Transardentes 2009
Liège, Halles Des Foires, le 24 janvier 2009
Deuxième édition et succès toujours aussi grandissant pour la version hivernale et électronique du festival liégeois Les Ardentes. A tel point que Les Transardentes est quelque part devenu le pendant wallon de l'autre grand rendez-vous électronique de l'année, j'ai nommé I Love Techno. Une édition marquée une fois de plus par une sélection pointue des artistes les plus représentatifs de la diversité électronique : techno made in Detroit, French Touch 2.0, house minimale, tech-house progessive ou encore drum'n'bass et dubstep en provenance d'outre-Manche, tout y était pour contenter sans trop de difficulté les milliers de spectateurs venus en masse se joindre à cette grande liesse électronique. Niveau organisation, rien de bien neuf sinon une mise en place irréprochable avec un accès facilité à l'ensemble des salles et des postes de distribution d'eau (seul grief imputable à l'édition précédente).
Il est tôt, très tôt et pourtant ma présence sur le site est déjà requise pour le mini-évenement que constitue la venue du sud africain Dj Mujava en bord de Meuse. C'est que son tube ultra-buzzé, le terrible « Township Funk », est à lui seul annonciateur de grandes choses pour son auteur signé chez Warp Records. Il ne m'en fallait pas beaucoup plus pour me convaincre d'aller jeter une oreille à ce qui représente une première pour tous les petits Belges que nous sommes. La vitesse de croisière est rapidement atteinte malgré un Mujava impassible derrière sa platine, enchainant sans faiblir bombes tribal house et perles acid funk. L'attitude est sobre et pourtant évocatrice d'une certaine forme de musique électronique hi-tech et retro-futuriste assez rare à notre époque malheureusement : le sud-africain sait se raconter sans en faire des tonnes et s'efface totalement derrière ce beat militaire qui est le sien. Rien ne pouvait mieux illustrer mon propos que les premières notes de son tube « Township Funk » qui résonnent dans une salle injustement vide : réservée dans la forme et extrêmement sensorielle et chaleureuse dans le fond. En somme, une forme d’alter-mondialisme musical dépouillé de tous les clichés qui l’accompagnent généralement, une entreprise rétro-futuriste qui annoncent des lendemains flamboyants pour cette jeune superstar en devenir.
A peine le temps pour Mujava de quitter la scène que vient s’installer derrière son laptop un autre cador du genre, cette fois-ci à la renommée bien trempée : Heartthrob, ou celui que beaucoup se plaisent à taxer de descendant du ténor Richie Hawtin. La comparaison, peut-être rapide, se base très certainement sur l’appartenance du new-yorkais à l’énorme label fondé par Hawtin lui-même : Minus, ou l’incarnation en dernière ligne d’une techno fidèle à ses racines. L’accueil est particulièrement chaleureux, et pour cause, l’Américain ne perd pas de temps pour faire parler la poudre avec un son minimal techno agressif et pourtant bel et bien rondouillard. Pas de pause, Heartthrob enchaîne les pirouettes électroniques pour finalement retomber sur ses pattes et foncer la tête en avant vers un public qui attend ses lignes de basses les bras ouverts : acide dans l’esprit et ultra référencée, la progression est ici impeccablement bien menée, preuve à nouveau que Heartthrob est devenu une figure essentielle de la scène techno actuelle et que son mélange entre efficacité à toute épreuve et intelligence de jeu s’inspire des plus grands. On attendait évidemment quelques incursions de ses propres compositions, histoire de voir comment Dear Painter, Paint Me (premier album à avoir dans sa discothèque) se comporte vis-à-vis de l’expérience live. Sans trop de surprises, « Future’s Past » ou encore « Signs » s’incorporent avec brio dans la structure déjà bien chair d’un mix félin et acéré. Gros morceau ce Heartthrob à n’en point douter.
A ce stade de la soirée, on rentre dans le gros du dossier. James Holden s’installe et c’est toute une salle maintenant bien remplie qui attend de pied ferme le set du Londonien.Normal, Holden est devenu en quelques années le pape du renouveau tech-house avec un son progressif frais et opportun à l’heure où techno et house optent pour un minimalisme parfois douteux. Lui et son écurie, Border Community (Fairmont, Nathan Fake,...), s’attèlent donc à remodeler et redorer l’imagerie électronique. Avec succès faut-il dire à en voir le retour fait à cet artiste. Le set démarre rapidement et évolue bien jusqu’à la première explosion : Fuck Buttons et leur magnifique « Sweet Love From Planet Earth » dignement remixé par le maître à penser de l’electro rock Andrew Weatherall (dont je vous ai parlé récemment), véritable coup de force qui impose d’emblée le style inimitable de l’Anglais. Mélodique et toujours pointue, la sélection d’Holden ne laisse aucune place à l’improvisation et transgresse les genres pour offrir un dj set imagé, presque floral par sa légèreté subtile. Ceux qui ont eu la chance de jeter une oreille sur sa sélection mixée pour la très bonne série At The Controls (pour les autres, il n’est jamais trop tard) peuvent se figurer aisément mon propos : en permanence en marge de ce qui se produit autour de lui, Holden à cette vision savante d’un dancefloor turbulent et agité tout en demeurant orchestré à la manière d’une grande leçon de musique. Les élucubrations acides en pointe viennent parfaire un dj set admirablement bien maîtrisé et qui restera très certainement comme un exemple du genre.
Puis le silence, tout le monde scrute la main stage pour observer l’arrivée du maestro, de celui sans qui la sphère techno n’aurait probablement pas eu la même portée ou du moins la même résonance. Mais ici, pas d’entrée triomphante ou de surenchère ostentatoire: Jeff Mills se pose avec la simplicité et la sobriété qui le caractérise, provoquant par la même une vague de cris d’amour à la simple vue d’un visage que l’on connaît depuis longtemps déjà. Pas de simulacres pompeux, d’entrée en matière sirupeuse, le résident de Detroit annonce la couleur en posant, ou plutôt en offrant un son à la plastique superbement minimalisée, dénudé pour n’en montrer que l’essentiel. Ce qui pouvait paraître rigide pour certains n’est en réalité que la synthèse de vingt ans de musique techno, celle qui pouvait se vêtir d’apparats directement hérités de la musique soul tout en étant assez universelle pour se voir considérer comme la dernière grande invention du vingtième siècle. Sans avoir à regarder derrière elle, la sélection de l’Américain passe avec une douceur sans commune mesure à ce point qu’il en devient difficile de distinguer passion et exercice de style. Le jeu est précis mais avant tout enivrant, prenant aux tripes par la foi ici exprimée. Il ne s’agit d’ailleurs que de foi, d’une croyance en une musique qui aurait le pouvoir de briser à elle seule les barrières autrefois imposées. Qu’elles soient sociales, raciales ou musicales, cette techno là efface les différences factuelles en renvoyant vers un contenu universel et donc à perdurer de manière irrémédiable. Et ce « The Bells » qui fait trembler les piliers de la Main Stage n’est que l’aboutissement de cet esprit de communion qui caractérise Jeff Mills et plus largement le son des pionniers de Detroit. Ce set est une véritable correction, une leçon absolue de contrôle sur le phénomène techno, celui qui vous vrille les neurones et déchaînent sans compter nombre de corps fatigués mais exaltés par tant de ferveur musicale. Jeff Mills est un monstre, une machine à faire hurler les corps et chanter les cœurs, un nom qui résonnera très certainement dans l’éternité au moment d’évoquer les grandes figures musicales de notre temps. Qui a dit superbe ?
Lessivé par bon nombres d’hymnes technos rutilants, je m’offre le luxe de clôturer ma soirée par un grand moment d’ « absence musicale », par un passage obligé vers la grande machine à lessiver le sale comme le propre au rayon mal famé de l’electro criarde de SebastiAn. Il serait trop pernicieux de relancer une énième fois le débat sur le bien fondé de ce mouvement musical, et je me bornerai à dire que le Français a su, une fois de plus, déchaîner son public à l’aide de mash-up ravageurs, de croisements habilement malmenés pour tirer tout le potentiel dancefloor de ce nombre incalculable de titres. On y découvre sans trop de surprise les classiques de The Prodigy, The Chemical Brothers, Soulwax, Rage Against The Machine, sans compter toute la ribambelle made in Ed Banger que le Parisien traîne comme Dieudonné ses casseroles. Prévisible mais jouissif, honteux mais extrêmement libératoire, le son de SebastiAn n’étonne en rien et c’est tant mieux, car c’est dans cette impasse musicale que le corps craque et que les muscles souffrent littéralement sous les assauts aussi électroïdes qu’éthyliques. Idéal pour s’endormir comme un bébé en rêvant déjà maintenant d’une troisième édition à l’image de celle-ci. Un must.