We Love Green 2017
Vincennes, le 10 juin 2017
L'an dernier, tandis que j'avais pris la poudre d'escampette en plein festival pour aller flâner dans les rues de Manhattan, Gwen avait cuisiné un compte-rendu sur la première journée du festival, la bien nommée "nuit de boue", et je n'aurais pas pu la résumer mieux moi-même. Un beau programme où elle a affronté successivement les joggings de PNL, le répertoire des plus gros tubes de Hot Chip, la charge émotionnelle causée par la reformation de LCD Soundsystem et beaucoup, beaucoup trop de boue. Cette année, je reprends le flambeau, vierge de gadoue mais pas avare en cagnard, en anecdotes croustillantes et en vrais bons moments de musique. WLG en 10 leçons, c'est parti.
1. Il faut définitivement une journée de rodage à chaque édition.
C'est un souci qu'on constate à peu près chaque année: les organisateurs ont du mal à avoir une vision d'ensemble du festival avant 24h de rodage. L'an dernier (et ça nous a pas mal traumatisé) l'édition tombait en plein milieu des inondations, et le site ressemblait plus à un bain de boue dans une station thermale qu'à un terrain de festival. Et techniquement, ça pouvait se pardonner jusqu'à ce qu'on mette plus d'une heure rien que pour sortir du site, dans une atmosphère de Walking Dead saison 3 (qui, et heureusement pour moi, reste la meilleure saison). Cette année, la pluie ne fut pas au rendez-vous. Mais ça n'a pas empêché certains festivaliers de galérer deux heures avant d'entrer sur le site, le temps de passer les contrôles de sécurité - ce qui est un comble quand on sait que pour cause de Vigipirate, on n'avait même pas droit d'avoir un totebag. Par ailleurs, il fallait également être patient, car l'organisation est vite arrivée à court de cartes cashless, et ça a pas mal bouchonné pour aller boire ou grailler. Bref, le samedi fut une réelle tannée sur pas mal de plans, là où le dimanche était on ne peut plus chill sur tous ces mêmes plans. Mais pour un festival qui ne s'étale que sur deux journées, ce genre d'ennuis pèse très lourd dans la balance finale.
2. Le cashless, une certaine vision de l'enfer.
Il y a deux choses que je déteste dans la vie: les endives au jambon, et le cashless. Le premier est heureusement très rare en festival. Par contre le second commence à devenir un réel fléau. Le principe: on te greffe à ton bracelet une puce que tu peux recharger soit via internet, soit dans des bornes dédiée par carte bancaire. Une initiative censée permettre aux organisateurs une meilleure maîtrise de leurs recettes, et aux festivaliers de perdre moins de temps au comptoir. Dans les faits, ce fut une autre histoire: vu l'apparente faiblesse de la bande passante sur le site, le passage aux bornes était obligatoire pour qui n'avait pas préparé sa recharge par internet avant son arrivée. Et s'il fallait bien une demie-heure à chaque nouveau passage dans les bornes, devant le comptoir c'est encore une autre aventure où, chacun ressort soit victorieux, soit énervé d'avoir perdu une autre demie-heure pour une pinte d'Heineken à 8 euros, surtout avec une moyenne de concerts fixée à une heure. Enlève à ça une commission d'un euro à chaque recharge, plus un euro par verre consigné, et tu as très vite compris que ce truc, c'est l'enfer avec un grand E. Et le pire dans tout ça, c'est que le phénomène a déjà contaminé les Nuits sonores... Mais jusqu'où ce cauchemar ira ?
3. Il faut une programmation nocturne au We Love Green.
C'est peut-être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup: en marge des gros noms du festival, il y avait ceux de Recondite, Jon Hopkins, DJ Koze, Maceo Plex ou encore Motor City Drum Ensemble. Une jolie brochette de gens susceptibles de faire déplacer quelques clubbers gourmets, voire de simples amateurs occasionnels de musique électronique qui ne peuvent pas toujours s'offrir des samedi soir dans les clubs de la capitale (puisqu'ils bossent toute la journée, ha). Le souci, c'est qu'avec une programmation qui se termine à minuit, tout ces noms entraient en concurrence avec d'autres noms qu'on avait évidemment très envie de voir aussi: ainsi, Jon Hopkins faisait office de transition entre Damso et Flying Lotus, mais occupait le même slot que Solange ; Motor City Drum Ensemble jouait en même temps que Flying Lotus qui lui même empiétait sur le slot de Justice ; Recondite jouait en même temps qu'Anderson .Paak et Maceo Plex en même temps que Moderat. Bref, on est habitués à avoir ce genre de problèmes en festivals, mais on aimerait bien que l'an prochain, ce volet éléctronique de l'affiche puisse arriver à exister en marge des grosses têtes d'affiche du festival.
4. Un bon DJ pour un rappeur, ça reste assez primordial finalement.
Alors certes, l'affiche rap du We Love Green 2017 était un peu maigrelette, surtout face aux autres festivals. Mais elle n'en demeurait pas moins fort jolie: malgré l'annulation de dernière minute de A Tribe Called Quest, on pouvait se consoler avec les présences de Damso, Action Bronson, Jorrdee ou encore Jok'Air pour combler l'absence de Q-Tip et Ali Shaheed Muhammad. Et franchement, on en demandait pas tant. Si on a loupé Jok'Air et Jorrdee, tous les deux programmés à des heures insolites, les deux autres cités ont assuré un show assez correct, en ce sens où le rappeur s'il ne s'épuise pas trop et rappe un peu sur bandes, est content de se trouver face à un public tout acquis à sa cause et qui scande les paroles de "Macarena" ou le refrain de "Actin' Crazy" a pleins poumons. Côté platines par contre, c'est plus délicat puisque aucun DJ n'a su réellement insuffler au set de son collègue un réel rythme. Avec une mention toute particulière au passe disques de Bronsolino qui laissait passer presque une minute entre chaque titre, sachant que les morceaux du gros roux tournent entre deux et trois minutes grand maximum. On ne leur demande pas de scratcher non plus, restons sérieux cinq minutes, mais faire reposer ces shows sur la seule aura du mec au micro, ça reste léger même avec deux noms comme ça. Heureusement, Bronson à joué "Contemporary Man" en entier (!), et c'est un lot de consolation incroyable.
5. Solange sur scène, c'est quand même vachement moins chiant que sur disque.
On a eu un peu de mal à comprendre tout le battage qui a entouré le disque de la soeur cadette de Beyoncé. On n'ira pas jusqu'à dire que c'est un mauvais disque, et il y a même de très bons titres et un couplet correct de Lil Wayne (ce qui est déjà une vraie victoire pour lui en 2016). Mais on n'a jamais complètement réussi à chasser de nos esprits l'espèce de fantôme d'Erykah Badu qui plane sur ce disque. Et donc, dire que l'on n'attendait rien de ce concert était un doux euphémisme: on claquait même des rires bien gras quant à la possibilité que l'on puisse s'endormir en plein milieu de l'un ou l'autre de ses titres. Puis la Solange a débarqué, toute en bouclettes et de rouge vêtue, et on a juste trouvé le courage de fermer nos gueules et d'apprécier ce premier concert pour ses immenses qualités: c'est rodé, ça danse, ça chante. Bref c'est un show à l'américaine avec un mojo immense, et pas uniquement pour la plastique de sa maîtresse de cérémonie. D'ailleurs, pour la petite anecdote, quelques heures avant Solange, il y avait la belle Abra qui a déjà fait monter la température (et le taux de testostérone) sur la scène de la Clairière. Deux preuves vivantes que le R&B féminin a suffisamment de couilles pour remplir des festivals en 2017.
6. Comment mon divorce avec Justice a été définitivement consommé ce 10 juin 2017.
On en parlait plus tôt, mais en lieu et place de Justice le samedi soir, il devait y avoir A Tribe Called Quest. Sauf que Q-Tip s'est démis l'épaule, et que comme il a cinquante ans, il ne récupère plus trop comme avant le grand-père. Avoir choisi Justice, pour quelqu'un qui a grandi avec eux, ça aurait pu être une beau lot de consolation. Sauf que Justice sur scène, en dix ans de temps, ça ne change pas beaucoup: c'est encore un gros set mash-up façon Daft Punk mais en moins bien (sinon ils seraient d'office tête d'affiche du festival), avec un lightshow mégalo et incroyable. Deux adjectifs assez éloignés de ce qu'on pense de leur dernier disque d'ailleurs, qu'ils ont défendu sans trop de vigueur: les vrais moments de bravoure de leur set restent concentrés sur les morceaux du premier album, moins pour leur efficacité que pour la nostalgie qu'ils nous inspirent - on n'a pas résisté à l'envie de faire une croix avec les bras quand les premières notes de "Genesis" se sont faites entendre, mettez ça sur le compte de l'alcool. A l'arrivée, un set brouillon d'une heure sans fil directeur, qui nous a perdu dès la fin de son premier tiers, et où la paire s'est même permise de massacrer "Stress". Et ça au nom de mon adolescence c'est strictement impardonnable.
7. Flying Lotus ne devrait jamais arrêter le fromage d'herbe.
Je n'écoute plus les disques de FlyLo depuis facile trois ans, c'est devenu trop chiant pour moi. Sur scène par contre je m'y retrouve systématiquement, le mec réussissant à être constant dans son côté imprévisible et contagieux, et il n'a une nouvelle fois pas failli à sa réputation. Caché derrière son imposant dispositif visuel, probablement parce qu'il devait bédave comme jamais, voici ce qu'on a pu entendre pêle-mêle dans son set: un remix trap du générique de Twin Peaks, un bout de la bande-son de Ghost In The Shell, l'"Antidote" de Travis $cott, du grime chelou, du Mr Oizo, la musique des boss de Final Fantasy VII, un bon gros quintal de disco, un melting pot très large de toutes ses productions de Los Angeles jusqu'à I'm Dead, l'intro de "DNA" de Kendrick Lamar (mais il n'a jamais passé le morceau), une espèce de bouillie crade sortie tout droit de chez PC Music, et beaucoup, beaucoup de trucs qu'on ne s'attendait pas à se prendre en pleine gueule. Ca a l'air flippant dit comme ça, mais ça a été exécuté avec autant de folie que de maîtrise, dans un set à la fois extrême et parfaitement accessible. Bordel, mais qu'attend ce mec pour sortir un disque à l'image de ses lives?
8. Votez Anderson .Paak, putain.
Alors oui, en deux ans il est devenu très difficile d'ignorer Anderson .Paak. Et on a beaucoup de mal à répondre quoi que ce soit à ceux qui ne voient en lui qu'un Jamiroquai des années 2010 car c'est une comparaison finalement assez juste. Toujours est-il qu'en 2017, le Californien est au top partout où il se fait inviter, quelque soit le projet sur lequel il travaille, et ce serait assez dommage de bouder son plaisir. Son concert sur la grande scène, ce fut une consécration pour celui que l'on avait vu l'an dernier dans une Bellevilloise remplie à ras la gueule. En tout cas, tout le monde s'est déplacé en masse pour lui, et la température est vite, très vite montée. Parce que ça jouait bien, ça jouait fort, et que passé le premier tiers, le père Paak marchait sur l'eau et pouvait littéralement tout se permettre: il a passé un bon tiers du concert derrière sa batterie, et s'est mis le public féminin dans la poche à la seule force de sa voix nasillarde et de son déhanché de légende. Le public masculin, lui, était définitivement trop occupé à faire des signes de gang au mec qui gérait la talk box (il y avait beaucoup trop de blancs à We Love Green), et à se trémousser sur les palettes de groove envoyées par les Free Nationals, le groupe qui l'accompagne. Bref, un concert qui sentait le fion, l'amour et le soleil de Californie, à déposer dans le haut du panier des prestations de cette édition. Même si avec le recul on se demande comment il aurait pu en être autrement.
9. Moderat sont les nouveaux Coldplay, et il n'y a rien de mal à ça.
C'est Moderat qui a clôturé cette édition 2017, et ça semble d'une logique implacable: en trois albums, les Berlinois ont abandonné leur statut de bidouilleurs électroniques pour enfin épouser celui de popstars, tout ça sans jamais oublier leur amour de jeunesse pour la techno. D'abord au profit de Modeselektor, puis progressivement au profit d'Apparat, le trio teuton a réussi ce pari fou mais totalement accessible de réconcilier un public d'initiés et un public davantage mainstream dans des lives qui arrivent à avoir autant de force émotionnelle qu'un concert de The Postal Service. Et quand ils arrivent sur scène, on sent bien que ce n'est plus du rodage: tout est millimétré et juste, impitoyablement juste, fort de la centaine de dates à travers le monde qui l'ont précédée. Ainsi, Sasha Ring chante comme Thom Yorke (et il n'y a rien de mal à ça), tandis que Gernot Bronsert et Sebastian Szary apportent leur science de la poussée de fièvre pour porter les meilleurs morceaux de leur répertoire à un niveau inouï. Ce set de Moderat donc, c'est un peu Chris Martin qui aurait pété une burne et qui transforme Coldplay en une grosse machine à danser dans les hangars de Détroit. C'était assez exceptionnel, et pourtant pas franchement gagné vu comme leur dernier disque nous en a touché une sans faire bouger l'autre.
10. Pourquoi, en définitive, WLG 2017 c'était super bien et qu'on a déjà très envie de voir la tronche de l'édition 2018.
Parce que finalement, en dépit des soucis techniques du samedi, c'est la bonne humeur des festivaliers, le beau temps, quelques énergumènes sacrément défoncés et cette programmation vraiment chouette qui ont triomphé et ont fait de cette édition une petite réussite. Le choix du site de cette année dans la bois de Vincennes était de loin bien meilleur que d'habitude, et on a même croisé quelques stands de bouffe réellement dingues (gros shout out aux restaurateurs de The Beast). Il paraît même qu'ils ont pété de sacrés scores de fréquentation cette année, et en définitive, on trouve ça mérité, surtout si ça leur permet de concrétiser une édition nocturne ou une programmation sur trois jours en 2018 - mais on prend sans doute un peu trop nos désirs pour des réalités. Bref, merci WLG, on se revoit l'an prochain si Dieu veut, mais a priori nous on est déjà chauds bouillants rien qu'à cette idée.