Concert

Synth Chapelle

Chapelle de la Trinité, Lyon, le 21 février 2025
par Émile, le 26 mars 2025

« On n’a qu’à se poser à la chapelle. » Traitant son nouveau bureau comme un homme qui y travaille vraiment, l’assurance de Camille Rhonat se laisse toutefois trahir par la majesté du lieu. C’est que la (toute) nouvelle version de cette (très) ancienne salle permet à Superspectives, l’association créée par Camille et François Mardirossian d’investir un lieu emblématique de l’histoire lyonnaise.

Construite autour de 1620 par les jésuites dans une ville lyonnaise particulièrement réactionnaire – à l’époque, bien entendu… - la Chapelle de la Trinité a toujours été plus qu’un lieu de culte. Observatoire astronomique, lieu d’étude, salle de concert, elle abrite depuis quatre siècles une foule d’événements qui ne la préparaient pas nécessairement au dernier en date, Synth Chapelle.

Pour Superspectives, le départ de la Maison de Lorette et du festival de musiques minimalistes qui s’y tenait annuellement s’est synchronisé avec la disponibilité de ce lieu accolé à la cité scolaire publique Ampère, et détenu par la Métropole et la mairie de Lyon. Plus qu’une simple nouvelle édition d’un événement qui avait déjà fait ces preuves, il a fallu tout repenser, et réorganiser un savoir-faire autour d’un lieu qui ne se laisse jamais oublier.

Durant trois jours, on a pu se laisser porter par une relative désacralisation de l’espace, l’organisation affirmant d’emblée la possibilité de s’asseoir où l’on voulait, sur les chaises, par terre, et même de s’allonger sur les marches qui mènent à l’autel. De fait, c’est toute l’architecture de la chapelle qui s’est vue renverser par une scène placée en plein milieu, remettant l’attracteur esthétique du festival vers la musique.

Ironie du sort : à l’ouverture du festival, comme une preuve d’absence, la scène était elle-même pleine d’un public déjà très à l’aise, puisque la Trilogie de la mort d’Éliane Radigue était bien une diffusion sans musicien·ne. Trois pièces du bourdon radiguien pour plus de trois heures d’une (très) intense session d’écoute. Plus encore même que les silences de John Cage, la musique de la compositrice a révélé les grincements de chaise, les toussotis du public, et il valait mieux ne pas venir avec des chaussures neuves. Tous·tes étaient touché·es, mais tous·tes ne mourraient pas ; et à côté de la partie du public capable de gérer l’introspection à laquelle invite la Trilogie de la mort, le reste essayait d’y trouver une occasion esthétique, en rêvassant, en marchant parfois, ou juste en observant le temps se dilater.

Cette première soirée a donc joué le rôle d’entrée en matière pour un événement qui tient à s’inscrire sur trois jours consécutifs. C’est ce que précisait Camille Rhonat en nous expliquant que « [le temps long] est nécessaire pour créer une ambiance immersive, un temps de longueur et d’exploration pour un lieu, qui permette de rêvasser, d’associer la musique à un environnement. C’est ça qui crée la réceptivité nécessaire pour cette esthétique qui marche très bien en disque, et assez mal en expérience de concert, quand tu ne peux pas créer une expérience communautaire de l’écoute. »

C’est justement dans la variation des formats, des thèmes et des ambiances que Synth Chapelle a creusé son premier sillon dans l’esprit du public. Séance d’écoute, concert, moment d’interview : on a eu le chance de voir un peu de tout, et d’apprécier assez sereinement la façon dont le tout s’enchaînait. On pense notamment à la discussion autour de la sortie du livre Basta Now ! de Fanny Chiarello, qui recense les femmes et les personnes LGBT dans la culture des musiques expérimentales, et qui a pu être suivie d’une lecture poétique accompagnée par ce qui est devenu un set percussion-only de Valentina Magaletti. La batteuse de Tomaga et Vanished Twins a rempli l’espace de la Trinité et ses six secondes de reverb en proposant une toile rythmique extrêmement variée, mélangeant batterie acoustique, vibraphone et boîte à rythme.

Sur ce même modèle hybride, le festival a connu un gros temps fort thématisé autour de Wendy Carlos, avec l’esprit très baroque d’intégrer l’histoire et la musicologie au concert. Comme le précisait Camille, « on construit notre programmation sur un mode baroque, en réaction à l’hégémonie des codes classiques et romantiques, mais un des angles morts, c’est le risque des authenticités et la posture du musicologue à lunettes. »

À ce titre, la figure de Wendy Carlos est éminemment pertinente. C’est la première à faire ce pas de rupture en utilisant des sonorités plus étranges dans son travail de la musique de Jean-Sébastien Bach, et qui essaimera auprès de tant d’artistes, et qui a inspiré une grande partie de celles et ceux présent·es au festival. Évidemment, au-delà de son rapport à la musique électronique et à la pop, c’est le lien avec son parcours personnel et la question de la déviance dans des musiques dites queer qui interroge cette ligne de crête sur laquelle le renouveau aventureux des musiques baroques peut avoir à s’interroger, à la fois dans la façon dont l’électronique s’empare du répertoire, mais aussi dans la façon dont il devient lui-même répertoire.

Ce répertoire, il a eu l’occasion d’être bien en vue : que ce soit dans la version académique mais touchante de Julien Lheuillier le dimanche, ou l’excellent set de Sarah Terral le samedi, dont on aurait bien pris un peu de rab. On évitera de s’arrêter sur le concert de Fiesta En El Vacio, dont on n’a pas du tout compris la présence en ce samedi soir, et qui restera le point faible du week-end.

En terme de gros noms, Synth Chapelle a pu cocher la case en faisant sa conclusion avec la performance de Jonathan Fitoussi. Amoureux des synthés, pape des rééditions de musiques radiophoniques et grand héritier de Wendy Carlos et Suzanne Ciani, le boss de Transversales Disques est venu présenter Poème Symphonique, sa version modulaire de la première de Gustav Mahler. Si la performance sur disque est intéressante pour le paradoxe évident qu’elle pose entre les sonorités de Fitoussi et le spectre sonore malherien, on a eu du mal à retrouver l’énergie sur les 45min de musique ; sans jamais oublier d’apprécier son superbe synthétiseur (dont on n’a pas du tout retenu le nom) et l’effet esthétique saisissant dans la chapelle.

Première pierre d’un édifice qui rêve d’un festival par saison, Synth Chapelle, événement d’hiver de l’installation de Superspectives à la Trinité, a été un petit bol d’air pour les amoureux·ses des synthés de la région lyonnaise, dans laquelle on en avait besoin, et qui propose un nouvel espace musical dans un centre-ville qui a tendance à péri-urbaniser ses lieux culturels.

[crédit photo : William Sundfor]