Dossier

Boîte à trésors: FAUVE

par Jeff, le 12 mai 2013

On ne va pas vous mentir: sur papier, cette Boîte à trésors que nous a enfin livré FAUVE est d'une banalité confondante, et en totale inadéquation avec l'image que l'on se fait d'un groupe qui fait tellement de bien à la chanson française. En fait, toute la difficulté avec ces mecs bien aimables, c'est qu'ils ont suffisamment d'humilité pour ne pas céder aux sirènes du buzz qui essaient de la leur foutre à l'envers depuis de nombreux mois maintenant. Le coup est intelligemment joué et les informations distillées au compte-gouttes. Ce qui veut dire que tout le monde a aujourd'hui sa petite idée sur le phénomène, sur ses racines et ses origines. On imaginait bien croiser quelques surprises de la part des Parisiens, c'est un peu le but de l'exercice. Mais de là à penser que les mecs viendraient à nous citer Blink 182, le Wu-Tang Clan, The Beatles et la Mafia K1Fry et justifier ces choix de façon suffisamment habile pour que cela ait du sens , y'avait de la marge. Et pourtant…

Metallica

Until It Sleeps

D'aucuns diraient qu'il s'agit la pire période pour Metallica: les cheveux courts, le format pop, les refrains, les soli de guitare sur (seulement) 70 notes... L'enfer pour les adorateurs du culte heavy metal traditionnel. Un genre de Vatican II du métal en fait. Mais bon, à l'époque on saignait ce titre chopé sur les compil de Hard 'n' Heavy, c'était bien plus acceptable pour nos petites oreilles de têtes blondes élevée aux Beatles que ces cowboys mal dégrossis de Pantera qui abusaient de l'Ibanez 7 cordes. Juste un bon morceau de pop joué par le plus grand groupe de métal de tous les temps. Le clip est moche par contre. Les années 90, la drogue, tout ça.

The Pixies

Hey

Époque Myspace. Une copine a posté une vidéo live de "Hey" sur sa page et comme tu lui fais confiance, tu regardes. Tu connais les Pixies de nom, mais t'as jamais pris le temps d'écouter vraiment (à part celle qui est dans Fight Club et que tu reprenais avec ton groupe de lycée) donc tu te dis qu'il est temps de s'y mettre. Et là, tu tombes sur quelque chose de totalement inédit: un petit gars joufflu avec une tête de bébé, en sueur dans un t-shirt trop grand, qui récite en parlant/criant/gémissant des choses qui ont l'air de sortir de zones pas bien éclairées de son mental, tout en plaquant sèchement des accords de guitare à mi-chemin entre le funk et rien du tout, avant d'être appuyé par des riffs stridents et une voix de fille mûre sur le refrain. Le truc t'emporte le cerveau: c'est à la fois maboul et maîtrisé, bancal et surpuissant, super bizarre et totalement limpide. Une nouvelle fenêtre s'ouvre dans ton esprit.

Mafia K1Fry

Pour ceux

Faut pas se mentir, on a jamais grandi en cité. Mais bon, les mecs de kourtrajmé non plus je pense et ça les a pas empêché de documenter le délire depuis bien longtemps. Honnêtement le rap français nous a toujours parlé, un genre de coup de pied dans la fourmilière en France, une vraie musique populaire qui vient d’ici au milieu de toute la merde qui s’est imposé face à un rock et une pop désertés et confinés à l’underground. Avec NTM, IAM, Doc Gynéco, la FF, Secteur Ä, on avait trouvé des mecs qui parlaient vrai. Avec la génération d’après, on a trouvé des mecs qui parlaient dur et qui secouaient encore plus le truc, moins de récupération, encore plus de vérités crachées à la gueule. « Pour ceux » c’est ça, juste un truc pour te taper sur la tête et te montrer un vrai miroir qui déforme pas. Une grande majorité des mecs qui comptent dans le rap français et qui ont fait des trucs chanmés se sont réunis pour cet album, et y a rien à dire. Classique annoncé. L’âge d’or des cailleras. Depuis ça se perd un peu en stupidités et en bling bling ricain qui rend le tout un peu fadasse, mais on se fait pas de souci pour eux, le truc est loin d’être mort et un de ces quatre le ghetto reviendra.

Green Day

Hitchin' a Ride

Eté 97, tous les après-midi, après avoir maté 4 fois de suite la K7 de Wayne's World et chopé les clés de la bagnole de mamie pour faire des tours de village sans permis, on avait besoin de notre morceau à nous pour secouer la tête comme des débiles et se fracasser nos cannettes vides sur la tronche. "Bohemian Rapsody" c'était déjà pour les vieux, il nous fallait du neuf, il nous fallait Green Day! Même si des années plus tard on s'apercevait que la grille d'accord était exactement la même note pour note que "Sunny Afternoon" des Kinks, et que encore d'autres années plus tard on a fini par avoir honte pour ce groupe qui n'en finit plus de se mourir dans un costume de U2 grand-guignolesque pour ados fans de Coldplay, on ne renie pas l'incroyable fougue DIY et le génie power-pop de ces 3 fumeurs de spliffs des squatts de la Bay Area. C'est devenu mauvais après, mais ils ont fait beaucoup de bonnes choses avant.

Blink 182

What's My Age Again?

Été 1999. Comme tous les mois de juillet depuis la fin de notre année de 6ème, on est avec le frérot dans un car qui nous transporte de Paris à une ville perdue d'Angleterre, séjour linguistique oblige. Avec nous au fond du bus, il y a une fille qu'on connaît parce que nos mères bossent ensemble (le voyage est sponso par le CE de la boîte). Elle est avec son cousin franco-italien. L'ambiance est chouette, ça se prête les compact discs. Jusqu'à ce moment précis, on écoute encore Skyrock, le Secteur Ä, I AM. Pendant l'année on a aussi eu une phase Manu Chao et on a vraiment kiffé le troisième album d'Oasis (celui que tout le monde déteste). Bref, jusque-là on est éclectiques. Et puis tout bascule, en quelques secondes : le cousin franco-italien te passes un CD que tu connais pas ; le nom du groupe te dis vaguement quelque chose, c'est sûrement eux que t'as vu courir à poil dans des clips sur MTV ; tu enfiles les écouteurs ; "play"... VLAN. Ta vie sera plus jamais la même. C'est le truc le plus énergisant, le plus évident, le plus puissant que t'as jamais entendu. C'est débile à souhait et pourtant ras-la-gueule de mélancolie. T'as à la fois envie de chialer, de déchirer ton t-shirt et de péter une vitre. Le frère y passe lui aussi, quelques minutes plus tard. Il achètera même l'album au premier HMV croisé - toi tu pécho "Californication" parce que t'avais aussi bien kiffé les clips sur MTV (mais t'es un peu jaloux quand même). On va le saigner pendant les deux années suivantes, comme tous nos potes, tous nos cousins, toute notre famille élargie, le monde entier, en fait. C'est la musique des kids de notre âge, des gamins normaux et anesthésiés de notre génération, écrite par des mecs de 25 ans à moitié attardés mais brillants (kassedédi à Mark Hoppus). A la rentrée suivante tu te mets à la guitare. Tout est dit.

Eminem

The Real Slim Shady

Que dire ? Meet the new boss quoi. En 99 un petit blanc tout grem’s débarque sur nos écrans de télé et dans nos radios, il est à la fois méchant, drôle, cynique, et touchant. Mais surtout qu’est-ce qu’il rappe bien… Même les copains de lycée bilingues avaient du mal à enchaîner toutes les lyrics sans bafouiller. L’anti-héros white trash parfait, il nous en faut pas plus pour nous identifier direct, le mec a tout compris, et un an plus tard, il revient avec un méga-tube qui explique qu’il est le seul, le vrai, l’unique. En quelques poignées d’années le mec est déjà imité dans tous les sens et ne sera évidemment jamais égalé. Beaucoup trop loin pour qui que ce soit, tout seul loin devant le peloton et se foutant de tout et de tout le monde. Admiration. Il a perdu de sa dérision et s’est considérablement attristé en vieillissant (mais a incontestablement gagné en sens du business), il a perdu sa couronne de mec le plus cool du monde depuis longtemps, mais il a une très très grosse place dans le Hall of Fame.

The Beatles

Hey Bulldog

Difficile pour nous de s’accorder sur un titre des Beatles, A.K.A. le meilleur groupe de tous les temps (objectivement en plus). Tout le monde est fan des Beatles, c’est trop facile, ils sont universels, la musique occidentale moderne c’est eux. On aurait pu s’entretuer pour chacun imposer notre petite vision des Beatles : la période droguée avec des sous-marins jaunes et des morses, les yéyés formats pop parfaits et groupies qui s’évanouissent, le mysticisme hindouiste baba cool, le rock de stade énervé, ils ont tout fait, c’est trop dur. On a pris Hey Bulldog parce que quand t’as 6 ans et que tu découvres la musique, tu trouves ça marrant des mecs qui aboient après avoir chanté, ça marque quoi, c’est peut-être la porte d’entrée la plus stupide qu’il y ait à ce monde incroyable, mais c’est ça qui est beau : des portes d’entrées aux Beatles y en a autant que de personnes qui vivent sur cette planète. Et ouais bon, putain de riff, the usual pour eux, mais quand même.

Wu-Tang Clan

Gravel Pit

Ok le grand cirque barnum du rap américain. Y a que les ricains qui peuvent mélanger talent pur et entertainment débridé. Le Wu Tang c’est la cream de la cream, le collectif emblématique, là encore on prend pas de risques. Un nombre indéfini de mecs géniaux mais à la fois incroyablement humains avec leurs failles et leurs défauts. Qui ne s’est pas fait arnaqué en payant 40 boules sa place pour Wu Tang Clan pour n’assister qu’à une pantalonnade d’une demi-heure avec des cousins de Method Man qui savent à peine rapper ? On s’est fait arnaquer dans tous les sens par ces mecs qui ont bouffé à tous les râteliers. Mais c’est comme une ex trop bonne qui t’as mille fois trompé, en vrai tu peux pas y résister. Sérieusement, des renois en manteaux de fourrure pimp qui se prennent pour les Pierrafeu ? How cool is that ? On signe et on resigne des deux mains, même si on sait qu’en vrai ils nous la mettrons à l’envers dès qu’ils pourront le faire.

The Clash

Stay Free

Si y avait pas eu les Beatles, le Clash aurait été un peu l’alpha et l’oméga. Des sales punks sans espoir mais diablement intelligents, génies touche à tout. Quand tu t’intéresse au punk dans les années 90 le truc est déjà mort, mais les reliques sont merveilleuses : From Here to Eternity, The Singles, Rude Boy, Westway to The World… Un marketing savamment orchestré mais qui a ceci étant vraiment rendu hommage à ce qu’a pu être cette incroyable aventure qu’on n'a pas pu connaître. Toute la palette a été étalée correctement, rien n’a été oublié. Et on s’étonne de ces quelques gemmes pop perdues parfois au milieu de la boue punk/ska/reggae qu’on affectionne tant. Les titres de Mick Jones ont toujours été les plus aboutis. Joe Strummer grattait, vociférait d’une rage et d’un engagement parfois gauche mais toujours sincère. Mick Jones cisaillait avec précision des lignes de guitares enivrantes et des tubes pop parfaits. « Stay Free » n’est la chanson préférée de personne, dans ce deuxième album dont tout le monde se fout et qui fait pourtant basculer les Clash hors du punk-rock, sur leur planète à eux. Mais pourtant les vrais sauront qu’elle devance n’importe quel titre de l’inévitable et colossal London Calling qui a suivi. Tant pis pour les critiques rock, nous on choisit « Stay Free ».

Jacques Brel

Ces gens-là

Jacques Brel c’est un peu la musique de nos parents, voire des gens plus vieux que nos parents. Du vieil oncle un peu strict qui n’a même pas envie de t’initier à quoique ce soit parce qu’il pense qu’avec ton rap débile tu es déjà perdu. C’est difficile de découvrir et d’aimer Jacques Brel quand on est jeune, le mec est triste et chante bizarrement. Puis quand tu grandis tu comprends. Tu vois le fond. Tu commences à capter le poids du vécu. Brel, le poids des mots, et pas le choc de quoique ce soit parce qu’on a trop de respect pour sortir un jeu de mot aussi faible. Tout est parfaitement pesé, y a rien qui dépasse, jusqu’à sa coiffure nec plus ultra. Ça parle. Là encore ça parle vrai, ça touche juste, en plein cœur. C’est triste mais pas toujours. Et quand ça s’échappe c’est toujours raisonné, maîtrisé. Beaucoup de travail. Ces gens-là, chronique en mode Balzac parce que t’as lu Germinal au lycée, mais au final chronique ordinaire et parfaitement moderne, encore aujourd’hui. On est quand même mieux à écouter ces histoires racontées comme ça que dans n’importe quel courant de « chanson française réaliste » qui est passé depuis.

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