Porridge Radio
Le Sonic, Lyon, le 16 novembre 2022
Était-ce vraiment le remous de l’eau qu’on a senti pendant le concert ? Il faut dire que j’ai moi-même eu un haut-le-cœur en arrivant sur le péniche. Une petite houle intérieure créée par l’écart flagrant entre la réalité que je m’invente à chaque fois que je dis « ouais, le Sonic, j’y vais tout le temps », et celle qui me frappe quand j’ai posé le pied sur le ponton et que je me suis rendu compte que je n’étais pas venu depuis un an.
Pourtant, les années passent et rien ne change au Sonic. Les travaux et coups de peinture successifs stabilisent plutôt le souvenir qu’on s'en fait concert après concert. Pour celles et ceux qui n’en ont jamais entendu parler, le Sonic est une péniche située derrière la gare de Perrache à Lyon, dans l’ombre d’un échangeur d’autoroute. Et si la situation ferait de n’importe quelle salle un no-go absolu, l’histoire de ce lieu et la façon avec laquelle il se tient à la pointe des musiques actuelles en font une des plus légendaires salles de France. Si bien que n’importe quel groupe qui ferait une salle plus importante sur Paris ou Bruxelles peut se retrouver à jouer devant trente ou quarante personnes sur les bords de la Saône lyonnaise. Pas uniquement parce que c’est le seul endroit où jouer dans une des plus grosses villes de France, mais aussi parce que c’est un passage obligé pour beaucoup.
Voilà comment on peut voir Porridge Radio sur une péniche qui, de l’extérieur, ressemble à un de ces bars étudiants qui flottent sur le Rhône. Le fer de lance de l’indie rock à la sauce Brighton venait présenter son dernier album, Waterslide, Diving Board, Ladder To The Sky. Dans une salle conquise et complète depuis des semaines, les quatre anglais·ses ont pu rappeler à tout le monde à quel point ils savaient faire des tubes. Des tubes qui fonctionnent sur disque, et qui prennent une autre dimension sur scène. On pense à « The Rip » ou « Jealousy », qui ont tout pour devenir de petits monuments de l’indie du 21e siècle, ou à un « Birthday Party » qui a fait chavirer les cœurs des quadragénaires venus hurler « I don’t want to be loved » un mercredi soir pendant que la petite est chez mamie. C’est que Porridge Radio a quelque chose d’anachronique, a replonger aussi anhypothétiquement dans ce rock hérité des Pixies et des Arctic Monkeys. Pourtant, à aucun moment le quatuor ne se pense comme un propos sur le revival.
Même si les trois frontwomen ont l’air très jeunes (on voit peu le batteur depuis le public), ce sont en réalité juste des quasi-trentenaires qui ont grandi avec cette musique et qui ont probablement mis le doigt sur quelque chose : y a-t-il un genre aussi émotionnellement déchirant que celui-là ? Dans les textes chantés par la très charismatique Dana Margolin, l’amour et l’amitié vivent à cœur ouvert, un sourire en coin ensanglanté, et avec un regard acerbe sur les relations humaines. Sur scène, Porridge Radio reprend la panoplie de l’éthos de l’indie made in uk : pas de discussion avec le public, un sérieux qui ne pourra être percé que par un cinquième degré, et une voix qui semble tout faire pour se briser elle-même. Un sérieux qui n’est pas que de façade, puisqu’on notera la performance de Georgie Stott, la claviériste, qui, par son passage de l’orgue du disque à du synthétiseur plus 80’s et par son impeccable partie vocale, montre à quel point le groupe ne pourrait pas exister sans elle.
En somme, Porridge Radio a fait ce qu’on pouvait attendre de mieux pour de l’indie rock en 2022 : nous rappeler que le genre ne doit pas mourir. Dana Margolin a bien essayé de nous faire croire qu’elle avait le mal de mer, on avait bien envie de lui rappeler que, puisque la péniche ne bouge pas, c’était simplement le vague-à-l’âme d’un rock qui seul sait écharner les cœurs de cette façon.