31 années de carrière. 15 albums. Quelques live et une poignée de collaborations. Et donc plus rien, à part une dernière compilation pour boucler la boucle. En tant que fan du groupe, ou fan de musique tout court, comment referme t-on un chapitre musical aussi majeur que celui écrit par R.E.M. ?
Tout simplement en se replongeant dans cette discographie incroyable, méconnue même de nombreux amateurs qui s’évertuent depuis quelques jours à écrire en guise d’hommage que le groupe n’avait rien composé de pertinent depuis plus d’une décennie.
Pourtant non, R.E.M. n’est mort ni en 1997 après le départ de Bill Berry, ni en 2004 à la sortie du mésestimé Around The Sun. Pas plus que le groupe n’a explosé par hasard un matin de 1991 avec « Losing My Religion ». Si cette séparation nous touche autant, c’est qu’il s’agit sans doute du seul groupe à avoir tutoyé les cimes du succès sans jamais renier ses aspirations musicales. Un équilibre fragile, parfois imparfait certes : mais là où des myriades de groupes cèdent aux sirènes de la soupe FM facile après des débuts prometteurs (Muse, Coldplay, Placebo pour ne citer qu’eux), là où U2 s’est perdu dans sa mégalomanie, là où Radiohead a fini par s’égarer à force de tout intellectualiser, R.E.M. a su rester à la fois exigent et accessible, spontané sans être facile, tour à tour incisif ou sensible.
Le grand public retiendra du groupe une poignée de tubes fascinants (« Losing My Religion », « Everybody Hurts », « Man On The Moon ») mais R.E.M. était beaucoup plus que cela – avant comme après. Pour cette rétrospective qui n’en est pas une, nous avons donc choisi de faire l’impasse sur la période d’or médiatique 1991-1994 que tout le monde connaît par cœur pour nous concentrer sur les premiers et les derniers coups d’éclat du groupe.
La preuve que jusqu’au dernier instant, jusqu’à ce Collapse Into Now paru dans une certaine indifférence en début d’année, Michael Stipe, Peter Buck, Mike Mills (et Bill Berry pendant un temps) n’auront cessé d’être de grands compositeurs.
Premier single, premier tube déjà. En 1983, Rolling Stone classait Murmur, premier disque de R.E.M., album de l’année, s’attirant les foudres des fans de Michael Jackson, U2 et The Police. Pourtant, près de trois décennies plus tard, la décision paraît toujours aussi justifiée tant il n’y a pas un morceau à jeter dans ce condensé de college-rock à l’énergie contagieuse. Pour cette prestation télévisée, l’une des premières en Europe si ce n’est la toute première, on découvre un Michael Stipe chevelu et mal fringué qui n’est pas sans rappeler un certain Kurt Cobain – pas étonnant quand on sait le culte que le leader de Nirvana portait à R.E.M.
Pour les observateurs de l’époque, l’album Lifes Rich Pageant est le premier pas de R.E.M. vers le gigantisme. C’est en tout cas la première fois que le groupe trouve l’équilibre parfait entre ses aspirations pop et ses racines tantôt folk tantôt rock. Au milieu de ce bouillon d’énergie, on trouve le premier single parfait, trois minutes indémodables où la voix de Michael Stipe atteint des sommets d’élégance.
Autre extrait de l’album Lifes Rich Pageant mais capté lors de la tournée Green, « These Days » est un classique dans les canons de R.E.M. Un titre court, percutant, à la mélodie simple et aux paroles intemporelles : « We are young despite the years, We are hope despite the times ».
Dans la carrière de R.E.M., il y a un avant et un après « World Leader Pretend ». Hommage à peine déguisé à Leonard Cohen, ce titre central de Green est également le premier à voir ses paroles officiellement dévoilées dans le livret. Pour Michael Stipe qui se plaisait à être particulièrement cryptique dans son écriture et incompréhensible dans sa prononciation, un cap est franchi.
Assez ironiquement, le morceau préféré des fans du groupe est issu d’un des disques les moins appréciés. Car si Out Of Time aura été le disque de tous les succès (ou au moins de deux, l’inusable « Losing My Religion » et l’insupportable « Shiny Happy People »), on est loin de la cohérence de son successeur, le parfait Automatic For The People. C’est pourtant sur « Country Feedback » que R.E.M. réunit à la perfection Neil Young, Leonard Cohen et les Byrds, et que Michael Stipe signe ses plus belles paroles, répétant à l’infini, « It's crazy what you could've had ».
A celles et ceux qui répètent à qui veut l’entendre que Automatic For The People est le dernier grand disque de R.E.M., on conseillera de se jeter sur New Adventures In Hi-Fi sans plus attendre. Enregistré en grande partie pendant la tournée Monster, l’album est sans doute LE chef d’œuvre méconnu du groupe. Touche-à-tout, tantôt électrique, électronique et acoustique, NAIH regorge de pépites, comme « E-Bow The Letter » en duo avec Patti Smith (improbable numéro 1 au Royaume-Uni) ou « So Fast, So Numb », petit bijou d’énergie régulièrement joué en concert.
Après le départ de Bill Berry, l’atterrissage est difficile pour le trio restant. Enfermé en studio sans batteur mais avec quelques boites à rythme, le R.E.M. nouveau accouche dans la douleur de Up, un disque expérimental et inégal, mais aux impressionnantes fulgurances. Plus que le facile single « Daysleeper » ou le médiocre pastiche des Beach Boys « At My Most Beautiful », ce sont les expérimentations sonores de « Hope », « Falls To Climb » ou « Walk Unafraid » qui séduisent. Ce dernier titre deviendra d’ailleurs un incontournable du répertoire scénique du groupe jusqu’à la fin de sa carrière. La preuve avec cet extrait de l’excellent DVD Perfect Square.
On a tout écrit ou presque sur Around The Sun : impasse musicale, ignominie M.O.R., gouffre discographique, point de non-retour. Pourtant, si Reveal (2001) avait montré de vraies faiblesses malgré l’impeccable single « Imitation of Life », Around The Sun mérite d’être réapprécié pour ce qu’il est : un disque mélancolique et apaisé, bien que fortement politisé. Ce « Final Straw », hymne anti-guerre d’Irak, est la preuve que Michael Stipe n’a rien perdu de son engagement même si les paroles, plus directes (plus naïves ?), n’ont pas le poids de celles d’un « Orange Crush ».
Après le disque apaisé et éreinté par la critique, le rétropédalage. En 2008, R.E.M. sort l’excellent Accelerate, une sorte de bain de jouvence musical où le groupe redécouvre la hargne des années IRS. Pourtant, si l’énergie est similaire, la production musclée de Jacknife Lee emmène le groupe d’Athens vers de nouveaux horizons. La preuve en 2 minutes et 30 secondes avec ce « Man-Sized Wreath », titre plébiscité par les fans alors que Michael Stipe pensait le reléguer au rôle de face-B.
S’il fallait retenir un seul moment de la dernière décennie de R.E.M., les 90 dernières secondes de « It Happened Today » s’imposeraient sans nul doute. Retrouvant la verve mélodique et acoustique des meilleurs instants de Out Of Time, ce titre enregistré en duo avec Eddie Vedder de Pearl Jam aurait été la parfaite B.O. d’un générique de fin de film… ou d’un final de concert. Ironiquement, le morceau n’aura jamais été joué en live. En espérant qu’on échappe à la tournée de reformation dans quelques années…