Sigur Rós
Bruxelles, Forest National, le 26 février 2013
Si notre rédacteur Laurent n’a pas semblé rebuté par le contenu du récent Valtari, on ne peut pas vraiment dire que ce soit les qualités intrinsèques de ce sixième album studio des Islandais qui ait poussé l’auteur de ces lignes à rallier Forest National ce mardi soir pour assister à leur prestation. Non, la motivation à se rendre dans l’impersonnelle enceinte à l’acoustique minable, il fallait aller la chercher dans le choix de la première partie, du côté de l’impeccable réputation scénique des Islandais et dans les quelques informations relatives au prochain album ayant jusqu’ici filtré.
Le choix de la première partie ? Un peu à la surprise générale, c’est le nom de Blanck Mass qui figurait à l’affiche. En effet, plutôt étonnant (et sur papier extrêmement casse-gueule) de demander à un mec qui va balancer de la nappe atmosphérique sans discontinuer d’essuyer les plâtres sur une tournée visitant des salles comme Forest National ou le Zénith. Trente minutes pour convaincre – ou fournir un habillage sonore à un public qui a probablement autre chose à foutre. Trente minutes pour échafauder un set bien pensé, qui partira d’une entame résolument contemplative pour explorer des basses plus dodues dans sa conclusion, laissant par la même occasion penser que le deuxième album de l’Anglais (accessoirement membre des bruyants Fuck Buttons) irait peut-être voir ce qu’il se passe du côté des dancefloors, comme le laissait déjà entendre l’extatique « Hellion Earth » sorti fin de l’année dernière.
La performance scénique ? Depuis des années, Sigur Rós a patiemment perfectionné sa maîtrise de l’exercice, à force d'incessantes tournées qui ne semblent jamais avoir entamé un enthousiasme qui ne transparaît que rarement sur scène mais qui ne saurait être feint. Par ailleurs, en même temps que grandissait la popularité à l’international gonflait le budget « confettis, cotillons et plumes dans le cul » alloué aux tournées. Et ce n’est pas la nouvelle configuration étrennée sur cette tournée européenne qui nous fera penser le contraire. La bande à Jonsí a les moyens d’en foutre plein les mirettes à son public, et elle ne se prive pas de le faire. Mais là où pas mal d’artistes s’effacent ni vu ni connu derrière un beau mur de LED, une boule à facette géante ou des lasers bien pupute, Sigur Rós cherche en permanence l’équilibre entre prestation musicale et expérience visuelle. Et ce mardi, on a une nouvelle fois dégusté – dans le très bon sens du terme. Difficile de rentrer dans le détail tant la palette de couleurs et de tableaux était riche, mais croyez-nous sur parole : vous en avez pour votre argent. Et Dieu sait si on vous en demande beaucoup dans ce genre de salles...
Les informations relatives au nouvel album ? Parce que oui, au cas où vous ne l’auriez pas entendu, les Islandais planchent (déjà) sur un successeur à Valtari, ce qui n’est pas pour nous déplaire tant on a vite envie d’oublier les ballades contemplativement chiantes que nous a infligé le groupe il y a quelques mois. L’album, on nous l’annonce agressif et il y a même un teaser pour nous faire comprendre que c’est pas de la gnognotte ces histoires. Jonsí et les siens ne sont pas encore prêts à poser baignant dans le sang d’une vingtaine de vierges sur la pochette de leur prochain disque, mais un retour en territoires plus nerveux sera(it) le bienvenu. Malheureusement, on n’aura eu que trois nouveaux titres pour se faire une petite (et encourageante) idée de ce qui nous attend. Et ceux-ci laissent plutôt penser que le prochain album ne verra pas le groupe trop quitter sa zone de confort.
Pour le reste, le concert de Bruxelles (comme tous les autres concert de la tournée en fait) aura pris des airs de best of cinq étoiles, Sigur Rós parcourant sa discographie de façon bien équilibrée, en prenant quand même soin d’éviter Von.
Et il n'y a pas à tortiller du cul : c’est d’une efficacité redoutable et il est même des moments où l’on en oublierait presque qu’on se trouve dans une salle aussi désagréable que Forest National. Après, on ne va pas non plus se leurrer : ce show-là est réglé comme du papier à musique et on sent clairement que Sigur Rós avance les yeux fermés, concentré sur son sujet. Cela donne un concert de très bonne facture. Mais la prestation terminée, le sourire aux lèvres, on se dit que certains soirs, quand tous les éléments se mettent en place comme par magie, ces gens-là doivent être intouchables et les frissons, permanents – ici surtout ressentis sur un "Popplagið" qui a bouclé la soirée de manière magistrale. Le public bruxellois aura dû se contenter d’un concert en mode « business as usual ». Heureusement pour nos yeux et nos oreilles, un Sigur Rós en pilote automatique est encore en mesure de mettre la pâtée à pas mal de groupes.