Les Nuits Bota : All Access
Botanique, Bruxelles, le 4 mai 2024
Si vous êtes un régulier du Botanique et de ses Nuits, vous avez probablement déjà été frustré de ne pas avoir la possibilité de sauter dans la salle d’à côté pour voir comment ça se passait là-dedans. La curiosité est toujours trop forte. Mais nous avons été entendus : pour la première fois, l'équipe a décidé de jouer la carte du All Access, soit un jour entier où trois salles et le chapiteau servent de scènes que le festivalier d’un jour a la possibilité de visiter sans discrimination. Au service de l’initiative : une programmation éclectique et internationale qui contraste fort avec les soirées résolument thématiques, mais aussi sacrément portées sur la jeunesse, qu’on a pu voir au sein du programme des Nuits 2024. Est-ce que la journée All Access avait un vrai parfum de festival dans un festival comme elle nous l’était présentée ?
Malgré toute la bonne volonté du monde, on a loupé La Sécurité malgré les bons échos. Une prochaine fois les gars. On commence donc dans le Museum avec Radio Hito, le projet clavier-voix de Zen My Nguyen, soutenu par l’excellent label Kraak. Chantant en italien (j’ai l’impression), celle-ci alterne entre casio portable et piano à queue au milieu des nuances de vert. C’est sublime et simple. On attend avec impatience son prochain album.
Première grosse claque de la journée, les Lambrini Girls jouent les têtes d’affiche avant l’heure sous le chapiteau dans le parc du Botanique. Avec une énergie qui restera inégalée le reste de la journée, le trio punk rock offre un spectacle sans compromis, avec un déluge de guitare, une batterie démoniaque et une chanteuse incroyable, Phoebe Lunny, qui garde un contrôle absolu de la salle, séparant la foule à plusieurs reprises. Sans compromis politique, les Lambrini Girls listent les ressources pour venir en aide à la Palestine et donnent leurs préconisations sur différents sujets féministes.
Pour ménager les petites jauges, le programme type de la journée propose la possibilité de choisir une des trois salles intérieures entre chaque concert unique sous le chapiteau. Quand on ne sait pas où aller, il est facile de passer de salle en salle pour prendre le pouls de chaque concert. Ici, un duo batterie-machine à l'ambiance nü-metal (Youniss); là, Mayssa Jallad qui chante les malheurs et les joies du Liban.
Retour au chapiteau avec Mandy, Indiana qui pâtit forcément de la comparaison avec les Lambrini Girls. Ce n’est pas en place, le batteur n'est pas très bon mais la chanteuse, française, est incroyable, continuant sur le thème de rage féministe. Hotline TNT à l’Orangerie, c'est l’Amérique. Casquettes de camionneur, chemises en flanelle, tee-shirts oversized, tatouages sur les avant-bras musclés et le chanteur, Will Anderson, qui perd ses cordes une à une pendant la première moitié du concert. L’Orangerie pâtit de la différence de son avec le reste des salles, ça manque de basse mais ce n'est pas forcément ce qui est le plus demandé pour Hotline TNT. Un chant emo, des solos qui sentent le Midwest, un batteur qui tire vers le hardcore, c’est rock'n'roll malgré le pire public de quarantenaire mous du genou.
Après un bol de riz à neuf balles, c’est l’heure de l'héroïne régionale. Après un an de tournée dans des salles et des configurations variables, le Charlène Darling Groupe est ici bien en place et en configuration complète, à cinq. Les morceaux longs et vaporeux comme « Abril Terra » vont tirer vers le Velvet Underground. La musique a pris de la bouteille. Sur « Disparaît », la composition en devient plus complexe contrastant avec le riff principal au clavier midi. On entend un peu de dub sur « Tout s’efface ». Point magnétique au centre de la scène, Charlène Darling se positionne en bandleadeuse compétente et narratrice tragique.
On passera vite sur Actress dans le chapiteau avec son long démarrage ambient pas forcément propice au mode festival. Et c’est encore un groupe local qui fait le buzz sous les verrières, où les gens se pressent déjà pour voir le nouveau set de Fievel is Glauque. Encensé par Pitchfork et Stereogum, le groupe de Zach Phillips (originaire de Brooklyn) et Ma Clément (maintenant à Bruxelles) est attendu au tournant. La Rotonde est comble avec autant de musiciens sur scène que dans le public. Tout le concept de Fievel is Glauque consiste à effectuer de manière parfaite de courtes chansons pop d’une beauté simple et d’une complexité affolante. Il y a mille niveaux de lecture et ce soir il n’y aura que des nouveaux morceaux : un «Roll Tide » énergique, un « Princess » qui vire au surf rock. Devant son Yamaha jonché de feuilles d’accords, de tons, de textes, Zach Phillips invite ses musiciens à faire des transitions courtes car il n’y a pas le temps de niaiser. Ils sont huit sur scène avec la crème de la crème de la scène jazz bruxelloise: Anatole Damien, Sylvain Haenen, Gaspard Sicx, Lou Wery ou encore Lucien Fraipont, le guitar hero local qui officie sous le blaze de Robbing Millions et qui conclut souvent ici les morceaux. La chanteuse Ma Clément, dont la voix rappelle inévitablement Laetitia Sadier, occupe chaque moment possible et fait monter sa voix comme une flûte (alors qu’il y a DEJA une flûte traversière sur scène). Un glorieux miracle qui finit sur une reprise de « Somebody Got Murdered » des Clash. On attend leur prochain album, manifestement en cours d’enregistrement à Volta, à sortir sur le label américain Fat Possum.
On enchaîne avec James Holden, la tête d’affiche de dernière minute qui a remplacé Beak> obligés d'annuler pour raison médicale. Dans le chapiteau humide et froid, après une journée de pluie sans interruption, Holden est bien installé en mode gros babos, une nappe psychédélique sous les synthés modulaires et son copain aux percus exotiques. On va se l’avouer : il manque un peu de soleil pour apprécier son électro évolutive qui enchaîne flûte, clochette et techno d’Ibiza. C’était le dernier concert sous un chapiteau déjà à moitié vide, il ne reste qu’à choisir son ambiance pour la fin de soirée.
La plupart du public fait déjà la queue pour bar italia, le groupe de jeunes londoniens à la mode. Malheureusement, c'est abyssal de nullité. A la place, on pouvait aller voir Nah à la Rotonde. Le bruxellois survolté a branché des capteurs midi sur une batterie sommaire qu’il maltraite à toute vitesse. Une sorte de Lightning Bolt avec des pads. Le tout devant une projection géante d’images d’actu trafiquées (volées ? IA ? qui sait…). Le plus rigolo restant les petits tours de scène que Nah fait après chaque morceau en mode étirement et relâche de la pression.Dans le cosy Museum, le parisien Zulu s’occupait de finir les festivaliers d’un jour avec son sampler qui chauffait. Un set incroyablement cool avec des synthés existentialistes, de la trap lumineuse et de la D&B de qualité.
Finalement, ce seront surtout les locaux qui auront fait le buzz pour cette journée All Access. Même si l’on retiendra quand même ces superstars des Lambrini Girls, à revoir sans modération. Formule gagnante en tout cas pour le Botanique avec une soirée sans accroc malgré un temps toujours plus dégueulasse. On a hâte de voir si l'expérience se répètera lors du weekender des Nuits en novembre prochain.