Pukkelpop 2013
Kiewit, le 15 août 2013
Le postulat de base est simple: que retenir de cette édition 2013 du Pukkelpop? Réponses en 10 points.
Que musicalement, ce ne fut pas vraiment une édition mémorable.
Entendons-nous bien, on ne s’est pas fait chier comme des rats morts au Pukkelpop, loin de là. Cette légère déception est peut-être également due à l’habituelle multiplication des scènes (elles sont au nombre de 8 à Kiewit) qui entraîne forcément son lot de choix impossibles. Parce que des concerts potentiellement biens, on en a raté un bon paquet : Girls in Hawaii, Godspeed You ! Black Emperor, Deftones, Nine Inche Nails, TNGHT, The XX, Eels, Low, Foals ou Crystal Castles figurent ainsi parmi la longue liste de trucs qu’on avait coché avant que l’organisation ne dévoile un horaire qu’on a rarement connu aussi pourri. Ajoutez à cela les annulations de Neil Young, Solange et Slayer, et c’est notre marqueur fluorescent qui avait mal à son petit cœur. Et donc, au beau milieu de ce joli bordel organisationnel, on a surtout assisté à des concerts de bonne facture, mais loin de nous avoir transcendés, retournés ou tout simplement émus. Et la liste des prestations bien sympathiques sans être renversante a été plutôt longue cette année : Savages, Mac Miller, Miles Kane, Allah-Las, Mala, Maya Janes Cole, !!!, Factory Floor ou Jagwar Ma ont tous livré des concerts auxquels il aura à chaque fois manqué ce petit truc en plus pour qu’on y consacre un papier en bonne et due forme.
Que BRNS deviendra très grand.
En même temps, cela fait suffisamment longtemps qu’on vous le dit. Alors que le groupe commence à percer en France et que son album est attendu, les quatre Bruxellois s’offraient un Pukkelpop . Et c’est assez exceptionnel pour un groupe situé du mauvais côté de la frontière de chicon, du moins aux yeux d’une organisation qui n’a jamais accordé beaucoup d’importance au rock wallon. D’ailleurs, dans une Wablief Tent où il n’aura jamais fait aussi chaud ce weekend, on ne parlait que peu le flamoutche. Mais qu’importe. Car BRNS a livré un concert intense et généreux, à l’image d’un EP qui va puiser dans le meilleur du rock indé américain et prend ses distances par rapport aux habituelles couillonnades pop-rock que l’on entend sur nos ondes.
Que Rone est une belle machine en live.
C’est vrai, une partie de la rédaction n’est pas tombée sous le charme du Tohu Bohu de Rone. Mais on savait le sieur Erwan Castex capable de renverser la vapeur en live et c’est exactement ce qu’il a prouvé au Pukkelpop. Pourtant, ce n’était pas gagné. Notamment parce qu’au même moment, le Marquee et la Main Stage faisaient le plein avec les Girls in Hawaii et FUN. En même temps, on sent clairement que la concurrence, Rone s’en balance à peu près au temps que sa garde-robe – c’est en tout cas ce que l’on s’est dit en le voyant débarquer dans un combo bermuda / t-shirt du plus banal effet à une époque où les dj’s/producteurs accordent une place énorme à leur look et à leur image. Mais voilà, à ce look un peu bancal, Rone oppose des visuels souvent magnifiques. Et si le show manque un peu de liant ou de transitions bien senties, la matière première est tellement retravaillée et malaxée qu’il en ressort un produit qui ne ressemble parfois en rien à ce que l’on peut entendre sur ses albums ou EP’s. Et rien que pour cela, on vous conseille fortement d’acheter vos billets pour la tournée en salle qui s’annonce à la rentrée.
Que le dubstep c’est fini. Place à la trap dans le cœur des jeunes.
Dans notre compte-rendu du Pukkelpop 2012, on épinglait la dubstep (cousin barbare et con-con du dubstep) comme l’un des grands perdants de l’édition. On peut carrément dire que cette année, le genre est tombé aux oubliettes. Fini (ou presque) les dégueulis de wobbles putassiers et les avalanches de claviers scandaleux. Aujourd’hui, ce que veulent les kids, c’est de la trap music mon bon monsieur. Et de le trap qui tabasse s’il vous plait. Aussi, cette année, la Boiler Room a encore une fois joué son rôle de tente la plus incroyablement décorée, mais au service de producteurs et dj’s pas vraiment emballants – et c’est un euphémisme. Et si l’année dernière on pouvait encore faire le déplacement dans l’énorme Boiler pour des gens comme Nina Kraviz, Len Faki ou Laurent Garnier (qui doivent avoir leurs entrées chez Live Nation, puisqu’à défaut de revenir au Pukkelpop en 2013, ils ont été parachutés à I Love Techno), on n’a cette fois à peine foutu les pieds dans l’endroit tant l’uniformisation des sonorités et le nivellement par le bas provoqué chez certains (putain, Just Blaze) ont été une source d’exaspération.
Que Waka Flock Flame et The Knife ont de loin livré les prestations les plus WTF.
Sur papier, rien ne réunit les Suédois arty de The Knife et le chien fou de Waka Flocka Flame. Pourtant, ce sont eux qui ont probablement livré les concerts les plus mémorables cette année. Procédons chronologiquement et commençons par Waka Flocka Flame, qui avait pour mission de réveiller le Dance Hall aux premières heures de l’après-midi. En se rendant dans l’énorme tente, on s’attendait à un show à la hauteur du personnage. Et on n’a pas été déçus. En fait on a assisté au genre de truc complètement improbable, absolument foireux sur papier, mais qui se révèle tout bonnement irrésistible malgré une interprétation hasardeuse. Entre un Waka Flocka Flame qui a passé une moitié du concert à chanter dans le public, des hordes d’ados qui perdent la boule sur des prods trap qui se ressemblent toutes, un homie posté sur scène qui a passé le plus clair de son temps à prendre des photos avec un iPad, un dj torse-nu sur une table qui lançait des morceaux à l’arrache sur son MacBook (sans oublier d’appuyer comme un dérangé sur les touches activant les sons « Brick Squaaaaad » et « click boom ») et un pauvre kid du public qui a été invité à rapper sur scène avec Waka (et à porter sa chaîne autour du cou), rien ne nous a été épargné. En même temps, qu’est-ce qu’on a kiffé. De kif, on ne sait pas encore si on doit en parler au sujet de The Knife. C’est sans savoir à quoi ressemblait ce fameux spectacle dont beaucoup de monde parle que l’on a investi un Marquee qui était finalement peu rempli au regard de l’engouement qui entoure le groupe. Alors si on veut faire simple, on peut résumer les 70 minutes de prestation (précédées d’un cours d’aérobic pro-Pussy Riot) comme suit : si un pote vous avait demandé si ça vous intéressait de l’accompagner à un spectacle de danse contemporaine, vous l’auriez probablement envoyé chié. Pourtant, c’est bien ce à quoi on eu droit. Une prestation qui fait passer la musique au second plan. On peut même se demander si les micros étaient branchés puisque différents intervenants se sont relayés pour interpréter des titres tirés de Shaking the Habitual – et non, ils ne pouvait pas y avoir trois imitatrices de la voix de Karin Dreijer-Anderson sur scène. Peu importe, on doit bien reconnaître avoir été soufflé par la puissance évocatrice d’un spectacle qui est en fait le complément idéal d’un double-disque aux portées politiques indéniables. C’est d’ailleurs à se demander si les Suédois n’auraient pas dû d’abord présenter le spectacle, et ensuite défendre Shaking the Habitual comme sa bande-originale. Cela aurait au moins eu le mérite d’éviter les interrogations et la confusion lors de la sortie du disque.
Qu’on ne voudrait pas être à la place de ceux qui ont claqué 60 EUR pour aller voir Eminem au Stade de France.
Oh putain les Parisiens, on a mal au cœur pour vous. Parce que franchement, si le concert que s’apprête à donner Eminem au Stade de France est du niveau de celui du Pukkelpop, on a qu’un conseil : arrivez suffisamment tôt sur les lieux pour assister aux prestations de Earl Sweatshirt, Tyler the Creator et Kendrick Lamar. Eux au moins ont sorti des bons disques récemment, et sont connus pour faire le taf sur scène. Parce que le Marshall Matters, s’il a été intouchable à une époque, n’est plus que l’ombre de lui-même ces derniers temps. D’ailleurs, l’immensité du display scénique a vite résonné comme un gros paquet de poudre aux yeux. Derrière un son trop XXL pour être honnête et ce live band qui en fait des caisses (tellement d’ailleurs qu’on ne l’entendait pas) se cachait toute la vacuité et le burn out d’un type qui est aujourd’hui juste bon à cachetonner sur une gloire passée. Triste.
Que The Bronx sait toujours autant le foutre, le bronx.
La dernière fois que l’on avait croisé The Bronx au Pukkelpop, c’était en 2004, et on avait pris une sacrée claque. On se rappelle encore du hurlement primal de « Heart Attack American » - le genre d’agression sonore qui t’oblige à acheter le disque dès ton retour à la maison, de peur que le chanteur ne vienne égorger tes vieux et violer ta copine si tu ne t’exécutes pas fissa. Presque 10 ans plus tard, le groupe de L.A. n’a rien perdu de sa brutalité et l’a prouvé devant un public malheureusement clairsemé – concurrence avec NIN oblige. Cinquante minutes pour enclencher la mécanique de l’enfer, faire tourner à plein régime la machine punk-hardcore devant un public d’arrachés du bulbe prêts à en découdre, tous poings devants. Une énergie dingue au service de compositions qui n’ont jamais cessé de nous séduire. Une générosité de tous les instants. Un plaisir qui a tout le temps semblé partagé. Un véritable bonheur.
Qu’à Kiewit, Kendrick Lamar était bien loin de la polémique.
Ce weekend, la toile n’a parlé que de ça : les vers controversé de Kendrick Lamar sur le « Control » de Big Sean. A Kiewit, le emcee de Compton semblait bien loin de tout cela. Certes, il n’a pas pu s’empêcher d’esquisser un sourire complice en voyant brandi au premier rang un panneau portant l’inscription « King of New York », mais pour le reste, il n’a jamais été fait mention de cette sortie remarquée, pas plus qu’elle n’aura été jouée par le groupe qui accompagnait KL. En même temps ce n’est pas trop grave : Kendrick Lamar n’avait que 50 minutes pour convaincre, ce qu’il a fait sans devoir trop forcer son talent. Les meilleurs titres de son Good Kid m.a.a.d City y sont passés, et il s’est même permis un petit « Fucking Problems », sans A$AP Rocky et Drake forcément. Finalement, le mec devait peut-être se dire que vu le tintouin déclenché par quelques mesures quelques heures plus tôt, c’était peut-être en Europe qu’il était le mieux.
Qu’on ne se remet toujours pas du bide qu’a représenté le concert de Danny Brown.
C’est assez simple, la déception occasionnée par le concert du emcee de Détroit a été à la hauteur des attentes générées par une mixtape incroyable et un sacré paquet de titres ou apparitions censés mener à la sortie d’un nouvel album pour Fool’s Gold d’ici peu. Mais au final, de ce concert de Danny Brown, on ne retiendra pas grand chose : l’immonde chemise de son DJ, sa capacité à tirer la langue à peu près toutes les deux minutes, et sa volonté de faire tellement péter les infrabasses qu’on a dû à plusieurs reprises ramasser nos sphincters, qui s’étaient désolidarisés de nos corps. Pour le reste, on n’a rien entendu, si ce n’est un flow nasillard incompréhensible sur fond de bouillie sonore. Le pire, c’est que Danny Brown avait l’air de trouver ça cool et de s’amuser comme un petit fou…
Que Crystal Fighters est bel et bien l’une des plus belles machines scéniques qui soit.
Si l’on peut trouver la musique des Crystal Fighters chiante sur disque et abhorrer leurs looks de manouches, il est par contre bien difficile de résister à l’expérience scénique. En même temps, la réputation qui précède le groupe est flatteuse et on comprend tout à fait pourquoi les organisateurs du Pukkelpop leur ont confié la clôture du Club le jeudi : les Anglais savent se foutre un public en poche en quelques accords à peine et ensuite faire en sorte que jamais l’ambiance ne basse d’un poil. Et on en eu une nouvelle preuve à Kiewit : ce jeudi soir c’était la fête du slip et il fallait être un sacré pisse-froid pour ne pas reconnaître le talent du groupe à te foutre une tente de 8.000 personnes sans dessus dessous.