Face à une actualité dictée par la frénésie de nos timelines et les avis définitifs de moins de 140 caractères, Digestion lente prend une bonne dose de recul et revient plusieurs mois après leur sortie sur ces disques qui ont fait l'actualité (ou pas).
Crédit photo : Antoine Laurent / SURL
PNL a changé le curseur du rap français. Alors que le hip hop aime passer son temps à nous dire ce qu'il va nous mettre dans la gueule, le duo de l'Essonne préfère chanter sa déprime en se lissant les cheveux devant le miroir. Les frangins ont ouvert les vannes, donnant naissance à toute une flanquée de emcees dont le coeur du discours de se situe pas dans l'action, mais dans son refus. Laylow est de ceux là : il transpose cette léthargie dans l'univers ouaté des nouveaux riches, quelque part au fond d'un club aseptisé à Paris, New-York ou Tokyo. Tout au long de Digitalova, son dernier projet en date, on a aucun mal à se figurer le garçon affalé sur une banquette, cheveux peroxydés collés au front, s'enivrant de sa propre décrépitude comme le Joker de Nolan. Un projet d'une solidité et d'une ampleur telles qu'il méritait clairement que l'on revienne dessus en détail, un peu plus de 6 mois après sa sortie.
A vrai dire, la résignation qui dicte la vie du Toulousain s'explique très bien : quoi qu'il tente, ses actions échouent systématiquement. Et cet échec est le véritable moteur de sa musique. Mais il ne le met pas en scène comme Orelsan, qui ne fait jamais qu'empiler les situations de loose pour déclencher un processus d'identification chez l'auditeur. Laylow, lui, magnifie la loose, recherchant un instant de beauté fugace dans ses nuits d'abandon. Sa posture évoque la phrase de ce célèbre critique cité dans le Bring The Noise de Simon Reynolds : "Toujours brûler de ce feu intérieur, pour maintenir l'extase". Ainsi, quand il susurre : "J'suis juste en face de toi baby, pourquoi tu m'ignores?", il sous -entend que, peut-être, la tentative de connexion a plus de saveur que la relation elle-même.
A ce titre, il était absolument logique qu'il fasse appel à Jok'air pour le morceau "Gogo". L'ancien leader de la MZ aime s'autoflageller de la même manière : Jok'air est le seul emcee à pouvoir rapper "T'en a plus dans le string que j'en ai dans le caleçon" (sur "Mon Bébé"), tout en restant digne et élégant. Aussi quand les deux répètent à l'envi "Y en a que pour toi" sur leur morceau commun, ils se relèguent au second plan d'une relation amoureuse. Mais, quelque part, cette modestie les honore, rend leur lumière encore plus brillante. Ces jeunes gens modernes sont des rusés. Car s'il a su se réinventer en prince de la nuit, du rap codéiné et de la zumba de luxe, Laylow n'est pas tout à fait un nouveau venu dans le circuit. Le Toulousain a déjà connu une première carrière avec son pote Sir'Klo (qui dégaine d'ailleurs ici un couplet de feu sur l'interlude "Enlève le shirt") et a même été signé en major. Le garçon est en fait un vieux routier de l'industrie.
A la manière d'un 2chainz, qui a dû changer de pseudo pour connaître la gloire, Laylow a su attendre le bon moment pour proposer le produit qui parlerait à son époque. Et cela se ressent. Si sa musique ne dépareille pas aux côtés des Jorrdee et consorts, son niveau de rap est, de fait, bien supérieur à tous ces gens. Et derrière ses airs de de rappeur soundcloud, il est en fait un daron capable de citer spontanément les téléphones Motorola, ou le nom d'un joueur de second plan du Real Madrid des années 2000 (Steve McManaman sur le bijou "Villa sur La côte"). De l'époque, qu'il comprend mieux que personne pour l'avoir étudié toutes ces années dans l'ombre, Laylow s'accapare le falsetto en fin de vie de Swae Lee ("Ignore"), les distorsions de voix de Future ("Digital Vice City") ou le lite dancehall de Drake ("Bionic"). Il recrache tous ses artefacts de la pop moderne dans un univers qui n'appartient qu'à lui, sublimé par le travail à la direction artistique du collectif TBMA. S'il n'a pas eu le retentissement qu'il méritait, Digitalova constituait en tout cas l'un des projets rap français les plus solides et les plus obsédants de l'année 2017. Un projet dans lequel on a aucun mal à se replonger à l'envi, tant les portes pour y entrer sont nombreuses et se révèlent au fil des écoutes (la ballade lover rock de "Bad Romance", par exemple, perdu au milieu du tracklisting). Et dire qu'il ne s'agissait même pas encore de son véritable premier album...