Concert

Outbreak Fest 2024

Manchester, le 29 juin 2024
par Jeff, le 10 juillet 2024

Un petit crachin gris, des canettes vides de Chardonnay qui gisent sur la tablette du train, des abeilles collées partout sur les vitrines… C’est dans toute sa majestuosité que Manchester nous accueille en ce dernier weekend de juin pour la douzième édition de l’Outbreak Fest. 

Devenu le lieu de pèlerinage ultime pour tout•e hardcoreux•se en recherche d’expérience transformatrice, le festival profite de l'engouement autour de formations comme High Vis ou Turnstile pour attirer son lot de nouveaux disciples alléchés par une affiche qui, tout en conservant sa poigne hardcore, vient déborder sur celles de festivals plus généralistes - en témoignent les présences cette année de Soccer Mommy ou Mannequin Pussy. Ainsi, l’événement est désormais au punk et au hardcore ce que le Primavera Sound est à la musique indépendante (et la mauvaise gestion d'un bar) : une référence mondiale. 

Et pour nourrir une réputation, rien de tel que d’ancrer ses propres traditions. Il sera donc d’usage de se jeter sur l’avant-scène (spécialement montée à cet effet) afin d’y exhiber sa démo de two-step, de hurler son bout de lyrics dans le micro du chanteur ou d’ouvrir vaillamment la fosse afin que les plus téméraires puissent y gambader en toute liberté. Après la pinte de cidre et le fish & chips de rigueur, nous gagnons donc la B.E.C. Arena qui, loin d’être un fleuron de l’architecture locale (quatre plaques en tôle, un toit, un sol bétonné), remplira parfaitement sa mission au cours des deux prochains jours : contenir un nombre record de décibels sans craindre d’importuner les riverains. 

Pour accéder à cet entrepôt aussi laid que fonctionnel, il vous faudra tout de même débourser environ 180€ pour le pass de 2 jours. Si cela ne semble pas excessif compte tenu de l’ampleur du festival et de la qualité de l’affiche (nous y reviendrons), on ouvrira tout de même le portefeuille en serrant les mâchoires sachant que le pass de l’année dernière revenait à 150€ pour les 3 jours. Cette hausse significative du prix du billet s’explique entre autres par la nouveauté évidente de cette édition 2024 : une grande scène extérieure toisant les food trucks vegans dans le fond de la cour et complétant ainsi les deux scènes intérieures qui, l’une toutes lumières allumées et l’autre noyée dans les projections épileptiques, continuent à entretenir la proximité et le chaos indispensables à ce type de réjouissances. Pour avoir passé l’entièreté de notre précédent Outbreak dans un trou noir à palper nos tympans sifflant comme une vieille bouilloire, cette scène en plein air aligne une série d’avantages fort appréciables. 

 

Tout d’abord, on respire. Sous la pluie, certes, mais on privilégiera toujours l’oxygène au confort. Ensuite, un revêtement antidérapant qui évite les grands écarts malencontreux. Ceci dit, on ne donne pas cher de ton épiderme si tu négocies mal l’atterrissage de ton stage dive. Enfin, on ne peut que saluer une programmation intelligente qui a réservé cette scène principale aux noms calibrés pour la maîtriser. Qu’il s’agisse de Ceremony, Angel Du$t, Joyce Maynor ou Fiddlehead, les groupes envoyés au front nous ont tous démontré qu’ils bénéficiaient de la notoriété nécessaire pour mobiliser les foules, quelle que soit leur heure de passage. Le signal envoyé est limpide : le hardcore n’est plus une musique de niche..

En terme d’ambiance générale, on constatera que la courtoisie et la bienveillance sont de mise et c’est on ne peut plus reposant entre deux cataclysmes sonores. On ne resquille pas dans la file du bar, on s’excuse lorsqu’on se déplace à travers un public tassé et on se refile du papier cul entre les cabines à grand renfort de « luv » et « dôrling ». Cet état d’esprit peinard est à la fois relativement attendu de la part de la communauté hardcore et toujours amusant à relever lorsqu’on observera les mêmes gars se tamponner furieusement dans le pit quelques minutes plus tard.

Les rétines ont également droit à une pause puisque, hormis quelques annonces furtives sur les écrans entre deux concerts, aucune publicité intempestive ne vient les solliciter. À l’inverse des festivals habituels, vous ne trouverez ici aucun sponsoring outrancier ni de scène baptisée Aperol Spritz. Si ce genre de positionnement est intrinsèquement lié à l'histoire du mouvement hardcore, on sera éternellement reconnaissant à l’orga de pouvoir passer le weekend à l’abri des enceintes d’une nième réincarnation du tristement célèbre Joe Piler Saloon. 

 

Participant tout autant à la sérénité du festival (et sauvant de nombreux inconscients d’une commotion cérébrale certaine), on se doit de souligner l’intervention impeccable de l’équipe de sécurité, un point essentiel dans un événement comme celui-ci. Cela fait plaisir de voir qu’il s’agit probablement d’un des aspects sur lequel l’organisation est - à juste titre - la plus sensible. HoodSoulja Protection, la boîte en charge, est une référence en la matière au Royaume-Uni et un rapide petit tour sur leur compte Instagram permet d’avoir un aperçu de leur impressionnante carte de visite. Chaque scène a ses spécificités (les foules immenses qui se précipitent sur scène pour la principale, l’obscurité pour la seconde et la brutalité des échanges en fosse pour la troisième) et à chaque fois, le personnel s’adapte et prend les bonnes décisions. Discrets et efficaces, ils se sont révélés cruciaux pour la sécurité du public et des artistes.

Alors oui, au bout de 48 heures, vos articulations vous feront forcément un peu souffrir. Parce que vous avancez petit à petit dans votre quatrième décennie (comme nous) ou qu’un gros gabarit un peu trop exalté vous aura éclaté la rotule avec un surprenant coup de pied retourné. Dans tous les cas, vous ne vous en plaindrez pas. L’atmosphère agréable guérit rapidement les blessures de guerre et il n’y a aucun risque de s’ennuyer avec des concerts qui durent rarement plus de 30 minutes. Malgré un enchaînement plus tendu qu’un débat Mélenchon - Bardella, nous sommes tout de même parvenus à couvrir la quasi-totalité de notre programme dont on vous partage ci-dessous cinq morceaux de choix. 

 

MINDFORCE 
Pour quantifier l’engouement entourant une performance à l’Outbreak, il ne faut pas se limiter à la densité du public ou au nombre de rotations par minute des meilleures mosheurs en présence, il faut aussi tenir compte de la présence d’autres musiciens et invités aux abords de la scène. Et à ce petit jeu,les Américains de Mindforce ont remporté la timbale avec un arrière-plan plus chargé qu’une collection printemps-été de Desigual. Il faut dire qu’avec la sortie du monstrueux Excalibur en 2018, le groupe new-yorkais est directement entré au panthéon des plus importantes formations hardcore de sa ville. Par ailleurs, il s’agissait du premier concert de Mindforce sur le sol anglais, qui a logiquement déployé une énergie qui n’a eu d’égal que la vigueur des cabrioles du public - avec à la clé des températures tropicales sur la grande scène intérieure et un revêtement plus piégeux qu’une question de culture générale à Miss Belgique. Ce concert de Mindforce, cela faisait des années que la communauté de l’Outbreak le demandait à corps, à cris et à coups de pied retournés, et le groupe a vite compris qu’il ne se contenterait pas d’une prestation en pilote automatique. Alors ces trente minutes se sont déroulées pile comme on se les était imaginées - ce fut tout simplement dantesque - pour se terminer sur un “Excalibur” en forme de communion. “One for the fookin’ books” comme on dit ici.

GOUGE AWAY
Ces dernières années, on a pu voir Christina Michelle accompagner à la basse le groupe de shoegaze Nothing, également présent cette année à l’Outbreak pour célébrer les 10 ans de son album Guilty of Everything. Mais pour cette tournée, elle avait bien mieux à faire : retrouver son bébé Gouge Away, qui aura mis six ans à donner une suite à Burnt Sugar; l’élu se nomme Deep Sage et on a beaucoup aimé. Mais ce qu’on a encore plus aimé, c’est sa déclinaison scénique, féroce et implacable. On sait que dans un festival comme l’Outbreak, l’énergie d’une prestation peut suffire à satisfaire le public, moins regardant sur la précision de l'exécution ou la justesse du chant. Mais c’est sur ce dernier point que s’est concentrée la force de frappe de Christina Michelle, dont la prestation fut tout simplement l’une des meilleures du festival. La capacité de l’Américaine à assurer les transitions entre passages chantés et hurlés est bluffante, et celle de son groupe à se mettre au diapason l’est tout autant. Accessoirement, avec ce concert inoubliable, Gouge Away aura su démontrer qu’il y a une place pour les femmes à l’Outbreak - sur la scène comme dans la fosse où on a croisé de sacrées guerrières. D’ailleurs, même si la parité n’est pas pour demain, il faut quand même se féliciter que l’organisation ait fait un effort notable d’inclure pas mal d’artistes féminines à son line-up, et à ne pas leur réserver les slots les plus ingrats. En même temps, des prestations comme celles de Gouge Away, Taqbir ou Mannequin Pussy étaient là pour nous conforter dans notre envie d’exiger à l’Outbreak de continuer à œuvrer dans cette voie. 

 

 

CEREMONY
Encore aujourd’hui, la page Wikipedia de Ceremony en fait un groupe “punk”. Une affirmation qui a pu se vérifier jusqu’en 2010 avec la sortie de Rohnert Park, album devenu classique et qui n’a rien perdu en puissance et en pertinence presque 15 ans plus tard - on l’a vu quand les premières mesures de “Sick” ont affolé les sismographes. Mais voilà, depuis, le groupe californien s’est surtout employé à brouiller les pistes, allant piocher dans le post-punk (The L-Shaped Man), le garage rock (Zoo) ou la synthwave (In The Spirit World Now). Et cette diversité, assez unique dans le punk hardcore, on se l’est prise de façon frontale lors d’un concert qui aura tenu toutes ses promesses. Au cours de la quarantaine de minutes qui leur était réservée, les Californiens ont assumé leur statut, celui d’un groupe exemplaire dans son engagement et son songwriting, et qui a certes ralenti la cadence avec le temps, mais continue d’afficher une vitalité et une pertinence remarquables. Au milieu d’un concert ayant oscillé entre maîtrise et chaos, le chanteur Ross Farrar a remercié un public qui suit religieusement le groupe depuis 20 ans, nous assurant qu’ils étaient repartis pour 20 années de plus. On veut y croire.

CHAT PILE
Tout festival qui se respecte doit avoir dans son line-up une formation dont la présence interroge - apparemment, c’est statutaire. Et cette année, c’est à Chat Pile qu’est revenu cet honneur. Entendons-nous bien, avoir lancé une invitation à la formation sludge/doom d’OKC avait du sens : d’abord, ils sont aussi rares sur le Vieux Continent qu’un match enthousiasmant de l’EDF à l’Euro ; ensuite, leur God’s Country est un disque tellement frontal et ambitieux qu’on imagine qu’il a autant tourné sur les platines des programmateurs de l’Outbreak que celles de la rédaction. Placé très haut dans l’affiche, le groupe a forcément hérité d’un joli slot le samedi. Mais comme on pouvait s’y attendre, le public ne s’est pas déplacé en masse pour assister à ce qui restera pourtant l’un des moments forts de cette édition - il voulait probablement reprendre des forces entre les concerts de Basement et Have Heart, certainement les plus attendus de la cuvée 2024 et pour lesquels la grande scène extérieure était pleine à craquer. Une chose est sûre : les quatre loustics de Chat Pile ne s’en sont pas laissé compter et ont livré un concert à la hauteur du matériel de base - pesante et anxiogène donc -, et en ont même profité pour dévoiler un titre inédit à figurer sur un nouvel album qui devrait sortir avant la fin de l’année.

 



TOUT CE QU’ON A VU SUR LA TROISIÈME SCENE
Si vous aviez envie de vous trouver une bonne raison de passer quelques heures sur la table de votre ostéo préféré, la troisième scène de l’Outbreak était the place to be : un espace suffisamment restreint pour avoir l’impression d’être dans le clip de “See You All”, un éclairage au néon blanc pour pouvoir anticiper les coups de savate des meilleurs spinkickeurs du Greater Manchester et des sets de 20 minutes au cours desquels public et artistes développent plus de watts que Pogacar dans le Galibier. Vu la richesse de l’affiche (et le besoin de respirer régulièrement un peu d’air frais), on n’y a pas passé le plus clair de notre festival mais ce qu’on y aura vu ne nous aura jamais déçus. On a fort envie de vous parler de BIB, mais on a perdu toute objectivité avec ce groupe qui développe une proposition unique dans le punk hardcore et qui nous encore donné envie de traiter notre prochain avec autant de déférence que Nigel De Jong croisant par pur hasard la poitrine de Xabi Alonso. Alors on utilisera le peu d’énergie qui nous reste pour vous dire tout le bien que l’on a pensé de Northern Unrest. Trois heures de route à peine séparent Manchester de Glasgow, ville écossaise d’où le collectif planifie méticuleusement son invasion du continent européen à grand renfort de singles, splits et EPs. Conscient de la hype entourant cette joyeuse bande de broyeurs de cervicales, et parce que de toute façon à peu près tous les groupes NU partagent le même batteur, c’est grosso modo toute la clique qui  avait été conviée à démonter la troisième scène jusqu’au dernier boulon le dimanche. Des hostilités débutées en milieu d’après-midi qui se sont terminées sur le concert cataclysmique de Demonstration of Power - oui, tout est dans le nom au cas où vous vous poseriez la question. Mettre des mots sur ce qui vous tombe sur le cocotier avec ces types est inutile, alors foncez sur leur Bandcamp, et ne nous remerciez pas.


Les photos de Ceremony, Have Heart, Mannequin Pussy sont signées Nat Wood. Celles de Mindforce, Chat Pile et Angel Du$t (photo d’illustration du compte-rendu) sont signées Anna Swiechowska. Go follow.