Yasiin Bey & The Robert Glasper Experiment
Le Bataclan, le 11 avril 2013
Yasiin Bey, Mos Def, le Mighty Mos, The Boogieman... Les alias sont nombreux. Et malheureusement, ils sont même plus nombreux que les vrais bons albums dont a pu nous régaler le emcee : entre l'oubliable The Ecstatic et l'arnaque True Magic, il n'y a aujourd'hui que peu de matière récente dont le MC peut réellement se prévaloir. Il demeure pourtant qu'avec trois classiques au compteur ainsi qu'une technique et un charisme qui dépassent toujours l'entendement, l'annonce d'une date parisienne unique avec les canailles du Robert Glasper Experiment laissait présager une prestation explosive. Et si explosion il y a bien eu ce soir-là, il convient de préciser que celle-ci était d'une toute autre nature et d'un tout autre impact. On s'explique.
La soirée ne débutera pas sous les meilleurs auspices : une fois la première partie expédiée, le Robert Glasper Experiment prend très vite place derrière ses futs et ses cordes pour chauffer à blanc un Bataclan plein à craquer à peine ouvert. Peine perdue: les problèmes techniques mettront à mal une reprise pourtant audacieuse du "Packt like Sardines In A Crushd Tin Box" de Radiohead pour que le quatuor s'autorise à jouer dans d'aussi mauvaises conditions. De notre côté, un peu dépités, on les comprenait chaudement. Il faut dire qu'il devait bien faire facilement 35°C dans la fosse et qu'il valait mieux pour nos fesses que la machine se remette en branle le plus vite possible.
Les problèmes réglés, c'est sur une brillante reprise jazz du ''No Church In The Wild'' de Kanye West & Jay-Z que les hostilités sont déclenchées. Et quand le Mighty Mos débarque quelques minutes plus tard au son syncopé de ''Black Radio'', affichant ce même sourire de vieux copain qu'on lui connaît depuis le tout début de sa carrière, la soirée reprend très vite des couleurs. Il faut dire que le emcee de NYC n'a pas son pareil pour retourner une salle à la seule force de son flow impeccable ou de ses références appuyées à la zulu nation, à Jay Dee ou encore à John Coltrane. Et puis quelle présence scénique!
Vu la puissance de feu déployée, on aurait beaucoup aimé que son comparse de Black Star, Talib Kweli, s'invite à cette sympathique sauterie. Au lieu de cela, il faudra se contenter de l'apparition surprise de Kanye West qui permettra à la soirée, le temps d'un titre, d'atteindre un niveau supérieur d'incandescence. Cette jolie surprise n'apportera cependant pas de réelle valeur ajoutée à la mixture : on est bien ce soir devant une prestation quasi-exclusive du Robert Glasper Experiment. Et sans être exactement relayé au statut d'invité, le MC de Brooklyn aura surtout fait figure de chauffeur de salle officiel pour le compte du jazz-band. On est donc loin de l'inverse que l'on a tous fantasmé un peu trop fort...
Malgré la publicité mensongère, difficile de bouder son plaisir : Mr. Bey sait pourquoi lui et ses acolytes ont rempli la salle ce soir-là et il n'oublie pas de tirer poliment la couverture de son côté. Hé, c'est pas tout les jours qu'on peut profiter du formidable groove J Dilla-esque du quatuor de Houston pour son propre compte ! Ainsi, ''Umi Says" mais aussi (et surtout) l'inattendu "Bedstuy Parade & Funeral March" profiteront de longues relectures crapuleuses, là où ''Auditorium'' ou ''Ms Fat Booty'' bénéficieront quant à elles d'un traitement live proche du freestyle qui permettent à tout ce beau monde de se lâcher sur scène de grands coups de grooves sales et d'échanges de sourires contagieux. Et si à l'arrivée on est plus proche du côté soul du Kamaal The Abstract de Q-Tip que de l'énergie live et martiale distillée par The Roots, l'espèce de bordel organisé qui rôde sur scène ne faiblira qu'au moment où le groupe choisira de quitter tranquillement les lieux, après 75 minutes de bon et loyaux services - généreusement rémunérées on imagine, vu le prix du billet.
En tout cas, on le félicitera d'avoir composé avec un public aussi mou du genou qui a grillé clope sur clope pendant tout le show en ressassant les mêmes cinq minutes du Louis Vuitton Don sur Twitter. Tant pis pour ceux-là : ils ont râté un Mighty Mos et son équipe qui n'ont pas failli à leur tâche ce soir-là, délivrant un show fait de chouettes moments de bravoure, bien qu'un chouïa en dessous de nos attentes. Même le soundsystem du Bataclan aura rarement paru aussi impeccable pour accompagner ce bon moment de son américain dont on gardera un souvenir à part ... En attendant peut-être de les entendre remettre le couvert cette fois-ci sur galette ? Vu la complémentarité exemplaire des intervenants, on y croit à mort.