Run The Jewels
Le Pan Piper, Paris, le 27 novembre 2013
Mine de rien, El-P et Killer Mike ne déméritent pas: en dix titres d'un Run The Jewels bien branlé, ils ont réussi à s'imposer au beau milieu d'une année 2013 pourtant pas avare en disques qui feront date dans l'histoire du double H. Ils se sont même à ce point bien trouvés que cette première plaque a ravivé de vieux fantasmes auxquels on avait plus osé croire depuis la mise en standby d'OutKast, le tout allié à la puissance de feu d'une production indus qui n'a rien à envier aux ambitions arty de Yeezus. On est donc ravis d'apprendre que le groupe n'est pas prêt de se calmer, et surtout, qu'il se fende en attendant un peu de son frais d'une date parisienne. L'occasion rêvée pour constater que les deux potes disposent d'un capital sympathie aussi important que leurs bourrelets, et qu'ils ne plaisantent pas franchement avec leur divine marchandise. Heureusement d'ailleurs, parce qu'on était pas exactement venus pour enfiler des perles ou beurrer des sandwiches.
La soirée ne commençait pourtant pas sous les meilleures auspices: le Pan Piper n'offre pas de vestiaire. Il a donc fallu redescendre d'un cran l'incandescence qui nous animait, car la simple idée de devoir conserver manteaux et pulls le temps d'un concert a, il faut le dire, un peu déçu. Pour la fusion des corps, on repassera donc, mais pour tout le reste la salle a traité de façon princière le public de ce mercredi soir, grâce notamment à un soundsystem impeccable. Ajoutez une première partie qui l'était tout autant (admirable DJ Simsima qui a chauffé la salle pendant une heure avant de céder la place aux deux monstres) et le tour était le joué. Le reste ne fut qu'amour et violence: si les mecs se sont payés une entrée au son de "We Are The Champions" de Queen, on comprend très vite qu'ils n'ont pas traversé le globe pour venir blaguer. Tout au long des 75 minutes de show, ils n'ont eu de cesse de défendre leur projet avec fierté, chaleur et surtout une touchante humilité. Tout l'album passera à la casserole (seule "Twin Hype Back" manque à l'appel, remplacé au pied levé par "Tougher Colder Killer") et passé les quarante cinq minutes de set, on a fait le tour d'un disque qui tient toutes ses promesses en live et qui confirme tant l'exemplaire complémentarité des deux MCs que la solidité de leur projet. Même en enchaînant les morceaux dans leur ordre d'apparition au tracklisting.
Vous l'avez compris, le plat de résistance était déjà bien chaud. Mais le rappel, lui, sera carrément incendiaire. Plutôt sage jusqu'alors (bon tout est relatif évidemment), Killer Mike lâche le kraken et entonne son "Big Beast" avec la puissance d'un Fukushima et demi, avant de laisser El-P tirer la couverture de son côté. Tu le croyais fatigué de cet effort, et bien non: il profite que son pote enchaîne "The Full Retard", un freestyle des familles, puis un "Drones Over Brooklyn" pour se frayer un trajet à travers la foule. Tu te retournes et là voilà que cette brute épaisse se retrouve à t'agresser: une véritable attaque à mic armé dans les premiers rangs qui voit le bougre dégainer un "Reagan" d'anthologie, tout en bass drums en sourdine. Quand les lumières se rallument, le fou furieux a déjà pris la tangente direction les coulisses. Ne te reste plus qu'à toi, pauvre prolétaire, à prendre un Noctilien vers ta province paumée, en espérant que le froid apaisera un peu ta joue encore rouge...
Bonus track: revivez un petit bout du concert grâce à Mowno.