Concert

Turnstile

Olympia, le 17 juin 2024
par Alex, le 19 juin 2024

Que peut-on attendre d’un concert de Turnstile en 2024, alors que le groupe n’a pratiquement rien sorti depuis trois ans et qu’il a abondamment tourné pour défendre ce que nous appelions déjà un game changer à sa sortie ? Force est de constater que l’aura dégagée par le groupe n’a rien perdu en intensité et que la multiplication des tournées n’affecte pas l’excitation des suiveur·euses. Sur cette courte escapade européenne (la dernière avant du neuf ?), Turnstile s’offre notamment le Graspop belge, le Razzmatazz barcelonais mais aussi et surtout, cette date de prestige à L’Olympia de Paris.

Voir le nom du groupe sur la devanture d’un lieu si unique à bien évidemment sa part de symbolique puisque peu auraient imaginé voir Brendan Yates et les siens atteindre de tels sommets il y a 10 ans, lorsqu’il se produisait plutôt dans les MJC sombres que sur les scènes de Coachella ou Primavera. En 2024, il n’y a plus grand monde pour le contester: Turnstile est désormais le groupe de punk hardcore le plus populaire au monde et sa trajectoire fascine autant qu’elle interroge sur ses limites. Sur place, cette notoriété plus ou moins récente se traduit par un public bigrement éclectique, entre les usual suspects que l’on peut régulièrement croiser dans les foires aux coups de pied rotatifs (on aperçoit notamment Maxime de RIXE ou encore Lee Spielman de Trash Talk) et une frange de la fanbase probablement plus intéressée par les aspects pop et plus accessibles du groupe. Hardcore kids, indie kids, cool kids… Turnstile rassemble plus qu’il ne divise. Et ça, c’est déjà très beau en soi.

Avant que les héros du soir ne fassent leur apparition, belle surprise que l’ajout très tardif de Speed en première partie. A bien des égards, le parcours du groupe australien suit celui du groupe qu’il précède puisque en une démo et un EP seulement, Speed a vu sa cote monter en flèche au sein de la scène hardcore, lui permettant d’avoir massivement tourné en Europe l’été dernier (dont un concert anthologique au Glazart en juin 2023) ou tout récemment lors d’une tournée maousse en Amérique du Nord en compagnie de Knocked Loose, Show Me The Body et Loathe.

Il est 20h quand les 5 larrons du Land Down Under débarquent tout sourire sur la scène de l’Olympia et il est 20h01 quand le premier pit s’active au son de “A Dumb Dog Gets Flogged”. Le groupe a beau enchaîner les déplacements intercontinentaux et multiplier les apparitions, rien ne semble entraver son énergie et son enthousiasme, contagieux. D’ici la fin du mois juillet, Speed aura eu l’occasion de sortir Only One Mode, son tout premier album dont on a déjà entendu quelques extraits ce soir (“The First Test” et son solo de flûte de l’espace ou encore “Real Life Love”) et on ne s’inquiète pas beaucoup de la suite des événements pour ce gang de Sydney à qui tout sourit en ce moment. Lorsque les dernières notes du tubesque “Not That Nice” retentissent, une bonne partie du parterre de l’Olympia suinte déjà à grosse gouttes, réalisant désormais d'où vient cette hype.



Sur les coups de 21h10, les lumières s’éteignent et le “I Wanna Dance With Somebody” de Whitney Houston résonne dans l’Olympia. “Elle était plus courte, l’intro au Gibus” entend-on derrière nous. Et ouais mon pote, c’était en 2018 et depuis, Turnstile a bien intégré les codes de l’entertainment à l’américaine. Il a aussi intégré à son line-up de live la guitariste anglaise Meg Mills (aperçue notamment dans Big Cheese). C’était il y a un an déjà mais certains semblent le découvrir ce soir. Quoiqu’il en soit, vu le planning bien chargé de Turnstile, celle-ci a pu trouver sa place rapidement, et donne désormais l’impression d’avoir toujours fait partie de l’équation. Mais tout cela nous éloigne de l’essentiel : il n’aura fallu que quelques mesures de la bombe “T.L.C. (TURNSTILE LOVE CONNECTION)”, l’un des morceaux les plus rapides de GLOW ON, pour que la fosse explose et la communion débute.

Sur “UNDERWATER BOI”, c’est tout le public qui reprend les paroles a cappella avant que “DON’T PLAY” ne fasse à nouveau monter le niveau de violence bienveillante dans le parterre, espace dans lequel aucune (mais vraiment aucune) personne ne reste immobile. Sur les 15 morceaux de GLOW ON, 11 seront joués ce soir avec quelques incursions dans le passé  (“Fazed Out” et “I Don't Wanna Be Blind” notamment mais aussi un enchaînement bien sympathique constitué de “Drop”, “Real Thing” et “Big Smile”). Aucun nouveau morceau ni allusion à la suite de la part du groupe mais ce n’est pas une surprise et ça ne semble déranger personne. Le public est aussi euphorique qu’une nation qui viendrait de remporter l’Euro et les sourires, la sueur, les accolades et les embrassades entre ami·es autour de nous nous font comprendre pourquoi on continue d’y revenir.

Plutôt discret sur les interactions avec le public, Brendan Yates ne manque toutefois pas de faire remarquer la chance et le plaisir qu’ils ont de pouvoir jouer devant autant de monde dans une salle si particulière. Pour le reste, le niveau d’énergie est exceptionnel et le séquençage de blocs plus violents avec des titres plus posés fait du bien à tout le monde. Lorsque “Blue By You” et l’invraisemblable tube “BLACKOUT” se concluent, ce n’est ni plus ni moins que Dev Hynes alias Blood Orange qui se joint aux américains pour entamer le doux “ALIEN LOVE CALL”. A peine le temps de regarder l’heure, qu’on sent déjà avec regret que l’on approche de la conclusion. Turnstile a ce soir choisi de quitter le public parisien avec deux autres morceaux phares de sa discographie, “MYSTERY” et “HOLIDAY” sur lesquels tout le monde perd des points-vie mais gagne des bonnes ondes.

Ce n’est une surprise pour personne, Turnstile est désormais une machine extrêmement bien huilée et les centaines de concerts qu’affiche le quintet se font ressentir sur la qualité de la proposition scénique. La production ainsi que la setlist n’ont que peu ou pas évolué depuis trois ans mais tout est d’une efficacité imparable et l’on ne trouve rien à y redire. On parlait de feu sacré lorsque le disque est sorti et finalement rien n’a changé: Turnstile est une comète comme l’on en croise que très rarement chaque génération, profitons de ce monstre tant qu’il est encore temps.

Crédit photo : Titouan Massé Photography