Le Micro Festival 2013
Liège, le 2 août 2013
Deux jours, une chapiteau, un jardin, une programmation sans peur et sans reproche
Il faisait foutrement chaud dans cette bagnole et la vitesse était limitée à 50 sur l’autoroute. Saloperie de travaux. Liège se faisait désirer, les kilomètres défilaient lentement et les fauteuils de la caisse risquaient à tout moment de se décalquer sur ma peau ruisselante. On tenait le coup en pensant à l’herbe fraîche et aux bières encore plus fraîches qui nous étaient promises et qui n’attendaient que nous en plein cœur du quartier Saint-Léonard. Il faut dire que cette année encore, on ne pouvait pas se permettre de rater le Micro Festival. Parce que l’endroit est cool, que le concept l’est encore plus et que l’affiche est, au final, la plus dingue du pays. Qu’on remballe ces grosses machines de Dour, du Pukkelpop, ces opportunistes de Ronquières, ces gigolos de Werchter et ces enfoirés de hippies d’Esperanzah. Franchement, qui peut se vanter de ne pas avoir frémi un tant soit peu à la lecture du programme complet de cette quatrième édition? Faut vraiment avoir ses couilles dans les oreilles pour passer à côté! Et en plus de l'affiche, on accorde une mention spéciale pour la déco complètement loufoque et donc fatalement pleine d’esprit. Belgitude, one point!
On se devait d’être présent d’autant plus que les poulains des Scrap Dealers ouvraient les hostilités. Ces mecs sont le seul avenir du garage à la belge, scène de niche particulière puisqu’elle n’existe qu’à travers trop peu de groupes par chez nous. Genre quatre ou cinq. Si vous en connaissez d’autres, faites-moi signe, je suis preneur. Bordel les kids, prenez une guitare et montez un groupe, on va pas respirer longtemps sans ça ! Et c’est pas BRNS qui va sauver la mise… Bref, Les Scrap Dealers, c’est une belle bande de gentils branleurs qui écoutent des trucs cools. Et ça les rends assez cools pour pondre des bombinettes tantôt punky-crados, tantôt psyché-au-raz-des-pâquerettes. Alors, je sais pas si ce sont les 40° sous chapiteau mais les mecs nous l’ont joué plutôt lazy noisy, plein de brouhaha de guitares bien fumeuses. Du gros son quoi. Je les ai connus plus vifs, plus percutants. Mais ça permet de capter un autre spectre du groupe, plus lourd et sournois. Du genre à te foutre un coup de matraque dans la nuque. Et j’ai aimé leur matraquage. Et vous aimerez aussi, pour peu que vous ayez un fond d’âme dans votre caleçon. Retenez ce nom, on en reparlera dans pas longtemps.
Il fait foutrement poisseux quand Shannon le poulpe et ses coquillages (aka Shannon and the Clams) débarquent sur scène. Les premières notes sont prometteuses et j’en suis excité comme une gamine. J’ai la banane et pas dans les cheveux. Quatre coupures de courant et une grosse heure de retard plus tard, la diva garde la pêche, son commandant Cody aussi. Et on a enfin droit à plus de deux morceaux d’affilée. Et putain que c’est jouissif, comme un milkshake à la fraise, comme une balade en Chevrolet Bel Air Cabriolet. Ca doo doo wop à tout va, tandis que la voix de fausset de Cody à la guitare et les poussées de soul d'une Shannon à la limite de la rupture et qui feraient pâlir Merry Clayton et ses chœurs déchirés sur Gimme Shelter, tout ça s’entremêle pour faire frémir les petits cœurs sensibles de l’audience. Il faut dire que cette musique sent l’amour adolescent à plein nez. Et je parle de cette adolescence dorée, remplie de comics vintages et de disques de Buddy Holly, de mecs en costume qui te font le plein à la station essence, de mobilier pastel en skaï et formica. Bordel de merde, cette Shannon est une icône soul trash plus crédible que n’importe quel sosie masculin version ténor d’Amy Winehouse. Il n’en faut pas plus pour faire swinguer l’audience et faire monter l’excitation d’un cran.
A noter le comportement absolument admirable du public. Pendant cette longue coupure d’environ une heure dans la programmation, pas un geste d’agacement: les gens se sont dirigés à la cool vers le bar, ont patienté, gobelets en main, faisant tourner les pompes (quand elles étaient en état de marche), tandis que les guirlandes lumineuses, la sono DJ, l’éclairage fonctionnait de façon alternée et qu’on devinait le stress et les cacas mous en backstage, l’orga se battant avec un générateur vachement récalcitrant. C’est là que franchement, du fin fond de ma capitale hennuyère de merde, je remarque que le public liégeois permet à un tel évènement de perdurer et de garder la santé parce que je mets ma main à couper que ces gens seront là l’année prochaine. Je suis foncièrement persuadé que certains d’entre-eux avaient même acheté leur place sans connaitre un foutu nom de l’affiche. Prenez un concert des Mujeres: à Bruxelles le groupe ne ramènerait pas 100 personnes et pourtant, c’est toute une peuplade que j’ai vu danser et valdinguer sous les assauts rock‘n roll des espagnols. Je trouve ça beau et je garde un peu espoir au fond de moi, celui de la survie de la musique authentique, et je le transmets volontiers à tous ces organisateurs qui risquent parfois leur cul pour un concert, pour un disque qui les ont fait bander.
Parlons-en justement de ces Mujeres, ces Pères-pélerins qui amènent la Bonne Nouvelle dans leur flight-case. Je vois déjà les casses-couilles et les pisses-froid me dire que c’est un énième cover band des Black Lips. Probablement… Mais jusqu’à preuve du contraire, avoir les Black Lips en concert me semble être un véritable chemin de croix tellement la hype leur sort par les oreilles ! Une chose est pourtant sûre, ces espagnols sont le vecteur d’une musique à l’énergie pure, totale, chargée de folie grandiose. C’est une expérience grandissante qui nous fout autant la pêche que de lire Sur La Route un soir d’été. Je crois que le conflit Israélo-palestinien pourrait se régler juste en s’infusant un quart de cette bouffée d’air qui émane de leur scène. Ils foutent le feu et les gens s’aiment davantage, tous autant qu’ils sont. J’en ai la gorge nouée rien que d’y repenser. Ces enculés feraient plus de bien autour d’eux que Greenpeace et Oxfam réunis. Et vas-y que ça te lance une ballade en plein milieu d’un set explosif. Et que les gens se prennent, bras dessus, bras dessous, pour balancer, onduler à l’unisson. Des meufs, genre propres sur elles, graciles, viennent irrésistiblement se frotter à cet épais nuage d’amour et de sueur et entrent dans la bousculade fraternelle. Pas un coup ne se perd… jusqu’à l’arrivée de ces deux ou trois connards de déchets nazillons qui débarquent en faisant l’hélicoptère, en battant des jambes comme si ils avaient un Henry Rollins enragé (pléonasme?) sur le dos. J’aurais bien envoyé une milice de hippies hallucinés en manque de chanvre courser ces petits enculés qui ont failli crever la jolie bulle karmesque qui enveloppait la foule.
Ce sont ces mêmes mecs qui ont réussi à s’embrouiller entre eux au concert de Die !Die !Die ! Bon, je comprends, ça respire un peu plus l’électricité, la colère musicale chez ces Néo-Zélandais. Je ne veux pas faire mon chiant et j’admets que leur jeu de mains virulent se prêtait plus à un concert de ce type qu’à l’amour hurlé jusqu’à la distorsion des Mujeres. D’ailleurs pendant Die ! Die ! Die !, j’ai passé mon temps à regarder ces types se bouffer la gueule entre eux, jouer au coq à torse poil, se prendre des manchettes dans les dents et liquider leurs verres de bières bien péniblement. C’est dire si le concert m’a un peu emmerdé. Sans vouloir me la jouer pédant, j’ai trouvé ça so nineties. Gris et triste comme les pierres sous la pluie. Après, je ne vais pas mentir, le groupe envoie du bois, ça secoue le cocotier, ça vient jouer dans le public, ça excite mais c’est franchement sans susciter la moindre émotion dans mon cerveau, véritable boule d’hédonisme et de sensibilité.
Un peu pareil pour Metz hein. J’étais assez excité à l’idée de les voir. Ben c’est chose faite. Voilà. C’est tout. On nous en a pas mal rabattu les oreilles de ces Canadiens depuis quelques temps. Surement à raison. Mais ça n’a pas moufté d’un poil sur mon détecteur de frissons musicaux. C’est bouffi de rage mais ça sonne comme du early Nirvana. Voilà. Et comme je n’ai jamais vraiment été fan du trio de Seattle, faites le compte ! Mais je ne renie pas l’utilité publique du groupe. Je ne cherche pas à cracher dans la soupe gratuitement (même si j’aime ça parfois). D’ailleurs dans le cas « Metz », le bouillon est assez goûtu, il faut l’avouer. Comme on dit dans ces cas là : « les fans du genre apprécieront ». Au suivant !
Par contre, pour ce qui est de flinguer une hype en deux secondes, Peter Kernel est assez balaise. J’avais entendu pas mal de bonnes ondes du concert chez Madame Moustache il y a quelques mois. Le single "Panico" me semblait plutôt cool et de bonne augure. Je n’ai jamais poussé la curiosité plus loin mais je m’attendais à un truc un peu dansant, un peu sexy, un peu intello. Boarf, finalement, c’était chiant comme la pluie. Franchement mou du slip, pétard mouillé à la bave de limace. Il y a bien un petit jeu sexy entre le guitariste et sa bassiste qui fait monter la tension de temps en temps et qui ranime les pantins sur scène mais ça ne dure jamais bien longtemps. En plus la meuf a cette horrible voix de première de classe qui me l’a rendue tout de suite franchement insupportable…
Et dans cette moiteur, on a eu droit à des groupes qui semblaient évoluer dans leur élément, comme un crocodile dans les Everglades, comme un Mocassin d’eau dans le Bayou. Sous les volutes de transpiration, Moon Duo et Camera ont assuré un show spatial. Même si je n'étais pas franchement étonné de la qualité du set de Moon Duo, lourd et hypnotique à souhait, carré comme la tête de Kim Jong-Un. Et cette voix douce de Ripley Johnson, presque paternaliste, qui rassure et permet de planer sans aucun risque de mauvais trip. Petite question qui me reste en suspens cependant. Je n’arrive pas à définir si c’est le déhanché de Sanae Yamada ou bien ses boucles de synthés qui me faisaient le plus voir double… Quoiqu’il en soit, ces vibrations s’entrechoquaient jusqu’au point culminant, assaut final et sourdingue qui te fait sentir spécial, seul au monde et te donne l’impression de maitriser les éléments. « Ce ne sont pas ces droïdes que vous cherchez »… Et dans un registre franchement plus martial, au point de nous faire sentir tout petit, seul au monde devant cet énorme batteur et sa minuscule batterie, Camera tenait la barre bien ferme. Une régularité à en faire sauter les soudures de toutes les cartes de circuits imprimés des boites à rythmes du monde. Je suis certain que Jaki Liebezeit verrait sa quequette rétrécir devant un tel mec, sans rigoler ! Camera, c’est comme un spectacle pyrotechnique dont la mèche serait ton épine dorsale. Elle se consume lentement, jusqu’à te coller un milliard d’étoiles sous les paupières! Et ces mecs viennent de surcroît étayer ma théorie: si tu as un batteur irréprochable, une machine de guerre qui pilonne au rythme imperturbable, tu peux lui greffer n’importe quel branleur avec une guitare et beaucoup d’effet qui va noyer le son et t’auras d’office un groupe qui tient la route. Et loin de moi l’idée de vouloir réduire Camera à ce délire enfanté de ma cervelle de non-musicien frustré. Mais ces mecs appliquent la recette de la simplicité ultime (une guitare whaonnnn, un synthé pouet pouet et une batterie poum tchack), tout en offrant une musique hyper cérébrale. Et ça, c’est beau. Bon, par contre, mauvais point pour le caractère de cochon du batteur. Mais il faut le comprendre, toute la pression est sur ses petites épaules! Le chef d’orchestre métronomique de la bande, c’est lui ! Si il se casse la gueule, c’est pas le peye avec son synthé qui va récupérer le coup. Puis il faut dire que le mec est concentré sur ses fûts comme un pape devant une cour de récréation. Ca n'aide pas à se détendre…
Pour clôturer, je dois vous admettre que je n’ai pas vu les autres groupes. Pardon à eux ! Mais je suis sûr qu’ils étaient très bons et que le monde entier les aime. Sans rire, malgré mes goûts et mes dégoûts douteux, il faut rendre à César ce qui appartient à César. Et surtout concéder au Micro Festival un don pour les affiches irréprochables, qui séduisent tout le monde sans rameuter n’importe qui. Un évènement authentique pour des gens en recherche de sensations vraies.