Médine
Le Transbordeur, Villeurbanne, le 21 septembre 2023
« Quand je serai grand, je veux être dresseur de cirque / Faire asseoir les lions et dresser le public »
Quel show étonnant. Du début à la fin de cette soirée de semaine au Transbordeur de Villeurbanne, on est allé de surprise en surprise, dans un Vendée Globe émotionnel assez intense. Déjà la bonne surprise, puisque dès les premiers instants du concert, on assiste à une démonstration de force directe de la part de Médine et de son public. En trio sur le plateau avec deux musiciens live (batterie et synthé/machines), le combo trouve sa qualité dans cet équilibre entre des sonorités modernes et la visualisation très boom bap de leur jeu. Médine est un « ancien » du rap français, mais n’a jamais refusé l’évolution. C’est pourquoi on le verra autant reprendre son featuring avec Booba (« KYLL ») que celui avec Bigflo et Oli (« Tête à coeur »). En vingt ans d’exercice, Médine a soudé un public qui l’a suivi avec beaucoup d’application, et ça jump, ça connaît les morceaux, à la manière du public d’un Hugo TSR – assez semblable en pas mal de points d’ailleurs.
« T’es ma Houri, je t’aime à mourir »
Sauf que cette application, elle n’est apparemment pas suffisante. Au bout de quatre ou cinq morceaux et des échanges assez drôles avec le public, Médine se montre complètement déçu. Sans qu’on comprenne vraiment pourquoi, l’énergie que les gens parviennent à mettre un jeudi soir ne lui suffit pas, et dans un chantage affectif, décide de transformer le concert. « Si vous continuez, je vais passer en Cheb Médine ». Alors il s’exécute, sort un micro kitch et quitte un instant les instrus de kicker pour son second visage, celui du crooner. Et le public, qui connaît toujours les paroles, chante avec lui le très mignon « Houri », et... se fait reprendre. « Ah, ça, vous aimez bien ? ». Au-delà du paradoxe qu’il y a à dénigrer le goût de la foule pour ses propres morceaux, on sent qu’une certaine incompréhension s’installe dans la salle.
Et puis les lumières se rallument, le trio quitte la scène. « Ciao Lyon-Villeurbanne ». Dans un élan d’amour et de culpabilisation, le public en redemande, et le concert reprend. Pour bien clarifier le propos : s’il s’agit d’une technique de motivation du type « j’entends rien Lyon ! », pourquoi pas, mais c’est poussé à un niveau qui m’a personnellement semblé contre-productif. Si ce n’est pas une stratégie mais un élan honnête d’un artiste qui sait qu’il mérite plus, on peut respecter, mais on peut également considérer que c’est aussi à l’artiste de mettre le public dans le show. On rappelle qu’une place au Transbordeur, c’est une trentaine d’euros.
« La puissance du port du Havre »
Et le concert a repris, comme si de rien n’était, avec un public qui s’est repris un coup de chaleur, et un Médine toujours brillant en terme de présence. « La puissance du port du Havre », « La France au rap français », et d’autres titres qui ont de quoi retourner n’importe quelle salle de l’hexagone, ont fusé dans une deuxième partie de live qui valait clairement son prix. Et qui a permis d’entamer une dernière partie pour le moins improbable : dans son humour et son auto-dérision, Médine s’improvise présentateur d’une hypothétique émission de télé intitulée « N’oubliez pas les lyrics ». L’occasion de faire passer les gens du public sur scène, en reprenant chronologiquement ses plus grands titres depuis 2005. Une vraie bonne idée pour une ambiance qui avait complètement shifté, mais on commençait à avoir l’habitude.
« Je fais pas des concerts je fais des meetings »
Cette possibilité de variation des tons scéniques mais aussi cette unité du public, c’est une cohérence qui tient fondamentalement à l’aspect politique de la musique (et des concerts) de Médine. Rappeur engagé, figure importante de la scène musicale antifa, il avait d’ailleurs ce jour-là encore subi une attaque fasciste par des tags néo-nazis retrouvés sur le Transbordeur le matin. Il n’est pas rare que les slogans politiques fusent pendant le live, et tant les passages les plus chauds que les plus intimistes (comme le très beau « Grenier à seum »), tirent leur énergie d’un projet commun. Mention spéciale au drapeau « Justice pour Nahel » que des membres de la Jeune Garde ont fait passer à Médine sur scène.
L’énergie fabuleuse qui sort de sa performance et de l’unité politique du public pourrait en faire un des meilleurs shows rap de notre époque, parce que ça fait plusieurs années qu'on n'a pas vu un live de rap "conscient" aussi convaincant. On en ressort tout de même avec un petit goût amer, la sensation qu’une plus grande confiance accordée à son public pourrait renforcer tout ce plaisir.