Ces gens avec qui il vaut mieux éviter de parler de musique
Ils sont là, parmi nous. Tapis dans l’ombre de vos bars favoris, présidant vos anodines tablées de raclette entre amis, errant dans toutes les foires aux vinyles. Leurs abords affables et leur apparente érudition vous persuaderont sans mal d’entamer la conversation. Fuyez, misérable ! Fuyez l’enlisement et l’irritation certaine ! Si vous craignez que votre « radar à boulets » ne soit défaillant, GMD tente aujourd’hui de dresser une liste non exhaustive des parasites capables d’écorner votre optimisme musical. Et pour être tout à fait honnête, un petit casse-couilles sommeille probablement en chacun de nous…
Le blasé
Phrase distinctive :
C’était vachement mieux quand ils jouaient encore dans l’arrière-cour de mon boucher clandestin.
Quoi qu’il arrive, vous serez toujours à la bourre. Il a passé sa jeunesse dans les clubs « mythiques » et assisté à tous les concerts « de légende » (qui ont généralement eu lieu dans la salle de bain de sa concierge mais bon, il a quand même pu rentrer « parce qu’il connaissait le videur »). Lui, il sait pour de vrai ce que provoque l’adrénaline pure de l’urgence du punk brut. Et tout est devenu tellement fade depuis que la plèbe s’est emparée de ses poulains du temps jadis. Dès lors, un groupe perdra instantanément son intérêt aussitôt qu’il aura écoulé 500 exemplaires de son premier EP. Sa kryptonite ? Le terme « mainstream ». Sa pire angoisse ? Entendre son groupe préféré illustrer la dernière pub Renault Clio.
Le grumpy cat
Phrase distinctive :
C’est de la merde.
Cousin germain du « blasé », le grincheux ne se caractérise pas par ce qu’il écoute mais principalement par ce qu’il n’écoute pas. Et ça fait un sacré paquet de groupes. Parce qu’ils ne sont pas assez originaux, subversifs, bien habillés. Parce qu’ils sont trop grand public, trop pointus, trop minimalistes, trop expérimentaux. Parce que son hamster n’apprécie pas leur son de batterie. Parce que la tête du chanteur lui rappelle trop son ancien prof de gym. Parce qu’ils ont tout pompé sur cet obscur formation post-punk qui a pondu un seul disque en 1987. Ne soyez pas dupes, le grumpy cat a surtout besoin d’un gros câlin et d’un morceau de chocolat.
L’enthousiaste avec une mémoire de poisson rouge
Phrase distinctive :
Je t’assure, ce groupe est révolutionnaire ! Faut absolument que tu les découvres, mec ! Par contre, je ne me souviens plus de leur nom.
Curieux, positif et plein de ressources, l’enthousiaste est un fabuleux dénicheur de talents qui ne se rappelle jamais de la fin de la blague. Sa playlist regorge de « Piste 1 » et de « Untitled » et il peut ruiner une soirée à essayer de récupérer un morceau enfoui à grands renforts de « la la la la… ah non, c’est pas ça en fait ». Son flair est infaillible mais la recherche du morceau en or s’avère souvent aussi laborieuse que la poursuite du lapin blanc. Même Shazam a posé deux semaines de burn out.
Le spécialiste
Phrase distinctive :
Tu sais, moi, j’écoute surtout de la drone néo-bossa nova à tendance subaquatique.
L’expert n’est pas toujours très en phase avec l’univers qui l’entoure. Dans son esprit, Michael Jackson se résume à ce monsieur de couleur changeante avec un nez approximatif et les Beatles, à quatre gars qui traversaient inlassablement un passage piéton. Par contre, ses yeux s’illuminent lorsqu’il s’agit de débattre de la nouvelle scène électro-pop laponne. Évidemment, à brûle-pourpoint, il n’est pas certain que cela vous passionne beaucoup. Vous faites illusion les premières minutes, vous hochez la tête poliment, vous hésitez à briser le flot continu de son exaltation. Votre téléphone invisible sonne miraculeusement. « C’est super important, le boulot, tu vois… » Vous avez tort de vous esquiver. C’est vachement bien, l’électro-pop laponne.
Le spécialiste improvisé
Phrase distinctive :
Je te confirme que c’est une daube. Je l’ai lu dans les Inrocks.
Entre gens censés, on peut toujours espérer un échange de vues intéressant même lorsque l’on aborde des artistes un tantinet plus polarisants. Mais aussi posé soit-il, le débat est généralement interrompu par un triste sire qui se sent investi d’une mission divine : pondre un avis définitif sur le personnage alors qu’il a juste regardé trois bouts de clip sur YouTube. Habituellement, ce professionnel du jugement à l’emporte-pièce correspond à deux profils : soit il a dépassé la trentaine et refuse obstinément d’accepter qu’à l’époque où il était ‘dans le vent’ (il a dépassé la trentaine on vous dit), les artistes qu’il vénérait brisaient eux aussi pas mal de codes ; soit il passe le plus clair de son temps à écouter des trucs qui n’ont absolument rien à voir avec l’artiste au cœur du débat. Parce que tous les fans de Booba se sont déjà fait pourrir par des fans de Coldplay - ou pire encore, par des hipopix pour qui le rap en 2016, ça se résume aux faiseurs de boom bap et aux emcees étiquetés Best New Music sur Pitchfork.
L’historien
Phrase distinctive :
…et en 1972, il a changé de marque de micro. Cette décision a sans doute été déterminante dans son parcours.
Chaque détail est capital. Il connaît par cœur toutes les dates de sortie de chaque single et de ses remixes, la couleur du slip de chaque producteur et le tour de poitrine de chaque groupie. Il se souvient précisément de cet hiver 1993 durant lequel un chanteur a souffert d’une légère laryngite et des conséquences de celle-ci sur ses œuvres complètes. Il court-circuitera votre plus beau solo de air guitar avec une anecdote à la con sortie d’une biographie non autorisée à la con. Il ne manquera pas de vous corriger comme un malpropre si vous trébuchez sur le signe astral d’un ingé son. « Parce que, bon, c’est tout de même intéressant de savoir que c’est le premier batteur à avoir inventé le triple salto de baguette… » Nope.
Le condescendant
Phrase distinctive :
Sérieux ? Tu connais pas DJ Trucmuche ?
C’est le Grand Maître auto-proclamé du bon goût et Juge Suprême de ton compte Spotify. T’es une meuf ? Tu es sans aucun doute une fan hardcore de Taylor Swift. Tu as plus de quarante ans ? Tu as définitivement une tête à bloquer sur Dire Straits. Dans son infinie miséricorde, il insistera pour améliorer le set que vous aviez consciencieusement élaboré pour votre propre anniversaire. Sa formule sera toujours la meilleure et vous n’atteindrez jamais le niveau nécessaire pour le défier. À ce niveau d’emmerdement, pisser dans sa boîte aux lettres devient un geste de résistance citoyenne.
Le fan absolu
Phrase distinctive :
What would *insert any musician name* do ?
Sur papier, c’est le type qu’on devrait adorer écouter. Le genre de puits de science en mesure de vous débroussailler une discographie kilométrique, capable de vous foutre des étoiles plein les yeux en en plaçant une en hommage à l’artiste sur lequel il se paluche depuis sa prime jeunesse. Mais voilà, à nous vendre sa came avec plus d’acharnement qu’un témoin de Jéhovah, à défendre à tout prix un groupe dont il est scientifiquement établi qu’il a commis quelques impardonnables fautes de goût ou à mentionner son idole à tout bout de champs alors que la discussion de base consistait à échanger une simple recette de pain perdu, c’est précisément l’inverse qui se produit : cet amour sans limites passe vite pour de l’aveuglement et finit par susciter davantage de répulsion que d’envie.