Digestion lente #15 : Wednesday - Rat Saw Dog
Face à une actualité dictée par la frénésie de nos timelines et les avis définitifs de moins de 140 caractères, Digestion lente prend une bonne dose de recul et revient plusieurs mois après leur sortie sur ces disques qui ont fait l'actualité (ou pas).
Si comme moi vous aviez déjà eu la chance d’aller à Asheville, vous sauriez que la petite ville de Caroline du Nord possède une vibe unique par rapport au reste des Appalaches. Toujours solidement ancrée dans la culture américaine, Asheville possède néanmoins un charme hippie, bohème, touristique diront les plus chafouins, mais indéniablement gauchiste au sein d’une région montagneuse accueillant quand même des survivalistes avec armes automatiques, des conservateurs en tous genres et un des derniers territoires Cherokee. Vous pouvez y trouver le siège social des synthétiseurs Moog et je suis presque sûr qu’Angel Olsen y habite à l’année. C'est également ici que la chanteuse Karly Hartzman a recruté les membres de Wednesday au sein de l'université locale.
Il n’est alors pas étonnant que sur la scène Amazon du dernier Primavera Sound, Wednesday ait été le seul groupe à prendre un peu de temps dénoncer les conditions de travail dans les entrepôts et l’hypocrisie du festival, juste avant de démarrer le lead single « Bull Believer », le meilleur morceau de l’album. Un morceau grandiose de huit minutes, comparant l’alcoolisme avec la corrida, où la guitare de MJ Lenderman vient s'écraser contre la batterie d’Alan Miller, finissant en rage extrême avec le plus beau cri de l’année.
Après un déluge de rock shoegaze, la country pointe très vite le bout de son nez. C’est sur « Formula One », chanté en duo, que l’on commence à entendre distinctement la guitare lapsteel de Xandy Chelmis, l’ingrédient spécial qui rend Wednesday si unique. Un morceau doux et amer dédié au “Can Opener”, un pont ferroviaire de Caroline du Nord, si bas qu’il éventre régulièrement des camions distraits. Et si vous aviez cru que le morceau country n’était qu’un passage éclair, le morceau suivant « Chosen to Deserve » remet une couche.
Wednesday a sorti l’année dernière un album de reprises entre country (Roger Miller, Gary Stewart) et rock alternatif (Smashing Pumpkins, Drive-By Truckers) bien pratique pour identifier leurs influences. Sur la scène du Primavera, ils déclamaient leur amour pour la performance volcanique des légendes du post hardcore Unwound, qui avait joué la veille. En plus récent, on peut leur trouver des similitudes avec Big Thief, autres clochards célestes aux influences hétéroclites, ou Julien Baker (qui a bien musclé son jeu au fil des albums).
Autre élément essentiel dans Rat Saw Dog, c’est la chronique de l’Amérique des péquenauds. On y retrouve de nombreuses références à la poésie, aux addictions, à la crise économique, à l’omniprésence du christianisme (alors que Hartzman est juive), à l’adolescence paumée… Le morceau de conclusion « TV in the Gas Pump » rend par exemple hommage aux commerces de bord de route lors de aux tournées interminables.
De manière générale, Wednesday c’est un son lourd, des guitares power-pop, des passages shoegaze, de fortes influences country et une écriture folk assez folle drivant une voix qui peut passer de la douceur à l’extrême férocité en quelques secondes. Vous obtenez la recette idéale pour un rock sudiste de haute volée. Car malgré sa position géographique bien au centre de la côte Est, la Caroline du Nord se situe encore au sud de la ligne Mason-Dixie. Si le précédent Twin Plagues, sorti en 2021, possédait déjà tous les ingrédients de ce mélange, il a fallu attendre Rat Saw Dog pour que la pâte monte. L’ambition est ici décuplée mais l’authenticité reste.