Visions Festival #777
Fort de Bertheaume, le 2 août 2019
Il nous aura bien fallu quelques semaines pour nous remettre de la 7ème édition du Visions. Un gros mois pour digérer correctement un festival que certains présentent comme l’un des évènements les plus excitants de Bretagne. Après trois jours passés à manger des moules sous le soleil de la plage du Fort de Bertheaume, il nous est apparu essentiel de revenir sur ce que l’Armorique a fait de mieux depuis l’invention du chouchen.
Dans une région qui ne manque pourtant pas d’évènements musicaux de qualité, les Visions se positionnent comme le village d’irréductible gaulois qui résiste encore et toujours aux sirènes du capitalisme culturel. Contrairement à certaines grosses cylindrées françaises, le festival prend le pari de ne pas calquer son modèle sur une économie de la tête d’affiche et préfère miser sur une expérience à taille humaine aux noms moins ronflants, mais tout aussi efficaces.
Si sa taille (4.000 festivaliers) l’empêche de se positionner comme un concurrent direct de certains de ses homologues bretons (Vieilles Charrues, Festival du Bout du Monde, Route du Rock), ses idéaux lui permettent de cultiver sa singularité et de questionner le modèle des festivals mis en place depuis quelques années. Pour exemple, Les Disques Anonymes, l’association porteuse du projet, refuse catégoriquement les aides financières, qu’elles soient privées ou publiques, et ce depuis la création du festival en 2013. Les mots de Guillaume Derien, co-créateur et programmateur, présentent alors l’évènement comme un projet risqué, constamment sur le fil, dont la survie repose entièrement sur les épaules de ses festivaliers. Une prise de risque un brin suicidaire quand on connaît les contraintes imposées aux manifestations culturelles en 2019.
La confiance construite entre les festivaliers et l’organisation n’a rien de factice et le sold out de sa dernière édition n'a rien du hasard. Le Visions tire d’abord sa réputation d’une direction artistique exigeante qui, à l’image de son festival, ne laisse que peu de place aux compromis.
À la croisée des genres
Au premier abord, il apparaît difficile de discerner une couleur musicale prépondérante dans la ligne artistique du festival. Bien qu’on distingue un amour prononcé pour la culture électronique, la programmation carbure aux seuls goûts de ceux qui la composent et n’est pas forcément pensée pour maintenir le festivalier dans sa zone de confort. Entre jolies découvertes et belles confirmations, il nous est apparu nécessaire d’opérer un rapide tour du propriétaire et revenir chronologiquement sur notre épopée bretonne.
Si les premières éditions du festival prenaient place à la ferme de Traon Nevez, juste à côté de Morlaix, l’évènement se déroule désormais dans le site protégé du Fort de Bertheaume, à moins d’une demi-heure de Brest. Nichés à flanc de colline, le panorama idyllique et l’accès direct à la plage depuis le camping font du cadre l’un des principaux atouts du festival. Attention tout de même, si le paysage n’a rien à envier à un Spring Break à Cancún, le coupe-vent est vivement conseillé à la nuit tombante.
Le site se compose de trois scènes de tailles variables dont la plus grande s’avère être un amphithéâtre avec vue imprenable sur la mer. Un spot présidentiel pour un nom de scène en conséquence : la « SCÈNE NOTRE PROJET » accueillera d’abord le live expérimental du groupe italien Zu et le doom ravageur des Américains de Thou. Nos choix du premier soir se sont majoritairement portés sur la « Scène Servier », plateau plus intimiste où le duo Techno Thriller distillera un live diablement efficace, jonglant à merveille entre punk zinzin et EBM des enfers. Les deux Bruxellois avaient pourtant la lourde de tâche de précéder Tzusing, poulain de l’écurie L.I.E.S Records, pas connu pour faire dans la dentelle. L’excellent set du Taïwanais nous consolera un peu de l’annulation de dernière minute de Shackleton, assurément l’un des noms les plus attendus de cette programmation, remplacé au pied levé par un Clouds plus consensuel.
De belles découvertes
Sous un soleil breton bien décidé à faire maigrir les sudistes, la journée du samedi s’ouvrira par l’enterrement d’un Pasteur Charles plus vivant que jamais. À mi-chemin entre le spectacle de scouts et le vaudeville, la compagnie de théâtre In Carne mettra en scène les funérailles du boss du Turc Mécanique sous les yeux ébahis des quelques festivaliers déjà réveillés. Au rayon des surprises du jour, la performance de Maria Violenza viendra ensorceler un auditoire conquis par le groove synthétique de la chanteuse, déballant son spleen en français, en anglais et en italien. Le talent linguistique de Nelson Monfort, les maladresses en moins. L’autre bonne découverte de la journée sera à mettre au profit de EYE et de sa synth-pop foutraque, mais bougrement convaincante. En se plongeant dans ses dernières sorties, on n’était donc pas vraiment surpris de retrouver la Française sur le label hollandais Knekelhuis (De Ambassade, Parrish Smith). La valse de synthé vintage de la productrice viendra tutoyer les derniers rayons de soleils de l’après-midi et laisser place au punch de Emma DJ, résident des soirées parisiennes « Fusions mes couilles » et distributeur de bastos protéiformes. Une très bonne mise en bouche avant de se défouler sur le set rap/ghetto house de Scream Entertainement puis reprendre notre souffle en admirant le live A/V de Drew McDowall et Florence To. Le samedi se clôturera par les expérimentations de Jardin et de sa techno autotunée dopée au R&B et à l’eurodance. Après avoir vu ça, on peut mourir tranquille.
Un grand final
C’est les yeux cernés et les corps fatigués que nous commencerons la dernière journée en assistant au deuxième acte de l’enterrement de Pasteur Charles. Visiblement aussi empruntée que nous, la troupe In Carne viendra ressusciter le défunt pour un set house-gospel vivifiant dont lui seul à le secret. Allongés dans l’herbe jaunissante de l’amphithéâtre, nos siestes dominicales seront perturbées par la noise des lillois de Fleuves Noirs et la dark wave de Harshlove. Si la table du temps avait jusque là été admirablement respectée, le retard de Lee « Scratch » Perry viendra décaler le reste de la programmation du jour. Après plus d’une heure d’attente, le public découvrira un vieil homme usé à l’accoutrement aussi discret qu’une intervention de Koscielny dans la surface de réparation. La performance du reggaeman mi-homme mi-légume nous conforte dans l’idée que les sorties publiques du chanteur ne servent plus qu’à écorner son image. On en place tout de même une pour son producteur et acolyte du jour Adrian Sherwood qui, à l’heure et toujours en forme, ne devrait pas rejoindre la légende du dub dans sa tournée des EPHAD d’Europe. Les conditions météorologiques viendront compliquer le travail des ingé-son du groupe de boogie acoustique France Chébran et offrir au public une expérience acoustique dispensable.
Après un début de soirée en demi-teinte, le festival se clôturera par ce qui nous est apparu comme les deux meilleurs lives du festival. Pourtant privé de son mapping vidéo, Vessel lancera les hostilités avec une performance nous confortant dans l’idée que l’Anglais a sorti l’un des plus beaux disques de musique électronique de l’année passée. Le trio de J-Zbel se chargera quant à lui d’achever un amphithéâtre déjà chauffé à blanc avec un live à l’image de leur dernier album, synthétisant à la perfection les différents univers proposés par le groupe: Eurodance, goa, gabber ou musique de jeux vidéos, quoi de mieux que les hybridations loufoques des Lyonnais pour clôturer un festival lui aussi à la croisée des genres ?