Sammy Decoster
Paris, La Maroquinerie, le 11 décembre 2008
Si certains clichés ont la peau dure chez les journalistes, qu'ils soient amateurs ou professionnels, qu'ils soient spécialisés dans l'analyse économique ou la critique rock, il en est un qui s'est forgé, au fil des années, une carapace, voire une armure indestructible, invariable et inoxydable malgré les changements de modes, de courants, malgré l'apparition de nouvelles têtes dans le paysage musical. Ce cliché, vous le voyez d'ici, est le suivant : le rock français, c'est de la merde. Oui, de la merde.
Entre musique sous influence trop visible et sans aucune originalité, paroles neuneu, chanteurs qui s'y croient et musiciens moyens, les analystes musicaux en ont mangé des vertes et des pas mûres depuis, disons, une bonne trentaine d'années. Voire. Bien sûr, il y a toujours des exceptions : Emilie Simon, Autour de Lucie, Dionysos, sans oublier, évidemment, la figure tutélaire, en l'occurrence Noir Désir. Bon, c'est vrai. N'empêche que le rock français, c'est globalement de la merde, à l'inverse d'ailleurs de son voisin, le rock belge, dont on salue unanimement l'ingéniosité et le talent (Ghinzu, Sharko, Girls in Hawaii, etc.).
Enfin, c'était. Car cette époque est finie, mes bons amis, oui, je vous le dis : j'ai vu ce soir, à la Maroquinerie, deux groupes français qui m'ont tout simplement fait manger mon iPod Touch rempli à ras bord de britpop et d'indie rock américain. Certes, il me suffit de réécouter un petit "Dondante" de My Morning Jacket ou un classique tel que "Powder Blue" d'Elbow pour mesurer à nouveau la distance qui sépare les meilleurs français des anglo-saxons. Cela dit, il faudrait être franchement de mauvaise foi pour ne pas voir les qualités de Revolver, d'une part, et de Sammy Decoster, d'autre part. Et pourtant, foi d'avocat, j'en connais un rayon niveau baratin et hypocrisie.
Revolver, comme son nom ne l'indique pas, est un groupe de trois jeunes parisiens, Ambroise, Christophe et Jérémie, manifestement fans de rock 60's, donc sous influence Kinks, Beach Boys ou Elvis Presley, d'ailleurs objet d'une jolie reprise ("Can't Help Falling in Love with You"). Malgré une prestation peut-être un peu trop propre, du genre premiers de la classe en représentation à la fête de fin d'année du collège (avec la famille venue applaudir les rejetons), nos amis sont parvenus à charmer l'audience présente ce soir grâce à leurs harmonies vocales réussies, leurs arrangements soignés et leurs jolies mélodies, effectivement parfois un peu pompées à la concurrence (Elliott Smith se retournerait dans sa tombe s'il entendait encore).
Par exemple, un titre comme "Do You Have a Gun", extrêmement efficace, repose à la fois sur la qualité de l'interprétation et la magnifique voix chaude et ensorcelante d'Ambroise - un vrai talent. La preuve qu'un manque évident de charisme n'est pas nécessairement nuisible, surtout lorsqu'il s'agit de plaire à une audience féminine assise en tailleur devant la scène. Bref, un gentil petit groupe vraiment surprenant, qui chante en anglais (avec quelques fautes et un accent français, mais bon) dont le premier album devrait sortir en début d'année prochaine.
Question charisme, Sammy Decoster joue clairement dans une autre catégorie. C'est bien simple, ce type est un ovni dans le paysage musical français. Oubliez tout ce que vous avez vu jusqu'à présent, sa présence sur scène (et dans la fosse !) enterre Bertrand Cantat ou n'importe quel autre gars un peu charismatique. Si Tucumcari, son premier album folk rock, sort le 19 janvier prochain (retenez bien cette date !), vous avez heureusement sa page MySpace à votre disposition pour écouter trois des titres qu'il a joués ce soir sur scène.
Point négatif : Decoster chante alternativement en anglais et en français, et malheureusement le syndrome "paroles débiles qui passent bien dans la langue de Shakespeare mais pas du tout dans celle de Molière" sévit ici également (mention spéciale au single "J'partirai me suicider à Hawaï", musicalement vraiment très bon, mais aux textes à la limite de l'extrémité de la bande blanche qui sépare la poésie du texte sans queue ni tête). Point positif : la voix de Decoster est exceptionnelle, aussi à l'aise dans les aigus que dans les graves, son groupe est excellent, sa musique explose tout ce qui peut passer à la radio actuellement pour remplir les quotas et les nombreux soucis techniques rencontrés ce soir (guitare débranchée, micro qui se fait la malle ou bien qui ne fonctionne pas) auront donné au set un aspect foutraque absolument délectable, d'ailleurs tout à fait en ligne avec la personnalité décalée et gentiment destroy de Decoster, qui n'hésite pas à balancer un "Vous êtes nuls en France !" à un public resté globalement immobile mais peu avare en applaudissements.
Bref, je n'en ai pas cru mes oreilles ce soir et c'est un autre cliché qui a, du coup, explosé en vol : assister à un concert tout seul sans sa +1 attitrée qui a préféré aller au ciné voir un film crétin peut être effectivement génial (oui, je me venge de cette trahison).