contemporaine. Monté comme un mini album, cette dernière livraison séduit par la qualité de ses percussions, ses giclées acid, ses claviers un peu putes et la consistance de ses nappes. Le style, bien que pas mal affiné, reste abrupt et parfois un peu grossier. On prend désormais tout cela pour une marque de fabrique du jeune Bok Bok, vu que le résultat final tourne au poil. Finalement on tient là l’œuvre d’un chien fou qui tente tant bien que mal de canaliser son énergie, c’est dire ce qui va nous tomber sur le coin de la tronche quand l’Anglais arrivera à son apogée. Enfin cela ne nous enlèvera pas l’idée que pour choisir de s’appeler Bok Bok pour faire de la musique il faut quand même être un peu con.

13. Conforce – Dystopian Elements EP

On maudit notre arriéré au moment d’écrire ces lignes, car cela fait un bail qu’on comptait vous écrire un joli papier sur ce qui est sûrement le label électronique de l’année, à savoir Delsin – on espère toujours pouvoir vous faire parvenir notre analyse rétrospective en 2012 d’ailleurs. Entre le magnifique LP de Morphosis, celui de Surgeon (pour sa position d’habitude tout en haut du label, même si son LP est sorti ailleurs) ou Mike Dehnert et les participations de Delta Funktionnen ou Marcel Dettmann, le label allemand fait clairement partie de ces écuries de références. Ce statut d’incontournable, Delsin le doit également à sa nouvelle recrue, Conforce. Un producteur pas mal talentueux qui nous avait agréablement surpris par son album précédent. Agréablement surpris mais pas forcément transcendé. C’est peut-être pour cette raison que la mutation du Néerlandais nous prend littéralement à la gorge : techno analogique, grain dub-techno et ambiance made in Detroit, tout pue le grand disque. Dystopian Elements EP est le parfait amuse-bouche avant de s’engloutir Escapism, nouvel album taillé dans le même bois, et toujours sur Delsin. Un label et un producteur incontournables.

12. Joe Goddard – Gabriel EP

Relégué au rôle pas toujours envieux d’éminence grise au sein d’Hot Chip, le jovial Joe Goddard a enfin décidé d’un peu prêcher pour sa paroisse, et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’entreprise a été payante. En plus d’avoir monté le projet « house qui fait pouet pouet mais sur laquelle on peut bien déconner » The 2 Bears, l’Anglais s’est également fendu pour le compte de DFA de l’impeccable Gabriel EP, sur lequel il fusionne ses influences electro-pop et un amour immodéré pour la house, et saupoudre le tout d’une partie vocale complètement euphorisante. Cela a donné l’un des « indie hits » les plus improbables de 2011, mais aussi un EP sur lequelle on retrouve deux autres pépites du même tonneau. Et c’est surtout l’objet qui permet à Joe Goddard d’enfin bénéficier d’une reconnaissance bien méritée. Vous avez dit carton plein ?

11. Zomby – Nothing EP

L’album Dedication nous avait déjà prouvé, sonorités Megadrive à l'appui, que Zomby n'était pas le joyeux drille que ses premiers EPs laissaient prétendre. Nothing nous le confirme en réssucitant, l'espace de sept titres taillés comme du crystal, toute la noirceur et l'immédiateté des grandes années jungle dont le producteur s'est toujours revendiqué mélancolique. Les plus jeunes jubileront tout en regrettant d'être nés dix ans trop tard ; les plus vieux, eux, seront sûrement pris par l'envie de ressortir du grenier leurs vinyles préférés de Metalheadz, un léger pincement au cœur et une larme au coin de l'oeil.

10. Mosca – The Wavey EP

Mosca est clairement un de ces producteurs à avoir confirmé tout les espoirs qu’on avait placé en lui il y a quelques temps. Cette année c’est un peu la sienne, avec deux EP’s dont ce magnifique The Wavey. Un travail qui atterrit sur 3024, le label du pape du future garage (oui, on sait que ça ne veut rien dire), un certain Martyn. Globalement on a peu de choses à dire sur ce vinyl, sinon que sa puissance de frappe casse des briques, que son travail en percussion n’entame jamais l’intelligence de sa progression. Entre techno, post-dubstep et broken beat, Mosca fait le boulot avec une intensité folle. The Wavey EP est urgent, ravageur et malin comme un singe. Prend ça James Blake.

9. Holy Other – With U

Grosse année pour le label Tri Angle, qui a profité de ces douze derniers mois pour véritablement assoir son emprise sur la witch house. Dans les faits d’arme qui ont amené à cet état de fait, on peut citer l’explosion d’un producteur comme Clams Casino, le joli premier album de Balam Acab, mais aussi le travail tout en souplesse de Holy Other. Personnage mystique – qu’on peut croiser en live vêtu d’une bure de moine sombre – le Mancunien s’étend sur disque avec une grâce tout en relâchement, sautant de l’ambient au dubstep, en passant par les codes deep-techno. De la witch house quoi. Une affaire de claviers, de tendresse et de voix féminines qui pleurent le départ de leur mari pour la guerre. Une guerre des sens qui tient parfois trop de l’application simple d’une formule, mais qui dans ce With U EP fonctionne sans qu’on ne soit pris pour des couillons en mal d’amour. Ca chille pas mal dans cette plaque, ça rêve en suspension et c’est vraiment à conseiller si vous voulez avoir l’air cool en société. De la witch house quoi.

8. Space Dimension Controller – The Pathwayz To Tiraquon6

L’incroyable cure de jouvence qu’a subi le label R&S –fleuron belge de l’industrie techno à ses débuts – peut être incarnée dans l’explosion d’un producteur comme Space Dimension Controller : insaisissable, multi directionnel et essentiel. Space Dimension Controller a tout de l’électronicien solitaire, dans sa tour d’ivoire comme imperturbable. Son talent de composition est en lui-même un sujet à discussion, résumons comme ceci : Space Dimension est le point de rencontre entre Brian Eno, Anthony ‘Shake’ Shakir et Aphex Twin, le tout avec la composition instinctive d’un Actress. Un producteur discret, qui se joue en permanence des codes house et electronica pour offrir des EP’s/albums solaires et habités. The Pathwayz To Tiraquon6 est un EP étrange dans sa structure, un disque à tiroirs qui recèle des trésors insoupçonnés, bien planqués entre les lignes. Après seulement deux EP’s (tous deux d’une longueur qui les apparente à de véritables albums), Space Dimension Controller est devenu un mec qu’on suivrait les yeux fermés. Sa place ici est donc incontestable.

7. Floating Points – Shadow EP

On a eu raison de miser sur Sam Shepherd dès la parution de son premier EP car depuis lors, l'heureux responsable d'une grosse poignée de maxis assassins a transformé l'essai en affinant sa house stellaire d'un souffle jazzy pas piqué des hannetons. Témoin de cette mutation accomplie, le Shadows EP est un court format aussi imparfait qu'attachant en forme de jointure ambitieuse entre Détroit et Bristol, dont le groove tout droit sorti de Klingon aura du mal à ne pas faire flancher tout aficionado de deep house qui se respecte.

6. Carl Craig – Just Another Day EP

Si on peut déjà se considérer grand à vingt ans, fêter ses deux décennies alors qu’il s’agit de sa propre musique – et du label qui va avec – tient du truc de vétéran. C’est donc en producteur accompli que nous revient Carl Craig. Toujours sur Planet E, l’Américain nous pond ici un grand EP de techno, cinq titres de très haute volée qui synthétisent à merveille l’héritage de Detroit. Qu’elles soient beatless («Darkness » ou « Experimento ») ou directement taillées pour les clubs (on pense surtout aux deux versions de « Sandstorms »), les titres de ce Just Another Day EP torturent les claviers, en tirent un contenu noir et spatial. Un travail analogique qui rapproche au plus près l’homme de sa machine, qui projette la notion de techno dans des terrains guerriers, fumants et hostiles. Il parait qu’à Detroit c’est toujours la guerre. Ce qui est sur par contre, c’est que Carl Craig demeure toujours un de ses plus beaux résistants.

5. Todd Terje – Ragysh EP

Todd Terje est un producteur assez rare, à tous les sens du terme. Non seulement parce que son talent est unique dans la galaxie nu disco, mais également parce que sa discographie n’est pas pharaonique. Mais à chaque fois, le Norvégien prend un malin plaisir à ne pas louper le coche, que ce soit avec ses propres productions ou avec des edits ou remixes de très grande qualité. Mais avec ce Ragysh EP, le Nordique semble avoir franchi un nouveau palier, qui le propulse instantanément au sommet de son art. Le titre qui donne son nom à l’EP est d’une efficacité redoutable et, chose assez rare, a réussi à se ménager une place de choix dans les flight case de DJ représentant une large palette de genres. Maintenant, on attend plus qu’une chose : un album. Parce que Todd Terje le vaut bien.

4. Rone – So So So EP

Au début, c'était un bon apéro en attendant l'annonce d'un hypothétique deuxième album, puis c'est très vite devenu une excellente plaque. Mais aujourd'hui, le So So So EP fait clairement figure d'obsession face aux autres courts formats marquants de cette année. Car si les EP’s assimilables «techno de pastel» auront été légion cette année (Kieran Hebden, si tu nous entends…), ils n'auront jamais touché du doigt le degré de maëstria qu'Erwan Castex a apposé à ses trois pistes taillées à la serpe, qui défient assez clairement Plaid sur son propre terrain. So So So EP, c'est un peu Selected Ambient Works qui joue dans une cour de maternelle, le sourire d'une jolie rousse que tu croises dans la rue, ou un fou rire incontrôlé avec ta belle-mère : ça n'a juste pas de prix.

3. Burial – Street Halo EP

Après avoir sorti deux grands albums, c’est au compte-goutte qu’on se paye les nouvelles productions de Burial. Une attitude un peu chiante, surtout quand on observe la flambée des prix de pareils vinyls sur Discogs, mais qui ne semble en rien affecter le talent de l’Anglais. Bref c’est toujours la même rengaine : Burial est au sommet avec un grain que personne ne semble encore capable de totalement lui voler (et les avatars ne manquent pourtant pas), des rythmiques uk garage/dubstep qui nous replongent au début des 00’s et surtout des ambiances de lover triste. Burial, même à l’apogée de sa hype, conserve cette capacité à catalyser ce qui fait l’ensemble de nos peurs, et de nos espoirs avec. Rajoute un crachin dégueulasse et un retour en night bus, et tu obtiens un nouveau grand vinyl de Burial. Comme d’habitude enfin..

2. Andy Stott – We Stay Together EP

Retrouver le We Stay Together EP d’Andy Stott sur le podium de ce top est tout sauf un hasard, ça tient plutôt de la consécration. C’est qu’il est tout d’abord présenté comme le complément d’un Passed Me By sorti quelques mois plus tôt, tout ça alors que notre cerveau ne s’était toujours pas remis de constater une telle mutation dans les travaux de l’Anglais. On retrouve dans cet EP la même puissance d’évocation que chez son, grand frère, à savoir un univers animal, vicieux et vicié. Le Andy Stott nouveau est brutal, cru, et infiniment instinctif dans sa manière d’aborder ses travaux dub-techno. Ici on est bien loin des plaques proprettes et lissées des traqueurs d’ambiances deep, l’Anglais pilonne et taille des sentiers encrassés, son groove sourd et mort-vivant l’assimile sans cesse à un chamane vaudou. Ca fait peur tellement ça pue la drogue, la fièvre jaune et les nuits passées à faire du sexe comme une bête sauvage. Bref le dyptique Passed Me By/We Stay Together c’est Twilight, en mieux.

1. DJ Rum – Mountains EP

L’histoire de cet EP est un classique qui se répète d’année en année : celle d’un inconnu qui bouleverse la blogosphère en débarquant avec un premier vinyl sous le bras. Et il n’a pas fallu une semaine pour que le nom de Dj Rum soit évoqué comme celui d’un futur crack, son Mountains EP valant toutes les cartes de visite du monde. Une performance d’autant plus impressionnante qu’elle intervient à une époque où les avatars dubstep/uk garage sont légion. Le coup de force de ces quatre titres, c’est d’avoir su créer un hybride où rien ne se perd, où la moindre note conserve toute son urgence. Un EP de guerrier au grand cœur, qui percute par le combiné profondeur/puissance de sa deep-techno, la force de ses ryhtmiques uk garage et les fantômes ambient qui le hantent. Un coup de maître à la fois totalement old school et furieusement en avance sur son temps. A ce prix là, on fait de Dj Rum notre plus grand espoir pour 2012. Et son EP, ben c’est le EP de l’année.